C’est une décision de justice dangereuse, pour la petite entreprise allemande. Lundi 3 avril, l’hébergeur de site web Uberspace a été condamné par le tribunal de Hambourg pour avoir refusé de bloquer l’un de ses clients : le gestionnaire de téléchargement de vidéos en streaming YouTube-dl.
Depuis 2006, ce programme exécutable par ligne de commande est développé en open source par des bénévoles sur la plateforme collaborative GitHub. Intégralement dans le domaine public, c’est l’un des outils les plus populaires du site avec près de 120 000 fans.
Bien qu’Uberspace n’héberge qu’une page web de présentation de l’outil, redirigeant vers GitHub, la justice allemande l’a estimé responsable d’activités illégales. L’entreprise annonce faire appel et dénonce une menace de censure privée.
Trois maisons de disques contre un site web
Bien qu’un simple blocage de site par la justice n’étonnerait personne, c’est surtout le contexte de cette décision de justice qui pousse le patron d’Uberspace, Jonas Pasche, à dénoncer une procédure liberticide dans un article du média spécialisé Torrent Freak.
La condamnation fait suite à une plainte de trois maisons de disques majeures (Sony Entertainment, Warner Music Group et Universal Music) auprès de la justice allemande. Ceux-ci estiment que l’outil YouTube-dl permet notamment de télécharger des vidéos YouTube contenant des titres d’artistes signés chez eux et se rendrait donc responsable de piratage.
Le tribunal de Hambourg leur a finalement donné raison le 3 avril 2023, jugeant que « YouTube-dl violait la loi, car il contournait les mesures de protection technologiques de YouTube », précise Torrent Freak.
Mais surtout, le juge estime qu’en hébergeant le site de YouTube-dl, Uberspace est légalement responsable de son activité dite « illégale » s’il refuse de mettre le site hors-ligne sur demande des ayants droit.
Télécharger YouTube n’est pas forcément illégal
Pour Jonas Pasche, c’est cette justification qui ouvre la porte à un risque de censure bien plus large. D’abord, il conteste la base même de la décision de la justice allemande : le caractère illégal de YouTube-dl, que l’entreprise avait défendu face au juge comme pouvant « être utilisé à d’innombrables fins », citant par exemple l’ONG de défense des droits humains Amnesty International qui recommande son usage pour « documenter ou conserver des preuves ».
Mais surtout, il estime qu’un hébergeur devrait pouvoir refuser une demande de suppression d’un site web si elle doute de son caractère illicite. C’est d’ailleurs ce qu’a fait Uberspace : après cette demande, l’entreprise a tenté de vérifier si télécharger des vidéos YouTube était illégal, autant par articles de presse qu’auprès d’experts et d’avocats spécialisés en droit du numérique… pour finalement arriver à la conclusion inverse.
Du fait de sa condamnation malgré ce flou juridique, Jonas Pasche alerte sur le danger qu’elle représente : à l’avenir, des sociétés privées pourraient obliger d’autres hébergeurs à s’autocensurer dans un cas similaire.
« Ils se diront que c’est peut-être illégal, alors mieux vaut s’en débarrasser, sans ordonnance du tribunal. […] Qu’ils risquent de devoir payer des dommages et intérêts pour les avoir aidés », prévoit le patron allemand.
S’attaquer au petit hébergeur plutôt qu’à Microsoft
Ce n’est pas vraiment la première fois que les ayants droit s’attaquent à YouTube-dl. Si les maisons de disque s’attaquent au simple hébergeur du site web de l’outil de téléchargement de vidéos, c’est parce qu’ils ont d’abord échoué à faire tomber sa principale source de développement : sa page GitHub.
En octobre 2020, l’association américaine de défense de l’industrie du disque (RIAA) avait tenté de faire supprimer la page du programme sur le site, avant d’abandonner face à l’opposition de la direction de GitHub, soutenue par une puissante ONG de conseils légaux sur les droits numériques.
Si Uberspace était également soutenu par une organisation allemande spécialisée, ça n’a pas suffi à convaincre le tribunal de Hambourg. Pour le patron de l’entreprise, les ayants droit ont préféré s’attaquer à « une cible facile » plutôt qu’à la plateforme détenue par le géant Microsoft : « c’est exactement le comportement des petites brutes. »
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