Rachat de SFR : que vont faire Vivendi, Numericable et Bouygues ?

 
Voilà, le grand feuilleton du rachat de SFR est enfin terminé. Numericable l’a emporté haut la main, Bouygues est furieux. Quant à Vivendi, il possède désormais une piscine de billets dont le fond est estimé à 5 milliards d’euros. Il est désormais temps de prendre un peu de recul et de comprendre comment on en est arrivé là.
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Le rachat : Numericable a discrètement augmenté son offre

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La dernière fois qu’on avait entendu parler de l’offre d’Altice, la maison-mère de Numericable, pour le rachat de SFR, on tenait les chiffres suivants : 11,75 milliards d’euros de cash et une participation de Vivendi dans le nouvel ensemble estimée à 32 %. Cette offre, c’est celle que Vivendi avait retenue le 14 mars dernier lorsque Vivendi avait décidé d’entrer en négociation exclusive avec Altice pour le rachat de SFR. Cette période de négociation a duré trois semaines. Trois semaines durant lesquelles Bouygues, l’autre potentiel acheteur de SFR, n’a pas cessé de faire monter les enchères : la société de Martin Bouygues a fait en tout 4 offres, passant de 11,5 milliards le 13 mars à plus de 15 milliards d’euros le 5 avril, le jour de la décision du conseil de surveillance de Vivendi.
Des enchères supplémentaires qui auront finalement plus joué en faveur d’Altice que de Bouygues. Car l’offre finale d’Altice, celle que Vivendi a acceptée, est montée en trois semaines à 13,5 milliards d’euros en cash et une participation de Vivendi à hauteur de 20 % de l’ensemble SFR-Numericable. À ces 13,5 milliards d’euros de cash s’ajoutent par ailleurs un supplément de 750 millions d’euros si le nouvel ensemble parvient à dégager 2 milliards d’euros de capacité de remboursement sur un an. Une douceur supplémentaire qui était du goût de Vivendi.

On ne vas pas rentrer dans les détails du montage financier. Ce qu’il faut retenir dans les grandes lignes, c’est que sur les 13,5 milliards d’euros, 8,8 milliards proviennent de diverses banques qui vont faire un prêt à Numericable, les 4,7 autres milliards d’euros proviennent quant à eux d’une augmentation de capital de Numericable. 75,6 % de ce capital supplémentaire sera souscrit par Altice, le reste sera trouvé sur le marché. Au final, Altice détiendra 60 % du nouveau groupe Numericable-SFR, Vivendi en possèdera 20 % et le reste sera certainement laissé au marché. Enfin, Altice insiste bien là-dessus, ce nouvel ensemble restera bel et bien français puisque Numericable sera domicilié à Paris et coté à la Bourse de Paris.
Ce montage financier n’est pas exempt de toute critique. En faisant appel aux banques pour financer ce rachat, Altice va disposer d’un ensemble SFR-Numericable très endetté, à hauteur de 11,64 milliards d’euros. De fait, Altice compte sur la bonne santé du marché de la fibre optique – en plein développement – et des synergies entre Numericable et SFR pour renflouer cette dette dans les années à venir. Dans un marché du mobile en crise, c’est un pari que l’on qualifiera d’osé et que Bouygues ne manquera certainement pas de souligner.

Pourquoi Vivendi a-t-il choisi Numericable ?

Pourquoi Vivendi a-t-il choisi Numericable alors que Bouygues proposait de son côté 2 milliards d’euros supplémentaires ? Pour des raisons non-financières, essentiellement. Et pour le comprendre, il faut revenir sur la stratégie actuelle de Vivendi.
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Vivendi est un immense groupe qui comprend beaucoup de sociétés différentes. Il y a peu, Vivendi possédait à la fois Universal Music, Activision (un éditeur de jeu vidéo qui possède la licence Call of Duty et World of Warcraft), Canal + et SFR, entres autres. Beaucoup d’activités différentes issues pour la plupart d’acquisition qui l’ont beaucoup endetté. Vivendi avait 13 milliards d’euros de dettes en 2012. Et surtout une stratégie très floue. Vivendi a donc décidé de recentrer son activité autour des médias et de revendre le reste. Il a ainsi revendu Activision pour 8,2 milliards de dollars l’année dernière et SFR pour 13,5 milliards cette année.
Vivendi est donc une société habituée des rachats, fusions et acquisitions. Elle connaît bien les risques et elle a surtout déjà fait les frais d’institutions publiques qui veulent éviter l’émergence d’entités monopolistiques ou oligopolistiques. En 2012, Universal Music – appartenant à Vivendi – a tenté d’acheter EMI, une importante major du disque. La revente s’est bien faite, mais la commission européenne a forcé Universal Music à céder une partie des labels rachetés, soit un tiers du chiffre d’affaires de la maison de disque, pour éviter une situation oligopolistique. Autant dire que ce rachat a laissé des traces chez les administrateurs de Vivendi.
Et c’est exactement le même problème que voulait éviter Vivendi lors de la revente de SFR. L’offre d’Altice était peut-être inférieure d’un point de vue cash, mais c’est elle qui offrait le plus de garanties d’exécution. Si Bouygues et SFR fusionnaient, le nouvel ensemble représenterait près de 47 % de part de marché en valeur dans le mobile. Et le conseil de surveillance de Vivendi ne s’y trompe pas, l’Autorité de la concurrence serait très rapidement intervenue et aurait demandé à cet ensemble Bouygues-SFR de céder des clients à des concurrents. Autant dire que ce nouvel ensemble aurait perdu énormément de valeur avant même la mise en œuvre de la fusion. Et ce ne sont pas les 500 millions d’euros d’indemnités que promettait Bouygues en cas d’échec de la fusion qui ont incité Vivendi a choisir l’offre de l’opérateur bleu.
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Et puis il y a tous les arguments « annexes » de Numericable. Le projet industriel proposé par Numericable semblait plus pertinent aux yeux de Vivendi que celui d’immense opérateur mobile que proposait Bouygues. Ce projet industriel consiste – grosso modo – à proposer aux futurs clients de l’ensemble ce que Altice appelle une convergence fixe-mobile. Non seulement le réseau fibre de Altice va s’améliorer en ajoutant celui de SFR – non négligeable – mais en plus il va disposer de son solide réseau mobile. À terme, il en découlera des offres quadruple play très bon marché auquel le grand public devrait rapidement succomber. Enfin, il y a tout l’aspect emploi et investissement. Patrick Drahi s’est engagé à conserver tous les emplois dans les deux sociétés et même à en créer de nouveaux postes commerciaux pour promouvoir des offres à destination des entreprises. Cette question de l’emploi aurait indéniablement posé des problèmes à Bouygues, qui se serait retrouvé avec de nombreux postes en double.

Que va-t-il se passer dans les mois à venir ?

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Ce n’est pas parce que le conseil de surveillance de Vivendi a donné son feu vert à Altice que SFR appartient dès maintenant à la société de Patrick Drahi. Il reste encore de nombreuses étapes à franchir, dont la dernière est prévue pour la fin de l’année. La seule chose qui est certaine pour le moment, c’est le nom de l’ensemble : SFR. Selon Patrick Drahi, la marque au carré rouge est extrêmement puissante en France – bien plus que Numericable – et son nom va être conservé.

En attendant, SFR comme Numericable doivent entamer des procédures de consultation des élus du personnel. Elles commencent dès demain pour Numericable et devraient être engagées dans les jours à venir pour SFR. Si Numericable espère boucler ces consultations d’ici la fin du deuxième trimestre, ce sera certainement un peu plus long du côté de SFR. Son directeur général, Jean-Yves Charlier, doit faire le tour de tous les sites de l’opérateur pour rappeler au personnel qu’Altice s’est engagé à maintenir l’emploi dans le nouvel ensemble pendant 36 mois. Certaines organisations syndicales de SFR s’étaient en effet prononcées pour un rachat en faveur de Bouygues. Il y a aura forcément des tensions.
La phase de rachat la plus longue sera toutefois du côté des autorités réglementaires (Autorité de la concurrence et ARCEP) qui doivent donner leur accord. Une fois la notification de rachat envoyée à l’Autorité de la concurrence, Altice doit attendre son accord. Ses dirigeants sont confiants et espèrent que cet accord sera donné avant la fin de l’année. Si l’Autorité de la concurrence ne dira pas grand chose au niveau de la téléphonie mobile, il n’en sera peut-être pas de même pour tout ce qui concerne la fibre (pour des raisons de régulation du marché du câble que nous n’aborderons pas ici). Dans les faits, il y a de bonnes chances pour que l’accord ne soit donné qu’en début d’année prochaine et que la fusion ne soit réellement effective qu’au début de l’année 2015.

Et Bouygues dans tout ça ?

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Ce plan de fusion idéal ne prend pas non plus en compte les nombreuses embûches politiques et commerciales que ne manquera pas de semer Bouygues Telecom. Car c’est le plus gros perdant de cette opération et aussi le plus revanchard. On peut le comprendre, il a «servi de lièvre à Numericable pour faire monter les enchères». Et menace actuellement Vivendi de faire appel à la justice pour savoir pourquoi son offre a été écartée. Mais la plus grande pression de Bouygues provient des accords de mutualisation qui doivent être mis en place d’ici fin 2017. Bouygues menace de rompre cet accord tandis qu’Altice assure de son côté que rien ne bougera. Il serait en tout cas étonnant de voir Bouygues revenir dessus alors que cet accord est clairement à son avantage.

Mais le plus gros problème de Bouygues Telecom actuellement concerne son avenir. Coincé à la troisième place des opérateurs mobiles, rongé par les offres attractives de Free, il doit maintenant trouver un autre moyen de grossir. Les rumeurs parlent d’une potentielle fusion avec Free, mais les personnalités de Martin Bouygues et Xavier Niel semblent peu enclines à voir le projet aboutir. Dans tous les cas, il faudra bien que Martin Bouygues trouve une voie de sortie pour son « petit » opérateur téléphonique. Si l’on en croit les experts, il y a désormais des chances pour que les prix des forfaits téléphoniques arrêtent de baisser en France et que de nouveaux investisseurs (étrangers ?) commencent à s’intéresser au marché français. Un Bouygues fusionné avec des anglais ou des américains ? On sent que ça ferait mal à Bouygues, mais il éviterait au moins l’humiliation de se marier avec Free…


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