myCanal, Netflix, Molotov… Pourquoi les vidéos HD sont un sacré casse-tête sur nos smartphones Android

 
Vous êtes un utilisateur Android et vous profitez de vidéos HD sur votre service de sVOD préféré ? On peut dire que vous en avez de la chance ! Car en coulisses, il est très compliqué d’offrir une telle qualité. Entre les exigences des ayants droit et les contraintes de l’OS, les développeurs d’applications doivent faire tout un travail d’équilibristes. Nous avons pu discuter de ce sujet passionnant avec un développeur et une développeuse de myCanal.

Il fait chaud, il fait beau. La saison estivale n’est clairement pas la plus propice pour se lancer dans une réflexion ardue sur un sujet complexe et fouillis. Et pourtant… N’écoutant que mon courage malgré les températures trop extrêmes qui menaçaient de liquéfier mon cerveau, j’ai pu m’entretenir avec Lilian Katic, Android Lead Developer chez Canal+ et sa collègue Marion Hayoun, craftswoman Android que nous avions déjà eu l’occasion de rencontrer lors d’Android Makers.

Aussi vaillants que moi, les deux développeurs ont osé affronter la chaleur pour venir jusqu’aux locaux de notre rédaction afin que nous discutions d’un sujet assez méconnu, mais ô combien important : les DRM (la gestion des droits numériques en français). Plus précisément, mes interlocuteurs souhaitent sensibiliser les utilisateurs à cette problématique et surtout expliquer pourquoi certains smartphones Android n’arrivent pas à afficher des contenus sVOD en HD (720p) alors que les caractéristiques de leurs écrans devraient normalement le permettre.

Les rayons ardents du soleil ne suffisant pas à éclairer ma lanterne, j’ai pu écouter leur précieuse mise au point et c’est — comme par hasard ! — le propos de cet article. Un sujet dense qui fait intervenir des questions techniques et juridiques, mais promis : c’est simple à comprendre.

Les DRM, c’est quoi ?

Tout d’abord, qu’est-ce que l’on appelle les DRM ? Comme cela est écrit entre parenthèses deux paragraphes plus haut, ce terme désigne la gestion des droits numériques (Digital rights management). Concrètement, il s’agit d’outils de protection intégrés sur n’importe quel type d’œuvres éditées au format numérique. Les films et les morceaux de musique sont évidemment concernés, mais c’est également le cas des livres ou des jeux vidéo.

Grâce à eux (les pirates diront « à cause d’eux »), la réutilisation de l’œuvre est limitée et donc sa diffusion illégale l’est aussi. Tout bêtement, ce sont les DRM qui vous empêchent d’enregistrer une vidéo visionnée sur Netflix — ou simplement d’en faire une capture d’écran sur votre smartphone –, car les ayants droit veulent s’assurer que les utilisateurs ne s’approprient pas leurs contenus à des fins commerciales ou pour les republier sur des sites de streaming ou de téléchargement.

Pour obtenir cette capture d’écran, j’ai dû la demander aux équipes de MyCanal. Seul, je ne pouvais pas contourner le DRM.

Maintenant que l’on sait cela, passons à la partie un peu plus technique, sur Android.

Quid d’Android ?

Sur Android, l’outil de gestion des droits numériques s’appelle Widevine et est mis à disposition par Google. Or il faut savoir que sur Android, il existe deux niveaux de sécurité sur ce DRM :

  • Level 3 : ce niveau de Widevine est intégré de manière logicielle et il est fourni par défaut avec toutes les versions d’Android certifiées par Google. Widevine L3 est considéré plus vulnérable aux attaques, plus facilement piratable ;
  • Level 1 : ici le DRM Widevine est intégré matériellement sur le SoC du téléphone. Ce dernier passe tout un jeu de tests de Google pour être validé. Le niveau de sécurité est considéré significativement plus élevé.

Ces deux niveaux de sécurité sur Widevine ont un rôle-clé pour toutes les plateformes vidéo. Comme me l’expliquent Marion Hayoun et Lilian Katic, les studios de production qui possèdent les droits des films et séries estiment que Widevine L3 n’est pas assez sécurisé et ne souhaitent ainsi pas exposer leurs contenus à la diffusion en HD (720p).

Or, il n’est pas rare qu’un constructeur équipe son smartphone d’une fiche technique parfaitement capable de supporter de la HD, mais que, dans un souci d’optimiser le temps de fabrication (ou peut-être simplement par oubli, qui sait ?), il n’intègre pas Widevine L1. Au sein de la rédaction, on s’est ainsi rendu compte que le Honor 9 ou le Xiaomi Mi Mix 2 se contentaient du L3. Cela avait également été le cas du OnePlus 5T.

Quand ton smartphone n’a pas Widevine L1

Autrement dit, sur ces modèles de smartphones, il est impossible de profiter d’une vidéo en 720p sur Netflix, Molotov ou MyCanal. Sur cette dernière application, la qualité du flux est donc limitée à 576p. Ce qui, nous en conviendrons, est fort gênant lorsque l’on a un flagship entre les mains.

Lilian Katic profite de ce moment de la conversation pour affirmer qu’il faudrait une meilleure sensibilisation à ce sujet et qu’il serait intéressant d’indiquer sur la boîte du téléphone le niveau de Widevine dont il profite. Lui et Marion Hayoun estiment qu’il y a un manque de clarté pour l’utilisateur à ce niveau-là. Or, cette caractéristique est tout à fait susceptible d’influencer son choix au moment de l’achat.

À ce propos, sachez qu’il existe des applications sur le Play Store vous permettant de savoir de quel niveau de sécurité Widevine dispose votre appareil. Nous vous conseillons notamment DRM Info.

Sur DRM Info, la ligne « Security Level » indique si vous profitez de Widevine L1 ou L3.

Sur myCanal, vous pouvez également voir quel niveau de sécurité Widevine utilise votre smartphone.

Android victime de sa grandeur

Voilà donc quelques informations assez importantes à connaître, mais Android est un système d’exploitation ouvert et largement répandu. Cela fait en partie sa force, mais dans certains cas, cela rend également certains processus plus compliqués à mettre en place — suivez mon regard. Les DRM n’échappent pas à cette complexité.

Lilian Katic et Marion Hayoun me racontent ainsi qu’il n’est pas rare qu’un smartphone Android embarque Widevine L1, mais que son intégration soit buguée. En effet, pour profiter de ce niveau de sécurité, il faut surmonter les tests de Google. Cependant, il est tout à fait possible que l’appareil passe ces épreuves avec succès, mais que son intégration du DRM soit mal réalisée. Cela entraîne alors des gels de l’écran ou un décalage très désagréable entre l’image et le son.

Les utilisateurs de MyCanal ne manquent pas de remonter le problème aux équipes de Canal+ qui doivent alors s’adapter au cas par cas… Un travail long et usant si j’en crois mes deux interlocuteurs. Usuellement, les développeurs se voient obligés de désactiver la HD sur les terminaux concernés en forçant Widevine L3 pour que le service continue de fonctionner fluidement. Ils en informent également les constructeurs qui doivent alors apporter un correctif quand c’est possible.

En cas de problème, le SAV de Canal+ vous demandera souvent de passer par l’outil de debug pour forcer Widevine L3 (et donc désactiver la HD).

Et les potentielles erreurs ne s’arrêtent pas là. Les smartphones rootés posent également problème et, parfois, certaines mises à jour d’Android font apparaître ou réapparaître des bugs. Autrement dit, c’est une vraie galère.

On voit ici toute la complexité de l’écosystème Android et à quel point il est difficile pour une application comme MyCanal d’être compatible avec la totalité des modèles. À titre de comparaison, sur iOS, tout le processus est contrôlé par Apple. Les ayants droit ont plus confiance en cette intégration verticale propre à la Pomme.

A contrario, sur Android, la foultitude d’acteurs impliqués — des vendeurs de puces aux développeurs en passant par Google et les fabricants de smartphones — est forcément un frein à la cohésion. C’est d’ailleurs pour cette raison que MyCanal peut déjà fournir du Full HD (1080p) sur son app iOS alors que ce n’est pas encore disponible sur Android.

L’application Android de myCanal

Soyez patients !

Qu’on s’entende, myCanal est techniquement capable d’offrir des flux Full HD aux terminaux Android, mais les studios de production n’ont pas encore assez confiance. Pour passer cette étape, les exigences des ayants droit nécessitent des restructurations profondes de l’application qui sont actuellement en cours, mais qui demandent beaucoup de travail et donc de temps.

Lilian Katic et Marion Hayoun se veulent rassurants : les choses sont progressivement en train de changer sur leur application Android, mais nous devons faire preuve d’encore un peu de patience.

Comprenez en tout cas une chose : la qualité HD (et encore plus la Full HD) des contenus myCanal sur Android est soumise à de nombreuses conditions en coulisse. Il faut :

  • obtenir la confiance des ayants droit
  • compter sur la présence de Widevine L1 sur les terminaux
  • espérer que le DRM soit correctement intégré par les constructeurs
  • croiser les doigts pour qu’une mise à jour ne vienne pas tout casser

Je vous avais prévenu : le sujet est très dense ! Et dites-vous que je n’ai même pas abordé la question d’Android TV qui fait entrer un autre DRM (PlayReady) en jeu, et où il faut également penser à la compatibilité HDCP. Nous y reviendrons peut-être une prochaine fois.

NB. Ici, Marion Hayoun et Lilian Katic ont surtout parlé au nom des développeurs chargés de l’application Android de myCanal, mais vous pouvez estimer que leurs homologues chez Netflix et Molotov sont confrontés à des challenges plus ou moins similaires. Dans le cas de Netflix par exemple, le Full HD est disponible mais uniquement pour une liste d’appareils sélectionnés.


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