L’édito de la semaine : Pourquoi un rapprochement Bouygues-Free est-il si pertinent ?

 

Dans le milieu des Télécoms, il y a de forts remous depuis le rachat de SFR par Numericable. Nous avions déjà pu assister à un spectacle plutôt sympa avec les appels du pied de Bouygues qui finalement n’auront servi qu’à faire monter les enchères sur la valeur de SFR. Maintenant qu’un autre géant va naître et se positionner en face d’Orange, les deux derniers opérateurs vont devoir faire la paix. Essayons de comprendre pourquoi.

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Pas de surprise : les choses étaient déjà connues pour Bouygues Télécom. Il mangeait SFR ou s’associait à quelqu’un d’autre. Le rachat de SFR par Numericable étant dorénavant acté, Bouygues doit trouver preneur. Un scénario apparaît plus évident et plus naturel dans le paysage des télécoms français : un rapprochement entre Free Mobile et Bouygues Telecom. Les possibilités sont assez attendues : une fusion entre gros (qui ne plaît pas à l’un) ou un rachat de Bouygues Telecom par Free Mobile (qui, pour le moment, ne satisfait pas l’autre). Nouveau feuilleton en vue.

 

Naissance d’un gros – un quasi-duopole ?

Le marché des télécoms est jusqu’à là semblable à beaucoup de pays : un gros opérateur leader issu de l’ancien monopole historique et des plus petits opérateurs, acteurs du marché concurrentiel. Depuis début 2012, nous avons trois petits opérateurs qui se battent face au géant international qu’est Orange. Si l’on rentre dans le détail, nous avons en réalité un gros challenger d’Orange (SFR) et deux petits acteurs, plus jeunes, chacun qualifié de trublion à son arrivée.

Avec le rachat du deuxième opérateur français par un acteur très dynamique du câble, on obtient un géant quasiment aussi puissant qu’Orange. De quoi modifier la nature même de la concurrence. Il faut dire qu’en atteignant cette taille critique, SFR-Numericable donne au marché français une allure de duopole. L’un des acteurs possède le monopole du cuivre, une puissance financière gigantesque (bien que sclérosée par son rôle de rente de l’État et de certains fonds de placement) et une position internationale stratégique. L’autre possède un patrimoine de câble dans les immeubles qui lui donne une position très avantageuse pour une politique de montée en débit.

Avec la convergence fixe-mobile et la volonté des consommateurs de combiner leurs abonnements, les gros opérateurs à la fois sur le fixe et sur le mobile pourront plus facilement rester dans la course. SFR-Numericable va donc devenir un géant des télécoms, presque au niveau d’Orange et bien loin devant les deux autres concurrents. Nous assisterons probablement à une concurrence féroce sur la montée en débit – montée que SFR-Numericable pourra forcer grâce au FTTLA, alternative à court terme qui semble particulièrement pertinente, comme nous le notions dans l’un de nos précédents éditos. En parallèle, Orange pourra investir des milliards dans des technologies équivalentes sur son réseau cuivré (G.Fast notamment) et investir massivement dans la fibre.

 

Pourquoi le rapprochement est-il si pertinent ?

Il est vrai que l’on parle ici de simples rumeurs. Bouygues Telecom et Free Mobile seraient rentrés en négociation… On parle même de discussion entre BT et Téléfonica. Ce sont deux possibilités tout à fait pertinentes. Mais, même si l’arrivée de Téléfonica en France pourrait être un bon point pour le marché des télécoms à l’échelle de l’Europe, comme nous en parlions dans l’édito de la semaine dernière, la concentration à l’intérieur du marché français serait bien moins risquée et plus bénéfique pour le consommateur.

Free Mobile comme Bouyges Telecom n’ont ni les moyens ni le potentiel de rivaliser avec ces deux géants. Les deux petits concurrents auront de grandes difficultés dans la mesure où ils devront obligatoirement s’appuyer sur l’un des deux géants pour proposer leurs services. Que ce soit pour le mobile et pour le fixe, les deux géants auront une puissance de frappe bien plus importante concernant les investissements et devraient donc posséder de bien plus grosses infrastructures.

Le cas de Bouygues Telecom

Pour Bouygues Telecom, le problème provient principalement du fixe. Son réseau mobile est suffisant pour supporter un nombre de clients bien plus important qu’actuellement et sa stratégie de conquête 4G est réellement pertinente. L’opérateur a choisi une montée en débit moindre (son refarming 2G se fait sur une bande de 10 MHz, soit 75 Mb/s), mais avec un déploiement beaucoup plus rapide et moins coûteux pour, au final, une couverture bien plus large (presque 70 % de la population).

Son réseau fixe est quant à lui plus que limité. Il s’appuie en grande partie sur des NRA concurrents pour proposer ses services. C’est pourquoi son offre très alléchante Triple Play à moins de 20 euros n’est pas disponible pour beaucoup de clients. Par ailleurs, son investissement dans la fibre est quasi négligeable comparé aux deux gros opérateurs français. À l’avenir, Bouygues Telecom devra nécessairement s’appuyer sur un autre, ce qui est bien dommage dans le fixe tant sa stratégie marketing est intéressante : sa nouvelle offre à moins de 20 euros a de quoi bouleverser le marché du fixe.

Le cas de Free

Pour Free, le problème est inverse. Son réseau de NRA est assez important. L’opérateur peut proposer des offres à beaucoup de clients sur son propre matériel. L’opérateur bénéficie également sur le fixe d’une communauté très fidèle (cas similaire à d’autres marques comme Samsung ou encore Apple), ce qui lui autorise des choix stratégiques bien différents : il peut se permettre de faire de grosses marges sur le fixe (au niveau de celles d’Apple ou des marques de luxe) sans perdre ses clients. C’est une position très confortable qu’il espère prendre dans le mobile : fidéliser les clients pour ensuite retrouver des marges.

Dans le mobile justement, Free Mobile a dû frapper très fort en 2012 lors de son arrivée. Comme nous le rappelions précédemment, le marché mobile est un marché plutôt élastique, la demande est donc très dépendante du prix. En arrivant bien après les concurrents, il était difficile pour Free Mobile de conquérir des parts de marché. La communauté de fidèles n’étant pas assez grande.

L’unique choix pour Xavier Niel était alors de baisser les prix. Unique choix qui lui a d’ailleurs permis de se poster en sauveur et de conquérir les esprits grâce à une communication très axée sur ce point. Il n’empêche que nous avons pu profiter des bénéfices de l’entrée d’un nouvel acteur : dans un tel marché à forts coûts fixes et aux barrières à l’entrée conséquentes, il fallait que Free frappe un grand coup sur les prix afin de bouleverser l’équilibre concurrentiel.

 

Pourquoi la concentration est dorénavant nécessaire

Maintenant que le marché s’est stabilisé et que les concurrents se sont alignés, il est difficile pour Free Mobile de conquérir davantage de clients. Sa couverture est encore parcellaire et il sera difficile de justifier à ses clients une chute de la couverture réseau quand l’itinérance avec Orange cessera. Free possède moins de 3000 supports 3G en service, ce qui est loin des 17 000 supports d’Orange ou encore des 15000 de SFR. La densité des antennes est aussi importante : pour le cas de Paris, Free mobile possède 132 supports 3G en service, contre 461 pour Bouygues Telecom ! La fin de l’itinérance fera donc chuter les débits et la stabilité de la connexion (les cellules devront supporter plus de clients, de plus Free n’a pas de licence 2G). Même si Free Mobile investit massivement pour installer de nouvelles antennes, il est plus difficile aujourd’hui de ne pas bien couvrir le territoire tant la demande du consommateur a changé – c’est un point essentiel à ne pas négliger.

Le problème sur ce marché si élastique est que Free Mobile, pour conquérir davantage de parts de marché, pourrait encore baisser les prix (on insiste sur la notion de nécessité ici, ce n’est pas une volonté bienveillante de l’opérateur, même s’il aime nous le faire croire). C’est en tout cas ce que Xavier Niel a laissé entendre la semaine dernière. Et c’est précisément ce qui peut inquiéter les économistes partisans d’une concentration. Le risque pour le marché français est que la position de Free Mobile l’oblige à baisser les prix encore et encore pour conquérir des parts de marché – une sorte de justification pour le client, un regain de crédibilité pour rattraper son retard de couverture.

Contents de voir se profiler une nouvelle baisse, les consommateurs n’ont souvent pas conscience du problème. Pourquoi les trois opérateurs historiques se sont-ils si facilement entendus sur le prix ? En fait, dans un marché aussi élastique, une concurrence pure et parfaite mènerait les prix au niveau des coûts marginaux (c’est à dire le coût de revient des communications mobiles). Tout simplement parce que pour gagner plus de clients, chaque concurrent veut proposer des prix inférieurs à celui du voisin (les consommateurs sont très sensibles aux prix), ce qui fait baisser continuellement et mécaniquement les prix vers un minimum : on parle alors en économie de l’équilibre de Bertrand.

Dans ce cas précis, les marges seraient alors nulles pour les opérateurs. Or, étant également dans un marché à forts coûts fixes, le problème de la nullité des marges remet en cause les investissements et fragilise les plus faibles face aux plus gros. Surtout, il remet en cause le système de péréquation nécessaire pour couvrir l’ensemble de la population. Dans les faits, la perspective de marges nulles dans un marché où les investissements sont importants constitue une incitation forte à l’entente. Ce qui s’est produit avant l’arrivée de Free Mobile.

Si Free Mobile parie sur les prix pour gagner de la crédibilité, on pourrait voir le marché tendre vers un équilibre proche de celui de Bertrand, ce qui constituerait un vrai désastre pour le marché français. Tout ça parce que le prix serait la seule variable crédible pour Free afin de conquérir d’autres clients. Pour pallier le problème, une concentration du marché français pourrait constituer une solution vraiment pertinente. Bouygues Telecom et Free Mobile sont très complémentaires (l’un possède un bon réseau mobile, l’autre un bon réseau fixe). L’équilibre concurrentiel ne dépendrait plus autant des prix et nous pourrions relancer les investissements. De plus, une guerre entre gros devrait raviver l’innovation. Certes, nous pourrions retomber dans une sorte d’entente entre les trois géants. Mais l’équilibre concurrentiel sera néanmoins bien plus acceptable qu’avant l’arrivée de Free sur le marché mobile. Dans un marché aux forts investissements, c’est un choix qui semble plutôt intéressant.


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