« Gafam/Gamam » : déchiffrage d’une expression qui veut tout et rien dire

 
Google, Apple, Meta, Amazon et Microsoft : cinq entreprises privées qui ont formé une expression : « Gafam », ou plus récemment « Gamam ». Comment nommer ces sociétés, pourquoi en exclure certaines ? Mais surtout, ces expressions et ont-elles réellement un intérêt ?
Les Gamam // Source : Claire Braikeh pour Frandroid

« Gafa », « Gafam » ou encore « Gamam », tous ces acronymes désignent une chose : les grandes entreprises de la « tech » ou du moins du numérique. Leur puissance financière est parfois comparée à celle de pays et pas forcément à tort, au regard de leur chiffre d’affaires. D’un autre côté, l’usage de cette expression est pointé du doigt : il serait généralisant et galvaudé. Pourtant, on le trouve partout, que ce soit dans la presse, à la télévision et dans les bouches de nombreuses personnalités politiques.

De « Gafam » à « Gamam »

En octobre 2021, Mark Zuckerberg a annoncé se débarrasser du nom Facebook pour son groupe, au profit de Meta. Le PDG voulait alors mettre l’accent sur le métavers, mais aussi de rendre plus intelligible les activités du géant. En effet, Facebook (enfin Meta), c’est Facebook (le réseau social), Instagram, WhatsApp et Oculus (devenu Meta Quest), etc. Une manière aussi d’invisibiliser l’affaire des Facebook Files, une suite de révélations massives de documents internes qui compromettaient l’entreprise de Mark Zuckerberg. C’est peut-être en partie pour cela que Facebook avait précédemment changé son logo en 2019 : l’objectif officiel était alors de mieux différencier le réseau social de l’entreprise.

Ainsi le F de « Gafam » est devenu un « M ».

Dès lors, l’expression « Gafam » ne saurait plus exister, il faudrait la remplacer définitivement (jusqu’à un futur changement de nom de l’un de ses membres) par « Gamam », autrement dit : Google, Apple, Meta, Amazon et Microsoft.

Pourquoi ne pas remplacer « Google » par « Alphabet »

En partant du principe qu’on renomme les Gafam en Gamam parce que la société mère de Facebook change de nom, pourquoi ne pas changer la lettre « G » par la lettre « A », me direz-vous. D’un point de vue juridico-administratif, cela semblerait logique : Alphabet est bel et bien l’entité juridique qui contrôle Google. Mais dans la réalité, Alphabet n’existe pas en tant que marque. Pour démontrer cela, il suffit de se rendre sur son site Internet.

Le site d’Alphabet // Source : Frandroid

Aucun logo, deux uniques mentions de l’entreprise : Alphabet n’est pas une marque, dans le sens où elle ne possède pas d’identité. La seule autre page qu’on trouve sur le site, c’est celle dédiée aux investisseurs pour accéder aux résultats financiers d’Alphabet. Quand Microsoft, Apple, Amazon et Meta sont des marques, ce n’est pas le cas d’Alphabet.

Il faut cependant concéder qu’Alphabet n’a pas que pour filiale Google. Alphabet, c’est aussi le mystérieux Projet X, les voitures autonomes Waymo ou encore DeepMind (AlphaGo). Toutefois, ces projets « annexes » (au moins pour le moment) ne représentent qu’une infime part dans le chiffre d’affaires d’Alphabet, par rapport à ses activités siglées Google. Dans les résultats financiers du dernier trimestre 2022 d’Alphabet, sur les quelque 76 milliards de dollars générés, 75,1 milliards provenaient des entreprises de Google (ce qui comprend tous les services Google et Google Cloud, qui sont séparés dans ces résultats financiers) : cela représente 98,8 % dudit chiffre d’affaires. Sans Google, Alphabet n’est pas le même géant d’un point de vue économique.

Pourquoi cinq entreprises forment les Gafam/Gamam

Des entreprises riches et puissantes

Les entreprises qui composent les Gamam réalisent chaque année des chiffres d’affaires très importants, d’autant plus au regard de leur masse salariale (qui tend à diminuer). Le Blog du modérateur avait récemment réuni les chiffres d’affaires de ces entreprises durant leur dernier exercice fiscal :

  • Alphabet : 266 milliards d’euros
  • Apple : 370 milliards d’euros
  • Meta : 110 milliards d’euros
  • Amazon : 482 milliards d’euros
  • Microsoft : 186 milliards d’euros

Par ailleurs, si l’on se concentre sur l’Union européenne, on se rend compte de l’influence des produits et services des Gamam sur nous. Dans le cadre du Digital Services Act (DSA), une loi européenne censée entrer en vigueur prochainement, les entreprises du numérique ont été contraintes de publier les statistiques de fréquentation de leurs services. De quoi venir constituer un classement des plateformes les plus populaires au sein de l’UE, avec quelques surprises notamment.

Les Gamam : Google, Apple, Meta, Amazon, Microsoft // Source : Frandroid

Sur les 11 plateformes dépassant les 100 millions d’utilisateurs mensuels au sein de l’Union européenne, seules trois ne font pas partie des Gamam. Il s’agit de Wikipédia, qui n’est pas censé être contrôlé par une entité, Twitter, contrôlé par Elon Musk, ainsi que TikTok, édité par ByteDance. Les autres plateformes sont gérées par Google, Meta et Microsoft. Quant à Amazon et à Apple, aucun chiffre n’a été indiqué, on sait simplement que c’est au-dessus de 45 millions d’utilisateurs par mois. Une influence très importante que l’Union européenne tente d’ailleurs de limiter en mettant en place le Digital Markets Act (DMA), une autre loi visant à restreindre les pratiques anticoncurrentielles de ces grandes entreprises. Enfin, ce qui les regroupent, c’est le fait que toutes ces sociétés soient nées aux États-Unis et que leur sièges sociaux respectifs y sont situés.

Pourquoi il n’y a que cinq « Gamam »

Un autre élément qui fait la spécificité des Gamam par rapport aux autres entreprises, c’est qu’elles ne possèdent pas qu’une seule grande plateforme. Google, c’est le moteur de recherche, YouTube, Google Maps, etc. Apple ce sont les iPhone, les iPad, les Mac et MacBook, l’App Store, Apple Music, etc. Meta, c’est Facebook, Instagram ou encore WhatsApp. Amazon, c’est le site d’e-commerce, Prime Video, Twitch, etc. Et Microsoft, c’est Windows, des PC et tablettes, mais aussi LinkedIn ou même Bing. Cela en plus de chiffres d’affaires très importants comme nous l’avons vu.

Gafam/Gamam : un terme à utiliser avec parcimonie…

Il faut cependant reconnaître que ces expressions ont tendance à mettre beaucoup d’acteurs de côté. Mais ça tombe bien, d’autres acronymes ont été créés. Le premier, c’est « Natu » : il regroupe Netflix, Airbnb, Tesla et Uber. Il a vocation à identifier les entreprises qui possèdent une valorisation boursière très importante, surtout par rapport à leur taille réelle. Pour l’économiste Nicolas Tarnaud, « en termes de poids financier et technologique, les NATU se classent encore loin derrière les GAFAM même si elles se développent très vite comme TESLA et NETFLIX qui valent aujourd’hui plus de 100 milliards de dollars », écrivait-il en 2020 dans Forbes.

Les Natu (Netflix, Airbnb, Tesla, Uber) // Source : Frandroid

Gafam/Gamam et Natu ont toutefois tendance à mettre de côté les acteurs asiatiques (et principalement chinois). Là aussi, ça tombe bien, puisqu’un acronyme existe : les Batx. Il désigne quatre entreprises tech chinoises :

  • Baidu : moteur de recherche, l’un des sites les plus consultés en Chine
  • Alibaba : site de vente de gros, propriétaire d’Aliexpress, développeur de l’OS mobile Aliyun
  • Tencent : éditeur de WeChat, numéro un mondial du jeu vidéo
  • Xiaomi : vendeur d’électronique grand public, notamment reconnu pour ses smartphones
Les Batx (Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi) // Source : Frandroid

Selon les données de Statista, voici les chiffres d’affaires annuels réalisés par les Batx en 2021, exprimés en euros (selon le cours actuel avec les yuans, ce qui implique des valeurs qui peuvent manquer de précision) :

  • Baidu : un peu plus de 17 milliards d’euros
  • Alibaba : 98,4 milliards d’euros environ
  • Tencent : 76,8 milliards d’euros environ
  • Xiaomi : un peu plus de 45 milliards d’euros

À ceux-là, nous pourrions ajouter le chiffre d’affaires de ByteDance en 2021, éditeur de l’application TikTok, qui a réalisé un chiffre d’affaires de 54,9 milliards d’euros. Au regard des chiffres d’affaires des Gamam, les Batx sont assez loin par rapport à leurs cousins américains. Cela s’explique par le fait qu’ils s’exportent assez peu, bien qu’ils touchent une population chinoise très importante (1,4 milliard de personnes). Tencent est néanmoins à mettre à part, puisque l’entreprise possède Riot Games, mais aussi des parts importantes dans Epic Games et dans Supercell par exemple.

Le terme Gafam/Gamam peut aussi être considéré comme réducteur : thèse que défendait mon collègue Julien Cadot sur Numerama en 2017, pour qui cela peut être « une conception trop simpliste des acteurs du web. » D’autres limites existent : l’intégration d’Apple dans ce groupe peut aussi être remise en cause. La marque est principalement connue pour ses produits matériels. Si elle est un acteur important sur le serviciel (App Store, Apple Music, etc.), ce n’est pas là où elle a le plus de poids (notamment financier). Dans son dernier résultat financier en date, portant sur le premier trimestre de l’exercice 2023, s’étant terminé le 31 décembre 2022, on apprend que sur les quelques 117,2 milliards de dollars générés, seuls 20,8 provenaient des services. Si la part des services d’Apple prend de l’ampleur sur la totalité de son chiffre d’affaires, cela reste une petite part.

Pourquoi le terme « Gamam » peut être utile

Il est cependant vrai que le terme de Gafam/Gamam peut être réducteur et centré sur les marchés nord-américains et européens. Ce alors même que les internautes chinois ou indiens sont de plus en plus nombreux, grâce notamment à l’émergence de classes moyennes dans ces pays. Mais lorsqu’on parle du marché français ou européen par exemple, le terme de Gamam peut être utile pour préciser de quelle catégorie d’entreprise on parle. D’un point de vue macro-économique d’ailleurs, les Gamam restent plus gros que les Batx.

Aussi, les Gamam sont des entreprises ayant des activités de lobbying importantes auprès des autorités publiques. Ils sont par exemple dépensiers dans le lobbying auprès des responsables publics français (députés, sénateurs, Gouvernement, etc.). La Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique publie chaque année les montants dépensés par les groupes d’intérêts qui y sont enregistrés. Nous avons collecté les budgets déclarés par les Gamam pour l’année 2021 :

  • Google : entre 1,5 et 1,75 million d’euros
  • Apple : entre 200 et 300 000 euros
  • Meta : entre 400 et 500 00 euros
  • Amazon : entre 800 et 900 000 euros
  • Microsoft : entre 1 et 1,25 million d’euros

Un exercice que nous avons répété au niveau de l’Union européenne pour le dernier exercice enregistré, qui possède, elle aussi, un registre de transparence :

  • Google : entre 6 et 6,5 millions d’euros
  • Apple : entre 6,5 et 7 millions d’euros
  • Meta : entre 6 et 6,5 millions d’euros
  • Amazon : entre 3 et 3,5 millions d’euros
  • Microsoft : entre 5 et 5,5 millions d’euros

Si les montants peuvent ne pas paraître très élevés au regard des chiffres d’affaires que les Gamam peuvent générer, ils le sont par rapport aux autres organismes faisant du lobbying (cela peut aussi être des associations ou des ONG). Ces cinq entreprises font partie des douze lobbyistes les plus importants de l’Union européenne en terme de budget selon le site LobbyFacts.

L’avantage du terme Gafam/Gamam réside aussi dans sa compréhension : en le plaçant dans un titre d’article ou en introduction comme cela peut se faire dans la presse (y compris sur Frandroid), cela permet au lecteur de comprendre instantanément de quoi on parle.

« Gafam » / « Gamam » : une expression toujours utilisée ?

Ce qui fait la puissance d’un mot ou d’une expression, ce n’est pas tant sa « beauté » ou bien sa clarté, mais effectivement son usage. Plus un terme est utilisé, plus il sera utilisé, c’est (de façon très vulgarisée) comme cela que la linguistique fonctionne. Pourtant, au regard des recherches effectuées sur Google, qui peuvent donner un indice de la popularité d’une expression, les Gafam et autres Gamam sont loin de décoller.

Les recherches « Gafam » et « Gamam » sur Google // Source : Frandroid

En comparant la popularité des deux termes sur le moteur de recherche entre le 28 octobre 2021 (date de « création » de Meta) et aujourd’hui et ce dans le monde entier, on se rend compte d’une baisse significative des recherches portant sur les Gafam, tandis que celles sur les Gamam n’ont jamais vraiment décollé. À noter que Gafam et Gamam peuvent avoir d’autres significations dans certaines régions du monde.


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