Quand le porno rencontre la réalité virtuelle : entretien avec Dorcel

 
Pendant quelques jours, Dorcel organisait une présentation de ses premiers courts-métrages pour adultes tournés à 360 degrés, après avoir présenté les séquences (une soft et une hard) lors de plusieurs salons à travers le monde. Le producteur a choisi le cadre paisible du Studio Cyclone à Paris, réaménageant l’espace en faux lieu de tournage avec projecteurs, lit, et dressing-room. C’était évidemment l’occasion de tester le contenu vidéo proposé par Dorcel – même si l’expérience Gear VR n’est pas une première pour nous – mais également de parler réalité virtuelle, technique, difficultés, ambitions et avenir de cette technologie avec Gregory Dorcel, le PDG de la firme, et Anna Polina, l’égérie du studio. Interview.
Anna Polina et Gregory Dorcel
Anna Polina et Grégory Dorcel

Avez-vous un pôle R&D qui travaille sur ce type de contenus ?

Grégory Dorcel : Non, Dorcel, ça reste une petite PME. Ce qui nous amuse, c’est de pouvoir être une petite entreprise française, et en plus de ça dans un secteur d’activité qui est un peu atypique, et pour autant de réussir à développer des expériences qui sont des premières mondiales, et qui restent assez bluffantes. Ce n’est pas de la techno pour de la techno, ça ne nous intéresse pas. Ce qui nous intéresse, c’est quand cette techno nous permet de réaliser des expériences, donner des sensations qui sont hors-normes, ou qui sont nouvelles. On l’avait fait avec la 3D, en allant chercher ce qu’on trouvait d’intéressant là-dedans.

Et depuis combien de temps vous intéressez-vous à la Réalité Virtuelle ?

G.D : Ça fait un an à peu près. On a mis environ 8 mois à réussir à identifier un prestataire dans le monde qui maîtrise une certaine technologie, et ensuite on a travaillé avec lui pour l’optimiser. Je ne peux pas divulguer de qui il s’agit pour diverses raisons, mais bref, ce qui est intéressant, c’est que des entreprises ont ces technos en mains, savent plus ou moins les exploiter, et nous notre travail c’est d’optimiser tout ça avec eux et de leur trouver des applications qui créent des expériences dingues pour le consommateur. On n’est pas une boîte de techno en tant que telle, on ne fait pas de développement technique, mais on supervise de la technique, et on réfléchit à comment l’exploiter.

Depuis un an, vous avez donc dédié un budget spécifique à la VR ? 

G.D : Ça se fait au fur et à mesure. Il n’y a pas de budget, pas de business plan, rien de tout ça. On est producteurs, et on part sur des projets pour lesquels on a un feeling. La VR en fait partie. Il n’y a pas de budget en tant que tel, mais on va arriver à quelque chose qui oscille entre 120 et 150 000 euros pour créer ce truc-là (NDLR la vidéo complète dure environ 10 minutes). Il faut savoir que le coût moyen d’un film X dans le monde doit avoisiner les 10 000 euros.

« Il n’y a pas de budget en tant que tel, mais on va arriver à quelque chose qui oscille entre 120 et 150 000 euros pour créer ce truc-là »

Quelle est la différence entre un film classique et cette séquence en VR chez vous ?

G.D : On ne peut pas vraiment rapporter ça à un film. Ici, c’est principalement une expérience, qui vise à faire vivre quelque chose de fou au spectateur. Ce n’est pas le même mode de narration, le spectateur choisit de regarder ce qu’il veut regarder, de bouger comme il veut bouger. Il n’y a pas de montage non plus, c’est un plan-séquence. Il n’y a pas de réalisateur qui donne ses instructions.

Mais du coup, s’il n’y a besoin de personne, quel est votre rôle dans tout ça ?

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G.D : Disons que ça reste un travail collégial, et c’est ce qui fait notre force. On arrive à avoir autour de la table un réalisateur, un directeur marketing, des directeurs de département, comme vous le voyez. Il faut avoir une bonne compréhension de la technique, de l’image, de ce que le public attend. Et puis après tout, on est nous-mêmes spectateurs, et on a aussi nos propres attentes. Le résultat qu’on arrive à avoir ici est canon, et la réflexion de tout le monde c’est un peu « tiens qu’est-ce qu’on peut réussir à faire avec ça ? ». Mais c’est vrai qu’à partir du moment où l’on comprend qu’il suffit d’installer une situation, qu’il ne peut y avoir ni réal ni gens de la technique autour de la scène puisque le spectateur peut tout voir… le but devient simplement de le plonger dans ce qui se passe pour de vrai.

Quelles sont les autres difficultés techniques dans un tel tournage ?

G.D : Alors la première difficulté technique, c’est que l’on tourne avec un bloc de prise de vue qui réunit 14 caméras GoPro. En fait, la situation se passe pour de vrai, et c’est seulement à la fin que l’on peut voir si c’est bien ou pas. On n’a pas vraiment le contrôle, les acteurs/actrices vivent et font vivre une situation à un acteur qui est finalement le spectateur. C’est ensuite en post-production que les problèmes sont multipliés par 14.

Ça doit demander un temps fou en post-production.

G.D : Ah oui, c’est très complexe parce qu’il faut avoir une image parfaitement fluide et identique à celle que l’on a avec l’œil. Il n’y a pas de phénomène de couture, comme quand on passe d’une caméra à une autre, puisque c’est un plan fixe ici. Pour arriver à ce résultat final, il y a effectivement un peu de travail derrière. L’image, c’est 14 caméras grand-angles, et après il s’agit encore de redéformer l’image pour pouvoir les assembler les unes aux autres, et que tout ça soit parfaitement linéaire.

DE L’AUTRE CÔTÉ DE LA CAMÉRA

En tant qu’actrice, est-ce que c’est plus contraignant de tourner une scène en réalité virtuelle qu’une scène classique ?

Anna Polina : Oui, parce que tout est tourné en une seule séquence et que c’est du coup beaucoup plus long. Si quelque chose est raté, on est obligé de reprendre depuis le début.

Il y a des consignes particulières ? 

A.P : Pas plus que sur un tournage classique. On est simplement guidé par des marquages qui nous permettent de nous répérer et évitent que l’on sorte du cadre, par exemple. C’est aussi pour cela qu’il n’y a que peu de déplacements des actrices, et qu’il faut éviter certains contacts physiques avec l’acteur.

Les interactions sont en partie limitées, donc. 

A.P : Oui, parce que l’acteur doit rester le plus immobile possible. Il est d’ailleurs allongé, avec la tête penchée vers l’arrière et les caméras tournées vers la scène. Il n’y a pas d’interactions visuelles avec le partenaire, c’est assez particulier.

Vous avez déjà songé, ou peut-être que vous y travaillez déjà, à des développements futurs avec la VR ? Je pense par exemple à des objets connectés qui seraient reliés au film. 

G.D : Chez Dorcel, on a une grosse division qui s’occupe des sex-toys, mais à l’inverse, on ne croit pas spécialement aux objets connectés en la matière. Peut-être à tort, mais on pense que là, sur cette démonstration, il s’agit d’un fantasme, qui devient certes un peu réalité, mais qui reste un fantasme. À partir du moment où il y a un contact réel, ça casse les choses.

Pourtant on se dit que le sexe exalte tous les sens. Là, avec la VR, on arrive à maîtriser la vue et l’ouïe. Il reste encore trois sens à apprivoiser.

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G.D : Ouais, c’est clair. Pour l’instant en tout cas, on est arrêté là-dessus. Maintenant peut-être que la technologie évoluera et apportera quelque chose en ce sens. Mais pour l’instant, on voit plutôt ça comme une contrainte. Dès qu’on commence à explorer le toucher, c’est…différent. Associer une sensation reproduite par une texture réelle à du virtuel, ça ne marche pas. Pour l’instant.

Est-ce que vous espérez une démocratisation du porno en réalité virtuelle ?

G.D : Alors, non, on ne l’espère pas plus que ça. Pour l’instant, ce n’est pas la question qu’on se pose, et il n’y a pas de marché pour nous. La seule vocation qu’on a, c’est de se dire qu’il y a une techno qui existe, que vraisemblablement tout le monde n’a pas pensé comme nous, et comment l’exploiter. Pour que ça se développe, il faudrait qu’il y ait une dizaine de producteurs comme nous. Et pas seulement dans le monde du X, mais dans tous les domaines de l’audiovisuel, de l’entertainment, et qu’ils soient capables de produire du divertissement pour que le spectateur puisse avoir de multiples expériences. Je pense que malheureusement ce ne sera pas le cas, que la plupart des producteurs vont attendre qu’il y ait une soi-disant demande avant de se mettre à produire, alors que nous, on pense que c’est l’inverse qui doit être fait.

« La seule vocation qu’on a, c’est de se dire qu’il y a une techno qui existe, que vraisemblablement tout le monde n’a pas pensé comme nous, et comment l’exploiter »

Du coup, comment vous allez commercialiser votre vidéo VR ? Ce sera intégré à une application ?

G.D : Non non, il faudra passer par notre site (dorcelvision.com/vr). La version soft est distribuée gratuitement, et la version hard sera vendue en téléchargement à 10 euros. Après il suffit d’avoir une application compatible permettant de lire la vidéo sur le casque. Pour nous, ce n’est pas la logique de passer par une application, d’autant que l’App Store d’Apple par exemple, refuse tous les contenus liés au sexy de près ou de loin.

C’est déjà hyper répandu sur les contenus pornographiques, mais vous ne craignez pas que le piratage soit encore plus accentué avec ce type de contenu ? 

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G.D : De toute façon, c’est notre quotidien. Et je ne suis pas sûr qu’on puisse être plus piraté qu’on ne l’est déjà (rires). Donc un peu plus ou un peu moins ne changera pas grand-chose. C’est propre à l’industrie du X, et c’est vrai que c’est peut-être pire qu’ailleurs parce que ce n’est sûrement pas la priorité des pouvoirs publics. Enfin, de toute façon, c’est un phénomène problématique pour l’ensemble de l’audiovisuel.

Comment vous voyez le X dans 10 ou 20 ans au niveau technologique ?

G.D : Je ne sais pas. On s’empare de ce que proposent les nouvelles technologies et c’est finalement une démarche assez opportuniste. On pense qu’elles vont contribuer à donner plus de sensations et un côté plus proche de la réalité, de plus en plus intime. Avant, on était dans des projections plus larges dans des salles publiques, et maintenant ce contenu se visionne de manière très individuelle, jusqu’à avoir un écran à quelques centimètres des yeux en l’occurrence. Mais encore une fois, je pense qu’il y a un stade que l’on ne passera pas. Dès que l’on passe le stade du toucher, ça devient plus problématique, parce que ça vous rappelle que ce n’est pas réel.

« On s’empare de ce que proposent les nouvelles technologies et c’est finalement une démarche assez opportuniste »

Et à titre personnel, et quel que soit le domaine, qu’est-ce que vous attendez de la réalité virtuelle ?

G.D : Pour moi, l’intérêt de tout ça réside dans le fait de vivre des expériences qu’on ne pourrait pas vivre normalement. Voir un beau paysage, c’est super, mais on peut facilement le voir autrement. Je pense que la VR est valable pour pas mal de hobbies ou de choses qu’on a toujours rêvé de faire et qu’on n’ose pas faire, tout ce qui est réservé à très peu de monde… En considérant qu’on est seulement spectateur, je pense à des expériences de conduite (F1) par exemple. Pleins de choses. C’est un peu le livre dont est le héros finalement.


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