Enfants connectés, parents stressés

 
Tout se connecte. Les objets de la maison, sur lesquels des tags peuvent être ajoutés, ceux du quotidien tels que les couverts, les brosses à dents, et même les voitures. Les adultes peuvent compter leurs pas, leurs calories brûlées, leurs heures de sommeil. Et les enfants dans tout cela ? Bon gré, mal gré, ils sont également susceptibles d’être reliés à des petits appareils qui les surveillent en toute discrétion.
Enfant connecté

© Photo Creative commons

Vous pensez encore que les seuls objets connectés pour enfants sont des smartphones ou des babyphones reliés à votre propre téléphone ? Vous êtes loin du compte. Car non contents de s’immiscer dans tous les aspects du quotidien des adultes, ces appareils viennent s’inviter dans le monde rose et bleu des tout-petits. Pour rassurer les parents, ou pour mieux les angoisser, c’est selon. Les enfants, très jeunes désormais, sont équipés de smartphones. Mais bien plus tôt, ils sont le centre d’un marché de niche combinant domotique et objets connectés. Une manière, pour des parents stressés, de trouver une aide au quotidien, mais aussi de protéger ses enfants parfois jusqu’à l’excès. Faisons un état des lieu des propositions faites aux parents. Tout cela est-il bien raisonnable ?

L’univers enfantin truffé d’objets connectés

Pour les usages les plus simples, on trouve désormais des moniteurs remplaçant joyeusement les écoute-bébés d’antan, ces talkies-walkies qui ont bien peu évolué depuis les années 1980. Withings en propose un Smart Baby Monitor avec lequel vous pouvez voir (et entendre) votre bébé à distance et par le biais duquel vous pouvez communiquer avec lui. EyeOn Baby Camera propose sensiblement la même chose, avec des capteurs de mouvements (et même la possibilité de filmer les gigotages de l’enfant) ou de température, de même que chez Withings. Le premier coûte plus de 200 euros, et le deuxième environ 130 euros : ces appareils sont loin d’être seuls sur le marché – et reliés à des smartphones Android ou iOS. Ils sont avant tout destiné aux parents devant confier leur enfant à autrui durant la journée ou pendant un laps de temps plus long.

EyeOn baby
L’EyeOn Baby Camera

Comme les adultes, les nourrissons peuvent désormais être pesés sur des balances connectées. On ne parle plus de pèse-personne, ces appareils étant généralement trop peu précis, mais de pèse-bébé. Leurs versions connectées (par exemple la KidScale de Withings) sont capables de mettre de côté le poids de la couverture que vous placez entre l’appareil et votre bout de chou – pas bête – et permettront de créer une courbe de croissance avec indice de masse corporelle et tutti quanti (voire partage sur les réseaux sociaux, mais c’est une autre affaire). Avant, vous pesiez l’animal et consigniez tant bien que mal les données dans son carnet de santé, histoire d’en discuter avec le pédiatre. Mais ça, c’était avant.

Kidscale
La Withings KidScale

Quoi d’autre au menu ? On peut évoquer une poussette connectée, la Rolls du genre puisqu’elle vous coûtera plus de 600 euros : l’Origami, qui se plie et se déplie toute seule, au lieu de torturer de jeunes parents généralement aussi pressés qu’encombrés. Elle indique en outre la distance parcourue et la vitesse moyenne du pousseur… De quoi organiser des courses de poussettes arbitrées sur smartphones. Mais aussi la brosse à dents connectée, chez Oral-B ou Kolibree, pour vérifier que les petits garnements se brossent bien les quenottes, et le font correctement. Il existe certainement une foule d’autres petits objets, plus ou moins (f)utiles (et onéreux) qui trouvent tout leur sens dans un usage enfantin, tel cet ourson connecté, Tedi, dans lequel les parents les plus motivés peuvent placer leur iPhone pour mieux interagir avec la peluche ; nous nous garderons bien d’en faire la liste exhaustive.

Quand l’enfant porte des objets connectés

L’enfant connecté, ce n’est pas seulement un environnement où les petits appareils surveillent ses faits et gestes, principalement quand il n’est encore qu’un nourrisson. Ce sont aussi des petits modules placés sur son petit corps, en tant que bracelets ou intégrés à ses vêtements. Et de ce côté, rien ne semble plus arrêter l’imagination de leurs concepteurs. Pas plus que les adultes, qui peuvent théoriquement déjà porter bien des accessoires connectés (trackers d’activité, soutien-gorge connecté et bien d’autres), les enfants ne sont pas épargnés. On pourra notamment trouver dans les boutiques spécialisées ces étranges bodys ornés d’une tortue en plastique vert, le Mimo : le capteur intégré au vêtement analyse toutes sortes de données corporelles du bébé, comme sa température ou ses mouvements, et fait à sa manière office de babyphone puisqu’il avertit les parents lorsque l’enfant crie. Prix de l’objet, surnommé « the smart baby monitor » : 200 dollars pour un starter kit comprenant le module, sa base connectée au WiFi de la maison, et trois bodys. Un projet Kickstarter du même genre, Monbaby, a pris fin début mai : la grenouillère assortie d’une pastille connectée n’a réuni que 5000 dollars sur les 10000 réclamés.

mimo
La petite tortue Mimo.

Toujours dans la tendance nourrisson, la couche connectée. Vous n’y pensiez pas, et pourtant, des esprits aventureux l’ont fait, et pas des moindres : il s’agit de Huggies, le géant des couches-culottes. Sa filiale brésilienne a présenté en 2013 un module connecté à placer par-dessus la couche, relié en Bluetooth au smartphone et qui se charge d’indiquer aux parents le taux d’humidité de la chose. Selon la marque, il s’agit d’aider les parents à changer leur bambin au bon moment, mais aussi à leur servir d’indicateur de consommation, et donc à mieux prévoir leur liste de courses.

Huggies

Plus discutables, les bracelets connectés pour enfants sont eux aussi apparus ces derniers mois. Il y a quelques semaines, LeapFrog, ce bracelet ressemblant à un Tamagotchi des temps modernes, avec petit écran affichant des animaux virtuels, bracelets colorés et gros boutons : son but, encourager l’enfant à bouger (est-ce nécessaire ?) et le récompenser quand il atteint ses objectifs. Comme papa et maman avec leur Fitbit ou leur Jawbone. Autre usage pour un bracelet, celui défini par Nivea, qui propose, avec son bracelet présenté en mai 2014 (au Brésil) dans une campagne de communication, un accessoire doté d’une puce GPS. Ici, il s’agit de recevoir une notification via une app Android ou iOS si l’enfant dépasse un périmètre autorisé. Plus durable que ce bracelet offert en cadeau dans un magazine, le bracelet Tinitell est parvenu à réunir plus de 140 000 dollars sur Kickstarter (contre 100 000 demandés) en mai dernier, et devrait livrer en avril 2015 ses bracelets pour petits permettant de téléphoner, et de surveiller la position de l’enfant. Les autres bracelets GPS destinés à orner le poignet des enfants sont certainement nombreux, et appelés à se développer.

Entre tendance et raison

Ce qui interpelle quand on se penche sur le sujet, c’est le mot d’ordre que semblent s’être donnés les différents fabricants de ces appareils : motus sur les sombres histoires d’ondes. Chez les adultes, il est encore difficile d’évaluer la portée d’une connectivité permanente aux réseaux mobiles, bien que des recommandations sanitaires (DAS) soient fixées dans chaque pays, il ne fait aucun doute que le corps des enfants est plus fragile à ce sujet, et qu’il convient d’éviter de les exposer inutilement dans leurs plus jeunes années. L’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) publiait à ce titre en octobre 2013 ses recommandations. Elle ne mettait « pas en évidence d’effet sanitaire avéré et ne [conduisait] pas à proposer de nouvelles valeurs limites d’exposition de la population« , mais, puisque « certaines publications [évoquaient] une possible augmentation du risque de tumeur cérébrale« , recommandait « de limiter les expositions de la population aux radiofréquences – en particulier des téléphones mobiles -, notamment pour les enfants et les utilisateurs intensifs« .

Du bon sens, somme toute, à l’encontre duquel vont ses objets qui, en l’absence de législation précise, s’engouffrent dans un marché de niche. Et lucratif. Les risques sur la santé de l’enfant ne sont pas les seuls paramètres à prendre en compte. Imaginons cet enfant d’aujourd’hui, bardé de capteurs. Ou plutôt de demain, car à moins d’être détenteur d’un portefeuille bien garni, le bébé et l’enfant connecté sont extrêmement onéreux, et l’on peut douter d’une adoption massive de telles technologies. Côté parents, c’est l’angoisse. Vous connaissez certainement la nomophobie, cette peur de ne plus avoir son smartphone avec soi. Comprenez la peur de ne plus être connecté avec le monde extérieur, le monde virtuel de la grande famille d’Internet. La crainte d’être séparé de son enfant n’est pas nouvelle, mais elle fait partie du quotidien des deux parties : les parents doivent être capables de ne pas trop couver leur progéniture, laquelle doit savoir couper le cordon avec ses parents. Mais avec ces objets connectés, impossible : n’est-ce pas, d’une certaine manière, augmenter l’angoisse parentale ? En cas de panne, de coupure d’électricité ou que sais-je encore, ne risque-t-on pas de tomber dans un excès plus anxiogène qu’autre chose ? Finalement, c’est bien de la nomophobie que l’on risque de subir en multipliant les objets connectés autour de l’enfant, mais par procuration : il y a peu de chances pour qu’un tout-petit saisisse bien l’intérêt d’être connecté à tout-va, tandis qu’à travers lui, c’est le parent qui s’offre de quoi n’être jamais déconnecté.

Montre enfant

Le facteur d’angoisse, c’est aussi celui de la comparaison. On pense notamment aux balances connectées qui, mal utilisées, peuvent conduire chez les plus stressés à des interprétations hâtives de courbes de croissance comparées à la moyenne des enfants. De même que les objectifs fixés par des bracelets fitness : le quantified self du tout-petit me semble avoir de quoi faire trembler. Tout cela ne signifie pas que les objets connectés autour de l’enfant ne sont pas bons à prendre. Un adulte responsable est sans doute capable de déterminer tout seul quand changer la couche de son enfant, si ses cinq sens fonctionnent correctement. Idées farfelues mises à part, le babyphone permettant de communiquer avec l’enfant semble utile, utilisé par exemple lorsque les parents s’absentent plusieurs jours. De même qu’un pèse-bébé dont on pourra présenter les résultats à un pédiatre.

Le reste, finalement, ne fait qu’automatiser des gestes (prendre la température de l’enfant, surveiller sa respiration) qu’une présence humaine peut déjà assurer. De même pour les bracelets GPS qui, outre ce qu’ils peuvent encourager les parents à être moins attentifs à leurs enfants, remplacent une surveillance visuelle – et alerte sur smartphone ou pas, il faudra bien, un jour ou l’autre, courir pour rattraper le petit fuyard, rassurent sans empêcher. C’est probablement la vocation essentielle de ce type d’appareils, qui ne trouvent leur réel usage que dans des cas extrêmes, les enlèvements d’enfants n’étant heureusement pas chose commune.

À quelle solution penser ? Quand l’enfant est plus grand, pourquoi pas à de la domotique, celle que nous connaissons déjà et qui s’appuie désormais sur des capteurs peu onéreux. On peut en effet penser à des détecteurs de présence, par exemple à la porte d’entrée de la maison, qui indiquera aux parents que leur enfant est bien rentré de l’école. En bonus, si le système est couplé à une mini-caméra, une photo pourra être envoyée par email pour preuve. Certaines études assurent que 60 % des 10-12 ans sont déjà équipés de smartphones : il n’est peut-être pas nécessaire de leur en donner le goût trop tôt.


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