Mais d’où vient Android ? Chronique d’une trépidante histoire

 
Connaissez-vous l’histoire d’Android ? Des rêves fous de General Magic à l’égide de Google, nous vous racontons l’épopée du système d’exploitation le plus populaire du monde.


Android est une success story. C’est le système d’exploitation pour consommateurs le plus utilisé au monde, avec plus de deux milliards d’utilisateurs actifs mensuels. Il est open source — son code est accessible à tous — et placé sous l’égide de Google. Sa mascotte est un petit robot vert nommé « bugdroid » et il fait probablement tourner votre téléphone.

Le dévoilement officiel d’Android date de 2007, mais l’histoire de ce système d’exploitation prend ses racines bien plus tôt, aux années 90. Pour remonter jusqu’à ces origines, on peut commencer par une réponse courte, étonnante, et quelque peu provocatrice. En une phrase et au commencement, Android vient d’Apple.

General Magic (1991) : la pomme et l’androïde

Derrière l’image lisse que Steve Jobs nous a vendue d’elle, Apple est une entreprise à l’histoire bien tortueuse et contradictoire. Start-up issue d’un milieu de hackeurs à l’idéologie proche de l’open source d’aujourd’hui, entrée presque à reculons dans le monde du business, Apple Computer avait dû son ascension foudroyante à un principe d’architecture ouverte, là où tous les autres fabricants d’ordinateurs tablaient sur des systèmes fermés (!)

Au début des années 1990, un jeune ingénieur du nom d’Andy Rubin est embauché chez Apple. Il arrive dans une entreprise qui a poussé Steve Jobs à la porte quelques années plus tôt et a compensé son style tyrannique passé en prenant une structure très « démocratique » (dans les faits, bureaucratique). Sa passion pour la robotique lui vaudra le surnom affectueux d’« Android » par ses collègues.

Andy Rubin est surnommé « Android » par ses collègues d’Apple

C’est l’époque où les grands noms de l’équipe qui avait inventé le Macintosh se réunissent autour des idées de Marc Porat, recruté par Apple pour penser l’avenir du numérique. Et le futur qu’il imagine est extraordinaire : chacun tiendrait dans sa main un minuscule ordinateur relié à un réseau informatique mondial, permettant à tout le monde de communiquer avec tout le monde, par exemple en s’échangeant des photos sur un service nommé « Facebase » (sic).

Ces idées étant trop folles pour le Apple de l’époque, la start-up General Magic naît en 1991 pour les poursuivre. Andy Rubin rejoint en 1995 cette aventure où on laisse déborder son imagination. Jeux en ligne, e-commerce, boutiques d’applications téléchargeables, messagerie avec mémos vocaux, émojis et stickers ; tous nos usages modernes y sont. Et pourtant, tous ont été imaginés avant le Web, les SMS, ou les écrans tactiles efficaces (que la start-up voit comme indispensables).

Malheureusement, les idées de General Magic sont beaucoup trop en avance sur leur temps. La première entreprise à en faire les frais sera en fait Apple, qui phagocytera le travail de ses anciens employés pour produire la Newton, fiasco hors de prix qui plongera la firme dans le chaos après 1993. La fin viendra plus lentement pour la start-up, qui après un produit raté en 1995 s’étiolera dans la deuxième moitié des années 90.

L’influence de General Magic sur la Silicon Valley sera considérable. Ses anciens employés sèmeront un peu partout les graines de ce rêve de smartphones. Parmi les plus grands succès, Pierre Omidyar fondera eBay et Tony Fadell vendra l’idée de l’iPod à Steve Jobs.

Danger Inc. (2000) : les premiers smartphones modernes

Andy Rubin quitte General Magic en 1997 pour rejoindre d’abord WebTV, la start-up fondée par son ami et collègue Steve Perlman, rencontré alors qu’ils travaillaient tous deux chez Apple. Comme son nom l’indique, WebTV est le premier service commercial à relier les télévisions à la Toile. L’entreprise est vite acquise par Microsoft, qui en fait MSN TV.

Rubin part de Microsoft en 1999 puis fonde sa propre start-up, Danger Inc., en 2000. Deux ans plus tard en 2002, l’entreprise lance son premier produit : le terminal Hiptop, aussi appelé SideKick. L’appareil tourne sous DangerOS, un système d’exploitation écrit en langage Java, et est développé au sein d’un étroit partenariat avec l’opérateur télécom américain T-Mobile.

Le Sidekick, premier « smartphone » conçu par Andy Rubin

Mais Danger peine à décoller et son conseil d’administration s’impatiente. Celui-ci éjecte Rubin de son poste en 2003 au profit d’un vétéran des télécoms. L’ingénieur décide alors de fonder une nouvelle start-up, nommé d’après ce sobriquet qu’il recevait jadis de la part de ses collègues d’Apple : Android.

Android Inc. (2003) : la start-up mystérieuse

Quand Android Inc. voit le jour en octobre 2003, c’est une start-up discrète aux activités floues, dont oncroit tout juste savoir qu’elles ont un rapport avec les appareils mobiles. Ses buts premiers sont le développement d’un système d’exploitation pour les appareils photo, avec un service cloud nommé Android Datacenter pour stocker ses photos en ligne.

Elle a d’abord du mal à attirer des investisseurs. Courant 2004, l’entreprise est sauvée par un coup de main financier de Steve Perlman, l’ami d’Andy Rubin, qui y injecte 10 000 dollars en liquide suivi d’un transfert de fonds de valeur indéterminée. Fin 2004, la start-up pivote donc vers les premiers smartphones.

Symbian était le principal système d’exploitation mobile de l’époque

« Nous avions décidé que les appareils photo n’étaient pas un marché assez grand, déclare rétrospectivement Rubin en 2013. J’étais inquiet à cause de Microsoft et de Symbian ». Symbian était le principal système d’exploitation mobile de l’époque, utilisé par plusieurs marques, mais notamment Nokia. Windows Mobile de Microsoft était un de ses concurrents, d’envergure plus modeste.

La stratégie d’Android Inc. consiste à gagner le plus possible de parts de marché avant de faire du profit grâce à des services additionnels. D’où l’intention de la start-up de rendre son système d’exploitation gratuit et open source, pour inciter les opérateurs télécoms à l’adopter.

Le projet de Rubin semble fou

Les telcos sont rois à l’époque et les persuader de partager un peu leur pouvoir sur le mobile n’est pas une mince affaire. Le projet de Rubin semble fou pour beaucoup de gens. Comme le dit un investisseur à Steve Perlman en 2003 : « Il aurait à vendre au moins un million de ces trucs pour arriver à l’équilibre. Il essaye de vider la mer à la petite cuillère. »

Google (2005) : le lancement

Android attire l’attention de Larry Page, l’un des deux cofondateurs de Google. L’autre cofondateur Sergey Brin et le CEO de l’époque, Eric Schmidt, sont tous les deux assez frileux devant l’idée du mobile. Mais Page est séduit par cette idée d’un écosystème mobile ouvert porté par Google et surtout qui permette de porter un coup aux vieux géants que sont les opérateurs télécoms.

Google rachète Android en début 2005 pour environ 50 millions de dollars et la petite équipe déménage dans le campus du Googleplex en juillet 2005. Culturellement, Rubin a du mal à s’habituer à la hiérarchie très plate de la firme de Mountain View et doit notamment laisser sa voiture de sport au garage, car considérée comme trop ostentatoire. Le reste de la start-up continue à fonctionner comme une « île », avec une culture distincte et une méfiance vis-à-vis de l’autorité de Google.

Le HTC Dream (2008), aussi appelé T-Mobile G1.

Le système d’exploitation Android est dévoilé en 2007, open source et basé sur le noyau Linux. Mais pour lancer un téléphone portant cet OS, il faut le soutien d’un opérateur, et ceux-ci ne sont guère enthousiastes à l’idée de sortir de leurs systèmes fermés. Après avoir initialement refusé au bout de six mois de négociations, T-Mobile finit par accepter — largement grâce à l’intermission du cofondateur d’Android Nick Sears, ancien haut cadre de la firme.

Les premiers appareils (2008)

Google et Android pensent pouvoir enfin souffler. Mais alors qu’ils mettent la touche finale à leur G1, un smartphone à l’apparence d’un BlackBerry, patatras : Apple révèle l’iPhone ! Rubin est très impressionné par la chose et pousse pour qu’un écran tactile soit intégré au G1, qui est lancé en 2008 sous le nom alternatif de HTC Dream. Malgré ce contretemps, l’iPhone se trouvera être bénéfique pour Android, car il déstabilise l’équilibre des puissances entre opérateurs télécoms.

Avec son système fermé et son contrôle presque total sur son produit, Apple marche directement sur les platebandes des telcos. De plus, la firme à la pomme a signé un contrat d’exclusivité avec AT&T, ce qui hérisse les concurrents de ce dernier. Quand le Motorola Droid sous Android sort en 2009, Verizon met le paquet sur la communication avec 100 millions de dollars en marketing. Ce téléphone devient ainsi le premier appareil mainstream sous cet OS.

Il faut attendre 2011 pour que Samsung se hisse à la position de premier constructeur mondial

Il faut attendre 2011 pour que Samsung, grâce à son Galaxy S2, se hisse à la position de premier constructeur mondial de smartphones Android, achevant ainsi définitivement le règne de Nokia. À partir de cette année, Android s’impose parmi les systèmes d’exploitation mobile et le paysage du smartphone prend son visage actuel.

Quant à Andy Rubin, il part de la division Android en mars 2013 pour se concentrer sur des projets « moonshot » comme les robots de Boston Dynamics. Il démissionne finalement de Google en 2014 après des accusations internes d’agression sexuelle envers une employée, empochant au passage 90 millions de dollars, et lance en 2017 sa marque de smartphones Essential.

Qu’est-ce qu’Android aujourd’hui ?

Android Oreo projet Treble

Android est soutenu par l’Open Handset Alliance (OHA), un consortium fondé par Google en novembre 2007 et regroupant 84 entreprises. Ces dernières incluent entre autres des constructeurs d’appareils, comme Samsung ou LG ; des fabricants de composants, comme ARM ou Qualcomm ; et des opérateurs télécoms, comme Vodafone ou T-Mobile. Les membres du consortium n’ont pas le droit de produire leurs propres versions concurrentes d’Android, officiellement pour éviter la fragmentation de l’écosystème, même si certains y voient une manifestation de l’hégémonie de Google.

C’est en février 2009 que sort la première mise à jour de l’OS, Android 1.1, surnommée en interne « Petit Four ». C’est le début d’une longue série de noms de pâtisseries et friandises pour chaque version d’Android, en suivant l’ordre alphabétique. Le reste de l’année voit défiler les versions 1.5 Cupcake, 1,6 Donut, et 2,0 Eclair. En 2010 arrivent les versions 2.2 Froyo et 2,3 Gingerbread. En 2011, c’est 3,0 Honeycomb et 4,0 Ice Cream Sandwich. En 2012, 4,1 Jelly Bean ; en 2013, 4,4 Kit Kat ; en 2014, 5,0 Lollipop ; en 2015, 6,0 Marshmallow ; en 2016, 7,0 Nougat ; en 2017, 8,0 Oreo ; et en 2018, 9,0 Pie.

À l’heure de l’écriture de cet article, nous attendons encore de savoir quel sera le nom officiel d’Android Q.


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