Comment sont extraites les terres rares (et pourquoi cela pollue autant)

 
À Baotou en Mongolie intérieure (Chine), un lac de boues toxiques rappelle les conséquences environnementales de l’industrie de l’électronique. Mais comment extrait-on vraiment des terres rares, et pourquoi est-ce aussi polluant ? En voici les recettes, bien entendu radioactives.
Cristal de bastnäsite-cérium, un des trois principaux minerais d’où sont extraites les terres rares. Crédit : ButtShark // Wikimedia Commons

Baotou est la plus grande ville de Mongolie intérieure, une province chinoise du nord du pays. La vie de ses 2,5 millions d’habitants est marquée par l’extraction des terres rares, sorties des tréfonds la mine de Bayan Obo cent kilomètres au nord. Ces atomes, essentiels à la fabrication de nombreux objets technologiques, dont nos smartphones, y sont transformés dans des conditions sanitaires et environnementales dystopiques.

À quelques kilomètres seulement du centre-ville de Baotou trône un lac artificiel (lien Google Maps), fait de déchets accumulés des raffineries des terres rares. Peu d’informations filtrent sur sa composition chimique exacte. Des artistes qui ont réalisé des vases à partir des boues du lac ont signalé qu’elles étaient radioactives et à forte teneur en métaux. Les habitants des environs sont souvent affligés de maladies, et les nouveaux-nés souffrent beaucoup de malformations.

Il faut le rappeler, les « terres rares » ne sont pas rares sur le globe. Mais elles sont le plus souvent dispersées et très polluantes à extraire. Si la Chine a, il est vrai, un certain nombre de réserves, elle est essentiellement la seule à vouloir payer le coût environnemental et humain du traitement de ces métaux. 95 % des terres rares extractibles proviennent de trois roches : la bastnäsite, la monazite, et la xénotime.

Les trois minerais

La bastnäsite est nommée d’après une mine suédoise à l’ouest de Stockholm et renferme du carbone et du fluor, couplés à du cérium, du lanthane ou de l’yttrium. Elle contient aussi souvent du néodyme et du praséodyme. Les principaux gisements se trouvent à Mountain Pass en Californie, à Bayan Obo en Mongolie intérieure et dans diverses exploitations au Sichuan. Comme on le verra dans cet article, le fluor de la bastnäsite forme des acides hautement nocifs quand la roche est transformée.

Le nom de la monazite signifie « qui est solitaire » en grec. C’est une roche phosphatée radioactive qui contient du cérium, du lanthane, du néodyme et du samarium, ainsi que des quantités non négligeables de thorium et d’uranium. Beaucoup extraite au Brésil, en Afrique du Sud et en Inde, la monazite a perdu du terrain face à la bastnäsite non radioactive, mais intéresse pour des projets d’éventuelles centrales nucléaires au thorium.

La xénotime est également une roche phosphatée, plus rare, contenant essentiellement de l’yttrium et ainsi que les terres rares les plus lourdes (gadolinium, dysprosium, terbium, erbium, ytterbium…). Elle est récupérée dans les mines d’étain en Malaisie. Comme la monazite, elle contient du thorium et de l’uranium et est donc plus ou moins radioactive.

Comme avec tous les minerais, extraire les éléments utiles de ces roches nécessite plusieurs étapes. Voici pas à pas comment cela se fait dans l’industrie. On vous promet, ce n’est pas si compliqué que ça sur le principe, mais il faudra peut-être que vous vous accrochiez un peu.

Enrichissement

Quand le minerai est extrait, il ne contient pas que des terres rares. Il est plein d’impuretés diverses de taille souvent importante. L’enrichissement (beneficiation) consiste à faire en sorte que le pourcentage de terres rares soit le plus élevé possible. Le principe général consiste à broyer le minerai en petits morceaux, puis à enlever les bouts qui ne servent à rien.

Le broyage se fait en deux temps. D’abord, la roche est passée dans un concasseur à mâchoires (jaw crusher). C’est une grosse machine avec un mécanisme en forme de V dans lequel le minerai est réduit en gravillons de moins de 1 centimètre de diamètre. Cette étape a généralement lieu sur le site de la mine. Ensuite, les gravillons sont passés dans un moulin à billes (ball mill). Un tambour rempli de billes métalliques s’occupe de moudre la pierre en poussières de 40 à 100 micromètres (ou 0,04 à 0,1 millimètre, soit la taille d’une cellule végétale vivante).

Un concasseur à mâchoires, en l’occurence un Lokotrack LT105. Crédit : Bob Adams // Flickr

À la fin, on obtient une espèce de boue faite de poussières humides. Il faut maintenant séparer le bon grain de l’ivraie par un processus qui s’appelle la flottation (froth flotation). Le principe est le même que l’eau savonneuse, où le savon s’accroche aux particules de graisse et les emportent lors du rinçage.

On met la boue dans une cuve où l’on fait des petites bulles d’air, comme dans un aquarium. Puis on y rajoute deux types de produits chimiques. Les déprimants s’attachent aux minéraux indésirables pour les couler vers le fond. Et les collecteurs prennent les morceaux contenant des terres rares pour les accrocher aux bulles d’air, de façon à les faire remonter vers la surface.

Les collecteurs accrochent aux bulles d’air les morceaux avec des terres rares

Quand on traite de la bastnäsite, les dépresseurs sont des acides phosphorique et dicarboxyliques ; le premier est utilisé dans l’agroalimentaire pour acidifier les sodas, et les deuxième sont une famille qui comprend certains acides aminés de l’organisme.

Les collecteurs incluent du silicate de sodium (irritant et utilisé dans des produits ménagers) ; de l’hexafluorosilicate de sodium (toxique, mais employé pour mettre du fluor dans l’eau courante) ; ou bien du sulfonate de lignine (non toxique, répandu sur les routes pour empêcher qu’elles fassent de la poussière).

Parmi les procédés alternatifs, la séparation magnétique est surtout utile pour la monazite et la xénotime où beaucoup d’éléments réagissent aux aimants. La séparation par gravité, une forme de centrifugation, est aussi utilisée mais est considérée comme moins efficace, car les plus petites particules de terres rares sont généralement purgées du mélange.

À la fin de l’enrichissement, c’est la déshydratation (dewatering). La boue minérale est passée dans un concentrateur pour que les poussières décantent. Puis ces dernières font l’objet d’un séchage thermique.

Crédit : mickey // Flickr

Traitement chimique

Les poussières résultantes sont traitées chimiquement, ce qui permet de faire passer leur pureté en terres rares à 90 %. Deux méthodes sont possibles, une acide et une basique (le contraire d’acide). Les produits chimiques utilisés sont agressifs mais très ordinaires, et peuvent s’acheter dans n’importe quel magasin de bricolage. On emploie ainsi de l’acide sulfurique (H2SO4), de l’acide chlorhydrique (HCl), de l’acide nitrique (HNO3), de la soude caustique (NaOH) et des cristaux de soude (Na2CO3).

Si cette étape est aussi polluante, ce n’est donc pas tant à cause des substances utilisées que des éléments qu’elles permettent de nettoyer dans les poussières. On va ici se concentrer sur les deux principaux minerais, la monazite et la bastnäsite.

Monazite

Prenons la monazite. La méthode traditionnelle consiste à mettre la monazite dans de l’acide sulfurique très concentré et de faire mijoter le tout au four pendant plusieurs heures, à une température qui va de 120°C à 300°C selon les recettes. Le mélange est agité vigoureusement, jusqu’à ce qu’il prenne la texture d’une pâte épaisse. La pâte est retirée avant qu’elle ne durcisse et refroidie à 70°C avec de l’eau moyennement chaude.

On laisse ainsi tremper toute une journée. À la fin, on récupère la solution qui surnage (imaginez du jus de monazite) en se débarrassant des résidus — un mélange de silicium, de titane, de zircon et autres impuretés. Ce jus de monazite est très très acide, et on va l’adoucir plusieurs fois avec de l’ammoniac. Comme par magie, on verra successivement apparaître au fond du mélange un gâteau de thorium et de phosphate (radioactif, à jeter) ; un concentré de terres rares (à garder) ; et un concentré d’uranium (radioactif, à jeter aussi).

Une méthode basique, plus récente et efficace, consiste à faire cuire la monazite à 140°C (thermostat 5 sur votre four domestique) dans un bain de soude caustique, puis à refroidir la pâte résultante à 100°C avec de l’eau. Cela va faire du jus plein de phosphate, qui peut être récupéré à des fins commerciales. On rajoute de l’acide chlorhydrique pour faire apparaître du jus de lanthane, récupéré pour ses terres rares. Ne reste plus en bas que des boues de thorium, de titane et de zirconium, bien toxiques et radioactives.

Bastnäsite

La bastnäsite peut être grillée à l’acide sulfurique en étant placé à plus de 100°C. Le but est de se débarrasser du silicium et surtout du fluor, évacués via des fumées toxiques. Ce fluor est surtout présent sous forme d’acide fluorhydrique (HF) — et parfois comme acide hexafluorosilicique (H2SiF6), ce qui revient chimiquement au même.

L’acide fluorhydrique réagit avec le calcium, un élément omniprésent dans l’organisme humain. Sous forme de fumées, il peut provoquer des œdèmes pulmonaires ou rendre aveugle. Mélangé à de l’eau, il traverse facilement la peau, perturbe le fonctionnement des nerfs, et peut attaquer les os ou causer des arrêts cardiaques.

Processus de séparation

Après cette tambouille toxique — qui produit des montagnes de boues radioactives et des nuages entiers de fluor à traiter — on obtient donc un mélange de terres rares. Mais ces dernières se ressemblent toutes chimiquement. Quand on les extrait lors du traitement chimique, on les récupère toutes ensemble dans un même cocktail.

Pour les séparer, on utilise généralement divers solvants. Ceux-ci ne sont pas les produits chimiques les plus polluants, sauf quand ils contiennent du fluor (PDF), car on peut alors se retrouver avec le terrible acide fluorhydrique de tout à l’heure. L’yttrium est par exemple isolé (PDF) avec de l’acide naphthénique, le « na » du produit incendiaire napalm, dont les effets polluants se remarquent plutôt autour de l’extraction du pétrole.

C’est comme de la vinaigrette

De l’huile d’olive.

En simplifiant un peu, chaque terre rare a son solvant préféré. Imaginez que vous préparez de la vinaigrette. Vous mettez de la moutarde dans du vinaigre (mélange aqueux), puis vous rajoutez de l’huile. L’eau et l’huile ne se mélangent pas, donc si vous laissez reposer votre vinaigrette suffisamment, ça se décante : on se retrouve avec en bas le vinaigre et la moutarde, et en haut l’huile.

Il est presque étonnant que nos smartphones ne sentent pas le soufre

Dans cet exemple, les solvants sont comme l’huile et les terres rares comme la moutarde. La plupart des terres rares vont rester au fond, sauf celle qui aime bien le solvant en question et qui va remonter. En répétant le processus plusieurs fois avec des solvants différents, on peut récupérer tout à tour chaque terre rare, qui peut alors être réutilisée à des fins commerciales.

Ce n’est qu’au bout de ce processus, radioactif et plein d’acide fluorhydrique, que l’yttrium et le cérium peuvent prendre leur place dans les écrans OLED, et le néodyme et le praséodyme dans les aimants des hauts-parleurs. Autant dire qu’il est presque étonnant que — contrairement à l’air de Baotou — nos smartphones ne sentent pas le soufre.

Pour aller plus loin
Indium, yttrium… à quoi servent les métaux rares dans nos smartphones ?

 


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