Reconnaissance faciale : des pubs ciblées rien que pour vos yeux ?

 
La reconnaissance du visage apporte des possibilités intéressantes aux développeurs, au delà du fait de faire parler des emoji. Mais analyser les expressions et les émotions de l’utilisateur implique aussi des risques d’abus, notamment à des visées commerciales.

Votre visage exploité par les développeurs ?

La caméra frontale de l’iPhone X fait logiquement parler d’elle et suscite des inquiétudes de la part des professionnels de la sécurité. Pas forcément pour la fonctionnalité la plus emblématique. Le déverrouillage via Face ID est visiblement fiable et bien protégé. Lors de la présentation de l’iPhone X, Apple a lourdement insisté sur la précision de Face ID, beaucoup plus compliqué à tromper, selon le constructeur, qu’un capteur d’empreinte digitale, même avec un masque réalisé par des professionnels du cinéma. Et surtout, les informations recueillies, le modèle 3D du visage que l’on enregistre au premier démarrage de l’appareil, reste dans une zone sécurisée du téléphone, impossible à partager. Le plus grand risque que vous encourez est sans doute d’avoir un vrai jumeau facétieux.

La caméra TrueDepth, en revanche, ne sert pas que pour Face ID. Elle est également utilisée pour des opérations plus « banales » de reconnaissance des traits du visage, et bénéficie dans ce cas d’API pouvant être exploitées par les développeurs. Ce sont ces mêmes API qui vous permettent de vous transformer en Animoji, ou de bénéficier de filtres encore plus précis dans Snapchat. Et les éditeurs d’applications tierces proposées sur l’App Store ont ainsi le droit d’utiliser, avec votre accord bien sûr, des représentations de votre visage, selon une enquête de Reuters sur les risques de la politique d’Apple autour de ces données.

Remarquez que ça n’a rien de vraiment spécifique à la firme de Cupertino : en pratique, TrueDepth ne fait que détecter les expressions des visages avec plus de précision qu’une simple webcam. Simplement, il s’agit actuellement du fabricant de smartphone le plus en avance sur ce point, et il l’intègre à un produit grand public. Les réflexions que cela implique sur la protection de la vie privée sont donc réelles, et les tentations ne sont pas nouvelles.

Kinect : le spectre de Big Brother dans le salon

Il ne faut pas chercher bien loin d’ailleurs : la technologie utilisée par Apple est issue du rachat de PrimeSense, l’entreprise qui avait conçu le capteur Kinect de Microsoft. Une belle idée, tellement belle que pour le successeur de la Xbox 360, Microsoft a imaginé une console entièrement basée sur Kinect, qui resterait actif en permanence, capable de détecter votre voie et vos mouvements. Et que diable, pourquoi pas de détecter vos réactions pendant le visionnage de publicités ? C’est une idée qui avait été évoquée par Yusuf Mehdi, vice président de la division « Windows and Devices » lors d’une conférence sur la publicité numérique. Deux ans plus tôt, un brevet de publicité interactive utilisant Kinect avait également été déposé par Microsoft. Finalement, rien n’a jamais été développé en ce sens, mais cette crainte a fait partie des facteurs qui ont plombé l’avenir du périphérique.

La caméra TrueDepth est un petit Kinect miniature qui se concentre, lui, sur les expressions faciales. Et quoi de mieux, pour analyser vos réactions face à une publicité, que de regarder comment se comporte votre visage ? Cibler une pub selon vos expressions ou, pire, vous forcer à la regarder en la mettant sur pause quand vous détournez le regard… Il y a de quoi imaginer nombre de scénarios potentiels.

Des garde fous indispensables

Pour aller à l’encontre de ces abus, les gérants des plateformes d’applications vont devoir poser des garde fous. Chez Apple, on interdit officiellement l’usage des API de TrueDepth à des fins de marketing, et la revente des données à des cabinets d’analyse. C’est la moindre des choses, mais Reuters s’inquiète malgré tout. Il est évident qu’un Facebook, un Amazon ou toute application « sérieuse » ne franchira jamais cette ligne de peur de passer à la trappe. Mais qu’en sera-t-il des fonds de tiroir qui échappent parfois au processus de validation ? Et quand l’équivalent de la caméra d’Apple trouvera son chemin sur les fleurons 2018 des constructeurs Android – Samsung, Xiaomi et Oppo seraient déjà en train de décortiquer le capteur – les conditions seront-elles réunies pour protéger les utilisateurs ?

Céder à la paranoïa et recouvrir la caméra frontale d’un bout de ruban adhésif noir est sans doute prématuré. Remarquez, ça ne se verrait presque pas. Néanmoins, il n’est pas anodin de se poser ces questions, et d’exiger de la part des éditeurs d’application qu’ils n’abusent pas de fonctionnalités plutôt sympathiques quand on se contente de les utiliser pour se transformer en chat qui parle.


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