Fin de uTip : « les petits créateurs pourraient disparaître sans qu’on s’en aperçoive »

 
Soudainement fermée suite à une liquidation judiciaire le 4 avril 2023, la start-up française de financement participatif uTip fait de nombreux malheureux parmi les créateurs et créatrices de contenu qui y collectait l’argent de leurs fans. Un départ forcé qui a des conséquences sur leur travail… et pourrait faire le bonheur des autres plateformes.
Après la fermeture de la plateforme de financement participatif uTip, les dons réguliers perdus par de nombreux créateurs leur empêchent de se projeter. // Source : Frandroid

L’annonce a pris de court beaucoup de créateur et créatrices de contenu. Lundi 3 avril, nous révélions que la start-up de financement participatif française uTip était en liquidation judiciaire depuis le 23 mars 2023 après que son prestataire de paiement Mangopay ait mis fin au contrat qui les liait. Quelques heures plus tard, uTip annonçait sur Twitter la fermeture effective du service dès le mardi 4 avril.

« Prévenir la veille pour le lendemain et ne même pas laisser un mois pour se retourner… Là il va y avoir des mois de mai très compliqués pour plein d’entre nous », se désole Maxime de la chaîne YouTube Spline LND.

Qu’ils soient vidéastes, streamers ou encore podcasters, de nombreux créateurs et créatrices de contenu qui dépendaient des dons mensuels versés par leurs fans via la plateforme voient leur financement se volatiliser.

Des revenus stables disparus du jour au lendemain

Car la plateforme était particulièrement pratique pour eux, permettant notamment à leurs abonnés de programmer un versement mensuel automatique pour soutenir leur activité. Pour la chaîne YouTube Stupid Economics, cela représentait « 1200 personnes qui donnaient en moyenne entre 2,30 et 2,70 euros par mois », détaille son co-fondateur Valentin Levetti. Une aide qui « aurait représenté 50 000 euros » pour 2023, soit 75 % de leurs revenus.

Même chose pour le talkshow politique Backseat sur Twitch. Son créateur Jean Massiet se désole de voir la campagne de financement de la deuxième saison de l’émission s’arrêter aux deux tiers de l’objectif final. Si les 200 000 euros déjà versés par 4000 donateurs ont bien été récupérés, le millier de dons mensuels « qui nous rapportait 9000 euros par mois » est pour l’instant perdu.

Pour Jean Massiet, la fermeture de uTip provoque surtout un problème de communication : « Il y a une grosse acculturation du public à cette plateforme, […] mais maintenant il va falloir leur dire d’aller soutenir Backseat sur une autre. En termes de communication on va repartir de zéro, on va ramer. »

Une perte au moins temporaire de revenus réguliers qui forcent aussi certains créateurs à adapter leur activité à marche forcée. Pour Stupid Economics, ses deux co-fondateurs ont décidé de mettre certains projets en pause et de geler le versement de leurs salaires de « 1000 à 1200 euros bruts » pour les prochains mois, notamment pour s’assurer de payer les autres personnes de la structure.

Les petits créateurs pourraient être les plus touchés

« Ça vient rajouter un stress, reconnaît Valentin Levetti, mais je pense surtout aux plus petits créateurs qui ne vont pas forcément focaliser les regards sur eux parce qu’ils perdent seulement 200 ou 300 euros. […] C’est peut-être eux qui vont disparaître sans que personne ne s’en aperçoive », alerte le vidéaste, également co-fondateur d’un collectif regroupant 8 autres créateurs de contenus.

Parmi eux, Maxime de la chaîne Spline LND, lancée en 2017. Bien qu’il travaille en partie bénévolement sur ce projet, le youtubeur essaye de « vivre de cette chaîne depuis 2021 », année d’ouverture de sa page uTip. « J’arrivais quasiment à 500 euros par mois, avec 171 donateurs […] C’est quasiment la totalité des revenus. »

Même s’il espère lui aussi rediriger ses abonnés vers une autre plateforme, il sait que ce ne sera pas aussi facile que pour d’autres vidéastes : « Ces 500 euros par mois, il a fallu aller les chercher euro par euro. À chaque vidéo, inciter les personnes qui le peuvent à soutenir la chaîne, faire des dons mensuels… Ça prend du temps pour arriver à ce montant-là. » Un « parcours du combattant » qui pourrait décourager définitivement ces créateurs modestes, s’inquiète Valentin Levetti.

Des concurrents imparfaits en alternative

Jean Massiet, Stupid Economics et Spline LND ont choisi la même plateforme de financement participatif comme alternative : KissKissBankBank (KKBB), une autre entreprise française, spécialisée dans les cagnottes collectives. Et tous les trois soulignent la motivation et le soutien de leur communauté respective face à cette fermeture soudaine.

Valentin Levetti se dit notamment très surpris d’avoir « déjà récupéré près de la moitié » des donateurs de uTip sur KKBB, dont certains ont même augmenté leur contribution selon lui.

D’autres créateurs ont également (re)lancé leur page sur la plateforme concurrente Tipeee, comme la podcasteuse Alice Creusot de Cinerameuf ou les youtubeurs Game Next Door. Une plateforme pourtant désavouée par de nombreux créateurs en 2021 après le financement de plusieurs projets jugés complotistes.

Des concurrents qui offrent aussi moins d’options que uTip, qui permettait à la fois de faire des paiements ponctuels, mensuels et d’acheter des produits dérivés via une boutique intégrée à la page du créateur ou de la créatrice. Le taux des frais de commission n’est pas non plus le même, forçant des créateurs à payer une seconde fois.

Courtisé par plusieurs plateformes pour y transférer sa campagne de centaines de milliers d’euros, Jean Massiet avoue avoir choisi KissKissBankBank notamment après avoir obtenu « un geste » concernant le taux de commission de son offre d’accompagnement sur KissKissBankBank.

Il assure également que la plateforme prévoirait de rajouter des fonctionnalités manquantes aux créateurs de contenus. Deux éléments qui laissent penser que KKBB cherche à récupérer la manne financière que représentent les déçus d’uTip.

Varier les sources de revenus

Reste que changer de plateforme revient à prendre un risque similaire à celui d’uTip : mettre tous ses œufs dans le même panier. Si les créateurs de contenu interrogés sont conscients de ce risque, cherchant par exemple à diversifier leurs revenus grâce à des plateformes multiples ou des aides publiques du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC), ils n’ont pas forcément le choix. Pour Maxime de Spline LND, « ceux de la publicité YouTube ne représentent quasiment rien, entre 10 et 150 euros par mois ».

D’autres créateurs de contenu tentent donc miser sur un financement participatif multiple pour donner le choix à leurs donateurs. Sur Twitter, les vidéastes de Game Next Door annonce également avoir créé des pages sur les plateformes Patreon et Ko-fi, notamment pour ceux qui ne souhaitent éviter Tipeee.

De même, les autres plateformes alternatives ne sont pas sans risque : « Pour KissKissBankBank, leur partenaire de paiement, c’est Mangopay, donc on va rester vigilant », reconnaît Valentin Levetti. À terme, Stupid Economics et leur collectif Stupmedia espèrent pouvoir développer leur propre plateforme de financement. Une solution trop chère pour Backseat et Jean Massiet, qui malgré ce prestataire commun, se dit malgré tout rassuré par la solidité de l’entreprise présente depuis 13 ans.

La pub comme revenu plus stable ?

Pour autant, la fin de la plateforme pourrait envoyer un mauvais signal aux créateurs de contenu, selon le co-fondateur de Stupid Economics : s’il notait une baisse du nombre de placements de produits depuis quelque temps, « entre l’affaire Tipeee il y a deux ans et la fermeture d’uTip, c’est possible que les créateurs reviennent vers le sponsoring en étant sûrs que ça paye et que ça ne disparaisse pas ».

Un avis que ne partagent pas Jean Massiet et Maxime de Spline LND. Pour ce dernier, « ce n’est pas le financement participatif qui n’est pas stable, ce sont les plateformes qui ne le sont pas forcément. uTip était une start-up, donc c’était un risque potentiel dont on avait plus ou moins conscience. »

Même s’il ne récupère pas le montant qu’il avait sur uTip, ce vidéaste refuse catégoriquement de faire du placement de produit à l’avenir pour ne pas « limiter [sa] liberté de contenu »… sans pour autant prévoir d’alternative pour l’instant.


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