Comment le gouvernement compte bloquer les sites pour adultes

 
Un décret publié ce vendredi 8 octobre au journal officiel vise à contraindre les sites pornographiques à contrôler l’âge de leur utilisateur en France. Est-ce seulement faisable techniquement ?

La question du contrôle de l’âge des internautes qui consultent les sites pornographiques revient de plus en plus régulièrement dans l’actualité en France. Déjà, en juin 2020, un amendement intégré à la proposition de loi sur les violences conjugales visait à obliger les sites pour adultes ainsi que les fournisseurs d’accès Internet (FAI) à contrôler l’âge des utilisateurs. L’objectif étant clair : empêcher les mineurs de s’y aventurer.

Ce 8 octobre, un décret publié dans le journal officiel ouvre officiellement la voie à une tentative de blocage des sites pornographiques par l’État français. Si vous n’avez rien suivi, voici toute l’histoire.

Pourquoi un blocage ?

Avant toute chose, il convient de rappeler pourquoi la question du blocage se pose à nouveau, en ce mois d’octobre 2021.

Récemment, plusieurs articles se font fait l’écho d’un procès en justice, intenté par deux associations de protection de l’enfance. Ces dernières ont attaqué les principaux sites pornographiques, les accusant de ne pas vérifier l’âge des visiteurs, avec pour but ultime, leur blocage. Selon le journaliste Marc Rees de Next Inpact, qui s’est procuré le jugement, leur demande a été rejetée.

En revanche, cela ne va pas empêcher la question du blocage de se poser dans les mois à venir. Car quelques heures avant que ce jugement soit rendu, le gouvernement publiait un décret dans le journal officiel et celui-ci pourrait concrètement provoquer le blocage, du moins temporaire, de certains sites.

En clair, cette décision donne le pouvoir au Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) d’envoyer une mise en demeure aux sites pour adultes, leur demandant de se mettre en conformité avec le droit français, et donc de vérifier que les internautes ont plus de 18 ans. En théorie, les sites auront 15 jours pour obéir, au risque d’être punis de trois ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende, pour avoir enfreint l’article 227-24 du Code pénal, portant sur les infractions commises contre les mineurs.

Comment le CSA compte-t-il bloquer les sites pornographiques ?

Pour bloquer les sites pornographiques, le CSA aurait la possibilité de saisir le président du tribunal judiciaire de Paris, pour qu’il rende inaccessibles les sites. C’est bien beau, mais concrètement, comment veulent-ils s’y prendre ? Le décret autorise le blocage « par tout moyen approprié, notamment en utilisant le protocole de blocage par nom de domaine (DNS). »

Comme nous le rappelions dans notre article consacré à la panne Facebook, le DNS est le système qui permet de « traduire » une URL (ex : www.frandroid.com) en adresse IP (une série de chiffres) pour que votre navigateur sache à quel site il doit vous donner accès.

Le décret propose donc que la justice impose aux fournisseurs d’accès internet (FAI) de modifier ce DNS, rendant de fait introuvable les sites bloqués. Par ailleurs, plutôt qu’une page blanche, les internautes seront « dirigés vers une page d’information du conseil supérieur de l’audiovisuel indiquant les motifs de la mesure de blocage. »

Est-ce que c’est vraiment faisable techniquement ?

Techniquement, les fournisseurs d’accès internet (FAI) peuvent certainement rediriger les sites pour adultes vers une page du CSA. Mais est-ce une bonne idée ? Pas vraiment.

Comme l’indique Alexandre Archambault, un avocat spécialiste de la cybersécurité, sur Twitter, « c’est un peu comme si on reroutait le trafic d’un gros péage parisien à l’heure chargée des files télépéage ou CB sur une petite départementale disposant de 2 guichets : bouchon garanti, non seulement sur la départementale, mais plus en amont sur toute l’autoroute ». En d’autres termes, le risque de saturation des réseaux est très grand.

Il explique notamment que le trafic généré par les sites pornographiques est encore plus important que des sites de géant du streaming comme Netflix. De quoi poser de gros souci aux infrastructures réseau si on souhaite faire passer le débit par le mauvais tuyau en somme.

Le spécialiste conseille d’orienter les internautes vers « un trou noir », c’est-à-dire une page d’erreur, ce qui règlerait le problème. Mais ce n’est pas la solution préconisée par le décret.

Est-ce qu’il est vraiment possible de contrôler l’âge ?

C’est la grande question. Et d’une certaine manière, on peut dire que le gouvernement laisse le soin aux sites pour adultes d’y répondre.

Nos voisins britanniques ont déjà tenté de mettre en place une solution similaire via un projet de loi en avril 2019. Celui-ci a fini par être enterré en octobre 2019 devant les trop grandes difficultés techniques posées.

Car en pratique, la vérification de l’âge d’un internaute est un vrai casse-tête. Faut-il demander sa carte d’identité à chaque internaute ? Si oui, on imagine mal une solution qui ne passerait pas par un contrôle de l’État, comme France Connect, avec toutes les questions éthiques que cela pose.

Mais quand bien même la vérification serait possible, son contournement ne serait, de fait, pas si difficile. Il suffirait à un internaute d’utiliser n’importe quel VPN pour se connecter virtuellement depuis un pays qui ne vérifie pas l’âge des internautes.

Autre méthode : un simple changement de DNS pourrait permettre de contourner le blocage par les FAI. Bref, comme souvent lorsque l’État français s’attaque à une problématique sur Internet (cf. HADOPI), on a souvent un sentiment de déconnexion assez terrible.

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