Indium, yttrium… à quoi servent les métaux rares dans nos smartphones ?

 
Ils s’appellent tantale, hafnium, praséodyme ou terbium : ces métaux exotiques à l’importance stratégique grandissante sont indispensables dans des composants de nos téléphones tels que l’écran tactile, les micros, ou les transistors. Mais à quoi servent-ils vraiment ?
Des oxydes de terres rares. Du haut et dans le sens des aiguilles d’une montre : praséodyme (noir), cérium (jaune), lanthane (crème), néodyme (gris), samarium (jaune), gadolinium (blanc). Crédit : Wikimedia Commons.

Nos appareils numériques renferment des trésors. L’électronique de pointe dépend en effet de tout un tas de métaux très différents du cuivre, de l’aluminium ou de l’acier que nous rencontrons dans la vie quotidienne. Cela pose beaucoup de questions aussi bien environnementales que géopolitiques, des mines de cobalt en République démocratique du Congo à la production chinoise de terres rares, dont Pékin menace de limiter l’export dans sa guerre commerciale avec les États-Unis.

Les fabricants de smartphones sont peu bavards concernant les métaux rares utilisés dans leurs produits. Nous avons tout de même tâché de collecter des informations sur l’usage de ces éléments exotiques dans l’électronique de tous les jours.

Qu’appelle-t-on des « métaux rares » ?

Les « métaux rares » sont une appellation un peu fourre-tout qui couvre l’essentiel des atomes situés au milieu du tableau périodique des éléments. Cela fait plusieurs dizaines de matériaux élémentaires. Certains noms, comme le cobalt tout bleu ou le très lourd tungstène, nous sont relativement familiers. Mais l’on trouve aussi des choses plus surprenantes, comme le gallium, ce métal qui fond dans la main à la même température que le chocolat (30 °C). Permettons-nous de citer parmi d’autres noms : le tantale, le niobium, l’indium, le hafnium, ou encore le palladium.

Les métaux rares les plus connus sont un groupe de 17 éléments appelés les « terres rares ». Ceux-ci ont pour la première fois été découverts par le chimiste suédois Carl Axel Arrhenius en 1787 dans une roche du village d’Ytterby, sur une île près de Stockholm. Ils représentent un groupe de métaux avec des propriétés assez similaires les uns les autres et pouvant parfois être utilisés de manière interchangeable dans des alliages.

Il s’agit du scandium, de l’yttrium (nommé d’après le village d’Ytterby), et des 15 atomes de la famille des « lanthanides » : le lanthane, le cérium, le praséodyme, le néodyme, le prométhium, le samarium, l’europium, le gadolinium, le terbium (de « Ytterby » en enlevant deux lettres), le dysprosium, le holmium, l’erbium (« Ytterby » en enlevant trois lettres), le thulium, l’ytterbium (vous l’avez ?) et le lutécium. Parmi eux, le prométhium est à part, car il est radioactif et extrêmement rare à l’état naturel, avec seulement 500 grammes éparpillés dans la totalité de la croûte terrestre ; ses utilisations sont ainsi très réduites et spéciales.

Contrairement à ce que leur nom indique, les terres rares ne sont pas « rares » sur Terre. L’yttrium est ainsi 400 fois plus abondant dans la croûte terrestre que l’argent. Mais ils sont très dispersés et ne se présentent pas sous la forme de minerais facilement exploitables. On peut les extraire dans des mines de cuivre, de zinc, ou d’uranium, mais le processus est très cher et hautement polluant. C’est pour cela que pratiquement seule la Chine assume de s’y mettre, avec un monopole à presque 100 % sur le traitement des terres rares à partir des minerais d’autres métaux.

Crédit : Compound Interest

Où en trouve-t-on dans nos smartphones ?

Écrans et LEDs

Les premiers écrans tactiles étaient résistifs, c’est-à-dire qu’il fallait physiquement appuyer dessus avec son doigt ou un stylet. Nos smartphones modernes ont des écrans capacitifs, avec un champ électrostatique qui reconnaît les perturbations causées par le simple contact de la peau. Pour que cela fonctionne, il faut revêtir l’écran d’un film qui conduit l’électricité tout en étant transparent. Ce film est fait d’oxyde d’indium-étain (abrévié « ITO »), l’indium étant issu du minerai de zinc.

Une LED est schématiquement faite d’une puce semi-conductrice, montée sur un cadre métallique et encapsulée dans un morceau de plastique transparent. Le matériau semi-conducteur de la puce est généralement un composé de gallium (extrait du minerai d’aluminium) et d’au moins un autre atome, qui va déterminer la couleur « de base » de la LED. Avec de l’arsenic combiné à du phosphore, on obtient une lumière rouge orangé, tandis qu’avec de l’azote ou de l’indium, la LED apparaît bleue.

Mais pour faire de vraies belles couleurs avec une LED, il faut enduire la puce avec des poudres de phosphore. Et là-dedans, il n’y a pas que du simple phosphore. Les couleurs sont en effet réalisées avec différents cocktails de terres rares. Le plus courant, le grenat d’yttrium et d’aluminium (« YAG ») dopé au cérium, sert à faire une couleur jaune que l’on peut par exemple rajouter sur une LED bleue (à l’indium) pour la rendre blanche. D’autres phosphores à l’yttrium ou à l’europium permettent de faire du rouge, tandis que l’europium peut aussi servir au bleu et le terbium au vert. On peut également retrouver du lanthane et du gadolinium.

Son et vibrations

Quel est le point commun entre un micro, un haut-parleur et les vibrations d’un téléphone ? Tous ces éléments ont besoin d’aimants pour fonctionner. Ce sont eux qui, grâce à leur force d’attraction, produisent les vibrations qui peuvent faire trembler l’appareil en entier — ou produire des oscillations plus fines et traduisibles en son.

Mais il n’est pas question d’utiliser pour cela les mêmes aimants que sur son réfrigérateur. Il faut des aimants minuscules, puissants, et surtout qui ne s’affaiblissent pas avec le temps. La solution la plus éprouvée en la matière est un alliage de néodyme et de praséodyme, également utilisé dans les moteurs électriques et les turbines des éoliennes. Ce mélange peut aussi inclure un peu de terbium ou de dysprosium. Le tungstène, qui est deux fois plus lourd que l’acier, sert de poids pour amplifier les vibrations.

Batteries

Les batteries omniprésentes de nos appareils sont des batteries lithium-ion. On y trouve bien sûr du lithium, métal le plus léger du monde extrait notamment d’Australie et des déserts de sel d’Amérique du Sud. Mais il y faut aussi généralement du cobalt, sous la forme de dioxyde de cobalt et de lithium (LiCoO2), pour former la cathode de la batterie.

Circuit intégré

Un circuit intégré est une plaque de matériau semi-conducteur (généralement du silicium, parfois du germanium) à la surface duquel sont reliés des transistors, petits composants à trois pattes contenant également du matériau semi-conducteur. C’est ce qu’on appelle égalemet une puce. Pour rendre le silicium conducteur d’électricité à certains endroits seulement, il faut le « doper » en y rajoutant des impuretés : du phosphore, du bore, de l’arsenic, de l’antimoine, mais aussi de l’indium ou du gallium. Dans les transistors devant opérer à très haute fréquence, tels que ceux employés pour le Wi-Fi, le Bluetooth ou la 4G, le silicium est remplacé par de l’arséniure de gallium ou du silicium-germanium.

Avec le lancement de sa génération de 45 nm en 2007, Intel a commencé à utiliser du hafnium pour isoler les portes de ses transistors. Ces derniers sont reliés entre eux sur les circuits imprimés par des films de titane et de tungstène. La miniaturisation des puces pousserait les fabricants de semi-conducteurs à remplacer le cuivre, de moins en moins pratique à l’échelle nanométrique, par du cobalt ou du ruthénium.

Circuit imprimé

Les circuits imprimés sont les plaques en résine epoxy, souvent de couleur verte, sur lesquelles on soude des composants grâce à des pistes en cuivre. L’or et l’argent ne sont pas toujours classés comme « métaux rares », mais nous avons choisi de les mentionner en raison de leur importance en électronique. Excellent conducteur électrique, l’or se retrouve donc dans les circuits imprimés, constituant notamment les fils de liaison entre le silicium et les broches des différents composants. L’argent, lui, est présent dans la plupart des résistances. On retrouve aussi dans les circuits imprimés de très petites quantités de palladium, un métal de la famille du platine.

Enfin, un des composants fréquents que l’on soude sur les circuits imprimés est le condensateur, une petite citerne à énergie électrique. Les condensateurs standard utilisent de l’aluminium, mais ceux-ci sont trop gros pour rentrer dans un smartphone. Pour en fabriquer de très petite taille, on utilise du tantale.

Tous ces métaux aux noms étranges sont donc vitaux pour nos smartphones. Mais ils le sont aussi pour de nombreuses applications de pointe en chimie et en médecine, ainsi que pour la plupart des énergies propres. C’est un comble quand l’on sait que ces ressources sont « sales » à exploiter, écologiquement et politiquement. D’où leur enjeu, qui ira sans doute en grandissant à l’avenir.


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