Pourquoi je ne crois plus au financement participatif

 
Prizm est le premier projet de financement participatif (crowdfunding) auquel j’ai participé. Mais c’est aussi le dernier, du moins dans le domaine des nouvelles technologies. L’attente interminable qui débouche sur une véritable frustration aura eu raison de moi et je considère désormais le financement participatif comme un genre d’alternative aux campagnes de publicité.
Prizm

Le financement participatif part d’une très belle intention, dans le cadre de l’économie collaborative. Il s’agit en effet de financer tout ou partie d’un projet – qu’il soit commercial – un produit, un service, etc. – ou totalement désintéressé comme un projet humanitaire ou associatif – grâce à l’argent de dizaines, centaines voire milliers de participants. Il s’agit dans l’immense majorité des cas de particuliers comme vous et moi qui vont apporter leur pierre à l’édifice avec une certaine somme d’argent : 182 dollars en moyenne par contributeur chez Kickstarter en France en 2014.

Parfois, la participation au projet donnera le droit à des contreparties, comme un nom dans le générique d’un film, des t-shirts à l’effigie de la marque ou encore une rencontre avec l’équipe. Dans le domaine des nouvelles technologies, et plus généralement pour la majorité des projets de financement qui ont pour objet un produit, la contrepartie sera le produit lui-même. C’est ce qui s’est passé pour Prizm : j’ai participé à hauteur de 139 dollars au financement du projet en novembre 2014, en contrepartie de quoi, j’étais censé recevoir le produit en juin 2015. Nous sommes en janvier 2016, et je n’ai toujours pas reçu mon Prizm.

 

L’ascenseur émotionnel

prizm

Je n’ai pas été le seul à participer au financement de Prizm puisque l’équipe a reçu environ 160 000 dollars de 1208 contributeurs (backers) pour un objectif de 70 000 dollars. Après avoir participé au projet, j’étais tout excité à l’idée de rendre connectée ma vieille paire d’enceintes stéréo. J’ai lu, et relu encore la page du projet Kickstarter et je regardais en boucle la vidéo de présentation du produit. Prizm allait changer ma vie ! J’allais enfin pouvoir passer du bon son dans mon appartement, quelle que soit l’ambiance (soirée entre potes, soirée en amoureux, etc.) et les personnes présentes dans la pièce.

Un an et trois mois plus tard, ma paire d’enceintes stéréo prend toujours la poussière alors que mes collègues et leur Chromecast Audio me font secrètement rêver. Pourquoi ne pas avoir acheté ce petit appareil, qui ne coûte que 35 euros, lors de sa sortie ? Tout simplement parce que mon Prizm était censé arriver d’un jour à l’autre, et que je n’allais donc pas m’encombrer d’un appareil qui allait vite devenir inutile.

Mais trois mois après la sortie du Chromecast Audio – qui lui aussi permet de rendre sa vieille paire d’enceintes connectées -, le Prizm n’est pas encore arrivé chez moi, la faute à des retards successifs : les livraisons sont ainsi passées du mois de juin au mois d’octobre (à cause d’un programme de bêta-test logiciel qui n’avait pas été prévu), puis du mois d’octobre au mois de novembre (à cause de problèmes de la production), puis du mois de novembre au mois de décembre (toujours pour des soucis de production), du mois de décembre au mois de janvier (pour les mêmes raisons) et enfin du mois de janvier à la fin du mois de février (à cause du Nouvel An chinois). Cinq annonces de retard, c’est cinq fois plus de frustration et autant de moqueries de la part de mes collègues, hilares, à chaque lecture du mail d’annonce qui ne manquait pas de tomber.

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Une sueur froide à chaque ouverture de mail…

J’ai donc hésité, à plusieurs reprises, à m’acheter un Chromecast Audio, en attendant. Mais deux raisons m’ont poussé à ne pas faire ce choix : la sortie « imminente » du Prizm, et l’absence de fonctionnalités « intelligentes » du dongle de Google face au Prizm. En effet, ce dernier dispose d’algorithmes pour lancer la bonne musique, au bon moment, avec les bonnes personnes. Mais selon nos sources, cet algorithme ne serait pas encore totalement au point, et il faudrait donc se contenter de profiter des playlists créées manuellement sur Spotify, Soundcloud et Deezer. Pourtant, l’algorithme de Prizm est la signature même du produit, sa raison d’être, permettant de découvrir de nouvelles chansons selon l’humeur, l’heure de la journée, les personnes présentes dans la pièce et l’ambiance.

Droit de réponse : Suite à la parution de l’article, Prizm nous a contactés. L’équipe assure que les « algorithmes génèrent un flux continu de musiques, nouvelles, basé sur les goûts et habitudes des personnes détectés » et précise « Prizm scanne les playlists des utilisateurs pour initialiser leur profil musical Prizm. Nos algorithmes affinent les profils et permettent de générer un flux de musique dynamique et personnalisé, intégrant de nouveaux titres. La recommandation est personnalisée dès le départ grâce à cette initialisation. L’apprentissage se fait grâce aux feedbacks et aux informations de contexte pour améliorer les recommandations par la suite. » Les algorithmes seraient donc bel et bien prêts.

 

Des projets abandonnés ou décevants

Si vous êtes arrivé jusqu’ici, vous comprendrez alors un peu mieux ma frustration. Malheureusement, Prizm n’est pas un cas isolé, loin de là. D’ailleurs, Prizm finira par sortir, et avec un peu de chance, l’ensemble des fonctionnalités prévues dès le départ pourra être présent sur le produit au gré des mises à jour. Mais ce n’est pas le cas d’autres produits, qui ne sortiront jamais, à l’image du mini drone Zano dont la conception a été annulée alors que l’entreprise avait livré quelques précommandes, mais pas les backers de la première heure.

https://www.youtube.com/watch?v=DUWDKxhkHNg

En parlant de drone, il y a également le cas du drone Hexo+, un projet de financement participatif français à l’image de Prizm, qui m’a clairement déçu. Lors du financement du projet (plus de 1,3 million de dollars sur un objectif de 50 000 dollars) en juillet 2014, le Hexo+ était le seul dans son genre : un drone autonome capable de suivre à la trace son « pilote » pour réaliser de superbes plans vidéo. Mais plus d’un an après, à la suite d’un retard de livraison d’environ cinq mois, l’Hexo+ laisse un petit goût d’amertume.

Il fonctionne à merveille, là n’est pas le problème, mais sa conception et sa finition laissent clairement à désirer. Le plastique fait cheap, les câbles sont apparents et le logement de la batterie semble pouvoir tomber à tout moment. Pour plus de 1 000 dollars, on a vu mieux, beaucoup mieux. De plus, quelques drones – à l’image du 3DR Solo – ont été disponibles avant l’Hexo+, avec quasiment les mêmes fonctionnalités.

 

Les retards habituels

Cet édito n’est pas vraiment un coup de gueule contre le Prizm et l’Hexo+ puisqu’ils n’ont rien de cas isolés. Dans la rédaction, des dizaines de projets ont été backés : certains ont été livrés, la majorité en retard, et d’autres ont carrément été annulés. Alors oui, en tant que backers, nous ne sommes pas uniquement des clients, mais aussi des investisseurs, et à ce titre, nous supportons une partie du risque de l’entreprise. Mais dans la plupart des cas, la communication autour du projet frustre les backers et le retard pris dans les livraisons et le développement d’éventuelles fonctionnalités font de projets alléchants des produits presque dépassés à leur sortie.

Zano drone
Le drone Zano ne verra jamais le jour malgré les 3 millions d’euros récoltés

 

De la publicité à la précommande

La publicité déguisée

Pour son Ubuntu Edge, Canonical demandait 32 millions de dollars sur Indiegogo. La campagne n’est pas arrivée à son terme – avec 13 millions de dollars récoltés -, mais a permis à Canonical de réaliser un beau coup de pub. Son patron ne s’en cache pas et considère que la campagne, sciemment vouée à l’échec,ù a permis à l’entreprise de se faire connaître auprès des investisseurs et du grand public.

Le financement participatif a le mérite de faire connaître des produits avant leur conception et l’on peut légitimement se demander si les campagnes de financement participatif ne sont pas uniquement des alternatives (peu coûteuses) à la publicité classique. Certaines entreprises n’ont pas besoin du financement participatif pour lancer une production, mais s’en servent comme moyen de communication : Pebble, qui s’est initialement fait connaître sur Kickstarter, a délibérément choisi de positionner ses produits suivants sur Kickstarter pour en faire rapidement la publicité. Il ne s’agissait plus de financer les appareils, mais plutôt d’en proposer des précommandes.

D’autres n’hésitent d’ailleurs pas à sortir de l’argent de leur poche pour boucler une campagne de financement afin de bénéficier du petit macaron « financé avec Kickstarter » qui lui assurera une couverture médiatique plus large. Mais malheureusement, les poids lourds de l’industrie des nouvelles technologies parviennent bien souvent à proposer mieux, pour moins cher, avec quelques mois d’avance. Bien souvent, ces entreprises ne communiquent pas des mois à l’avance, et tentent de faire en sorte que la sortie de leur appareil produise un effet de surprise, avec une disponibilité rapide.

Kickstarter

C’est ici peut-être tout le problème du financement participatif : on montre aux backers un produit un an, voire deux ans avant sa réelle disponibilité. Entre temps, les concurrents ont le temps de répliquer, et les fonctions présentées au début du projet peuvent avoir du mal à être mises en place, voire être tout simplement annulées. Dans l’industrie des nouvelles technologies, le financement participatif est souvent perçu comme une précommande, contrairement à d’autres industries comme le spectacle, et on s’attend donc à recevoir, à l’heure, un produit parfaitement fonctionnel.

 

De la naïveté au désintérêt

Doit-on douter de l’intérêt du financement participatif, du moins dans l’industrie des nouvelles technologies ? Il ne faut pas oublier l’aspect émotionnel du financement participatif qui nous permet, au choix, de pardonner ou de détester l’entreprise en cas de soucis industriels. Participer à un projet de la sorte, c’est souvent montrer un intérêt fort envers les valeurs du produit et de l’équipe, et on espère backer un projet qui ne pourrait pas exister sans ce financement participatif. Malheureusement, c’est bien souvent faux, et c’est notre naïveté qui nous pousse à minimiser les risques inhérents à ce type de financement et mettre en avant les « arguments positifs » pour nous convaincre de nous lancer.

Vous êtes désormais prévenus : si vous backez un projet dans le domaine des nouvelles technologies qui vous semble être vraiment une bonne idée, soyez presque certain que vous le verrez sortir quelques mois avant par le biais d’une entreprise qui aura fait appel à un financement plus classique. Si le projet ne réussit pas, à de très rares cas près, c’est tout simplement que l’idée était mauvaise.

Dans le domaine des nouvelles technologies, à quoi sert le financement participatif, si ce n’est donner davantage de chance à une entreprise de se faire connaître auprès de poids lourds de l’investissement ? Cela n’a rien de répréhensible, mais dans ce cas, les délais annoncés n’ont aucune chance d’être respectés, puisqu’ils ne sont pas liés à la seule réussite des campagnes de financement.


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