Tesla et les promesses manquées : Elon Musk est-il encore crédible ?

 
Le PDG de Tesla, Elon Musk, est bien connu pour son enthousiasme légendaire quand il s’agit de conduite autonome ou encore de délais à tenir. Mais parfois, son excès a des conséquences négatives, allant de la simple déception de certains clients à des pertes de crédibilité auprès du public. Pourquoi l’homme derrière Tesla continue-t-il de prédire l’impossible ?

Depuis de longues années, chaque sortie médiatique d’Elon Musk fait l’effet d’un tremblement de terre. Cela n’a parfois pas beaucoup de fondement, mais régulièrement, il se permet d’annoncer des délais relatifs à des produits ou à des fonctionnalités à venir qui ne sont jamais respectés.

Annonce après annonce, certains préfèrent ne plus croire aux promesses de Musk, afin de ne pas être une énième fois déçu. Nous faisons dans ce dossier un tour d’horizon des différentes dates butoirs qui ont été manquées, et tentons d’apporter une explication à sa manière très optimiste de voir les choses.

Les véhicules autonomes, c’est pour cette année (depuis 4 ans)

Les promesses d’Elon Musk concernant les Tesla 100 % autonomes ne datent pas d’hier. En effet, dès la fin de l’année 2016, Tesla met en vente une option dénommée « Capacité de Conduite entièrement autonome » (Full Self-Driving Capability ou FSD en anglais), avec une démonstration d’un trajet 100 % autonome entre New York et Los Angeles promise pour la fin de l’année 2017.

Elon Musk : Je pense que nous pourrons traverser le pays en complète autonomie de Los Angeles à New York, d’ici la fin de l’année
Chris Anderson : Vous dites donc, que d’ici la fin de l’année, quelqu’un s’assiéra dans une Tesla, ne touchera pas le volant. Il tapera « New York », et en route !
Elon Musk : Oui.
Extrait du TED Talk d’avril 2017 ayant pour invité Elon Musk

Cela va sans dire, cette démonstration n’a jamais eu lieu. Cela ne signifie pas pour autant qu’il n’y a pas eu de progrès sur le sujet de la part de Tesla, mais celui qui a acheté un véhicule de la marque suite aux déclarations qui ont été faites par Elon Musk à ce moment-là ne peut que constater que ce n’est toujours pas possible.

Depuis 2016, une vidéo réalisée par Tesla montre ce dont les véhicules seraient capables. Une demi-décennie plus tard, il est toujours impossible pour un possesseur de Tesla d’accéder à toutes les capacités présentées dans la démonstration ci-dessous.

Depuis plus de 4 ans, il est régulièrement rappelé par Elon Musk que la conduite autonome arrive bientôt, et que les Tesla pourront faire n’importe quel trajet, dans n’importe quelles circonstances, d’ici la fin de l’année. Ce fut le cas en 2017 comme nous l’avons vu plus haut. Mais en 2018, Tesla a décidé de retirer l’option « Capacité de Conduite entièrement autonome » de son configurateur en ligne, car cela créait trop de confusion selon son PDG.

Nous apprendrons quelques mois plus tard qu’il s’agissait en fait d’une préparation pour le futur ordinateur de conduite entièrement autonome développé par Tesla, qui s’était rendu compte que le hardware équipant ses véhicules ne serait pas suffisant pour arriver à une conduite 100 % autonome. Présenté en avril 2019, après des mois de rumeurs à son sujet, le fameux FSD Computer (Ordinateur de Conduite entièrement autonome en français) était la star du Tesla Autonomy Day.

Outre la démonstration en vidéo lors de l’événement d’avril 2019 — ce que les voitures actuelles ne peuvent toujours pas faire –, Elon Musk en a profité pour insister sur le futur des véhicules autonomes de la marque, avec beaucoup de confiance.

Nous nous attendons à avoir toutes les fonctionnalités de la conduite autonome cette année. Et nous nous attendons à ce que le FSD soit assez sûr de notre point de vue pour dire que nous pensons que personne n’a besoin de toucher le volant, probablement autour du deuxième trimestre de l’année prochaine.
Elon Musk, Tesla Autonomy Day, 22 avril 2019

L’année 2019 s’est écoulée, et une fois de plus la réalité a rattrapé les promesses. Ce n’est pas avant la toute fin de l’année 2020 que Tesla a pu montrer un avant-goût de la conduite autonome, sous la forme du FSD bêta qui est déployé aux USA. Mais encore, d’après un rapport du département des véhicules motorisés aux USA, seuls 824 véhicules possèdent cette version bêta qui fait tant parler d’elle. Et parmi ces 824 véhicules, seuls 71 ne sont pas des véhicules de personnes travaillant chez Tesla.

Ainsi, à la veille de la mi-2021, ce qui se rapproche le plus de la promesse de conduite entièrement autonome qui devrait être entre les mains de tous les possesseurs de Tesla depuis des années, c’est une version en bêta utilisée par 71 personnes n’étant pas employée par la marque. Cela n’empêche toujours pas Elon Musk d’affirmer sur Twitter que la prochaine mise à jour va vous retourner le cerveau dans 10 jours, puis dans quelques semaines, voire quelques mois, tant elle est exceptionnelle.

Tesla Roadster, Model S 2021 et autres dates manquées

Lors de la présentation du semi-remorque de Tesla en novembre 2017, une petite surprise est arrivée en toute fin de conférence : la Tesla Roadster. Cette supercar électrique devait redéfinir ce que l’on considérait comme étant les meilleures caractéristiques techniques possibles pour une voiture, quelle qu’elle soit. Autonomie de plus de 1 000 kilomètres, accélération démentielle avec un 0 à 100 km/h sous les 2 secondes, et une vitesse maximale dépassant les 400 km/h.

La Tesla Roadster, présentée en novembre 2017

Promise pour l’année 2020, la Tesla Roadster n’a toujours pas vu le jour sous une autre forme qu’un prototype qui navigue entre différents salons d’exposition. Les quelque 250 000 dollars demandés pour la réserver dans son édition limitée que certains ont donné à Tesla il y a plus de trois ans n’ont pas encore permis de pouvoir la conduire. Et si l’on en croit les dernières nouvelles, il ne faut pas s’attendre à voir la supercar avant la fin de l’année 2022.

Cet écart de plus de deux ans entre ce qui était annoncé au départ et ce qu’il va réellement se passer avec la Tesla Roadster n’a pas empêché Elon Musk de continuer à avancer des dates fantaisistes pour d’autres véhicules de la marque. La dernière en date, la Tesla Model S version 2021, devait être livrée dès le tout début de l’année si l’on en croit le Technoking.

Bien entendu, les mois ont passé et aucune Model S n’a été livrée. Pire même, aucune Tesla Model S ou Model X n’a été produite durant le premier trimestre 2021. Toutefois, avec quatre mois de retard, les premiers modèles vont tout de même être remis aux propriétaires lors d’un événement spécial qui aura lieu le 3 juin 2021 à Fremont.

N’aurait-il pas été plus simple pour Elon Musk et Tesla d’affirmer que les véhicules arriveront mi-2021 dès le départ, quitte à être en avance sur le planning, donnant l’impression aux acheteurs que tout va pour le mieux, plutôt que de les faire patienter sans aucune information jusqu’au dernier moment ?

Le Tesla Cybertruck, présenté en novembre 2019

Pire, pour les véhicules à venir, qui aujourd’hui peut encore croire ce qui est annoncé sur le site Tesla ou par Elon Musk ? Combien ont réservé leur Cybertruck en novembre 2019 en pensant réellement l’avoir en 2021 ? Les retards semblent malheureusement s’accumuler sur tous les fronts, et la Model Y promise pour l’Europe en 2021 grâce à la Gigafactory de Berlin ne devrait pas non plus arriver à temps.

Ce qui pousse Elon Musk a être optimiste

Si son excès d’optimisme peut être irritant, Elon Musk est-il pour autant délibérément un menteur ? Sans doute que non. En effet, lorsqu’il partage une date future à laquelle devrait être disponible un produit ou une fonctionnalité, lui et toute son équipe vont travailler d’arrache-pied pour tenter de réaliser sa prévision, même si cela implique de dormir à l’usine pour qu’il puisse lui-même solutionner des soucis de production.

Traduction du tweet ci-dessus : « Soit dit en passant, je voulais exprimer à quel point j’apprécie le travail de toute l’équipe de la Gigafactory. La raison pour laquelle j’ai campé sur le toit, c’est que ça prenait moins de temps que d’aller à un hôtel à Reno. L’enfer de la production, huitième étape… »

Les dates butoirs partagées par Elon Musk sont extrêmement optimistes, mais l’histoire montre qu’il finit tout de même par réaliser ce qu’il avait annoncé. Il n’y a qu’à remonter au fameux Masterplan de Tesla qui est disponible depuis 15 ans sur leur site pour remarquer qu’il a bel et bien réalisé ce qu’il avait annoncé.

Les délais n’ont jamais été tenus, mais la première Model S est sortie et a été un franc succès, suivi de la Model 3 qui bat des records de vente depuis plusieurs trimestres, et Tesla propose des solutions pour produire de l’électricité à partir de l’énergie solaire, comme annoncé en 2006.

Promettre l’impossible, une recette qui fonctionne

Beaucoup ont essayé de théoriser ce qu’il se passe dans la tête d’Elon Musk, pour comprendre pourquoi l’intéressé annonce encore et toujours des dates butoirs qui semblent inatteignables. Et la conclusion est souvent la même : c’est l’une des raisons de son succès.

Il n’empêche, Elon Musk est un homme pressé. Terriblement pressé. « Tout ce qu’il fait, il le fait vite. Il pisse vite. Il est comme une pompe à incendie, trois secondes et c’est fini. Il vit authentiquement dans la hâte », racontait Kevin Brogan, ancien ingénieur de SpaceX qui côtoyait E. Musk à l’époque, dans la biographie Elon Musk, Tesla, Paypal, SpaceX, l’entrepreneur qui va changer le monde.

Et l’intéressé de poursuivre : « Elon Musk a toujours été optimiste. C’est la manière aimable de le dire. Il est capable de mentir effrontément à propos de délais. Il indique la chronologie la plus ambitieuse qu’on puisse imaginer en présumant que tout ira bien, puis il la raccourcit encore en considérant que tout le monde peut travailler plus dur ».

Depuis de longues années, les résultats d’une entreprise cotée en bourse sont évalués chaque trimestre. Ainsi, il est habituel pour les grosses firmes de ne pas prendre le risque d’annoncer un produit pour le prochain trimestre s’il n’est pas certain qu’il sera disponible, sous peine de voir une réaction négative des marchés.

Tesla
Tesla Annonce une voiture à 25 000 dollars pour le futur

Elon Musk, quant à lui, ne pense pas de cette manière. Il ne va pas s’attaquer à des problématiques qui peuvent être solutionnées en un trimestre. Lorsqu’en 2016 il faisait l’apologie de la conduite autonome, en affirmant encore l’année suivante que ce serait disponible sous quelques mois, peut-être qu’il n’y croyait pas lui-même. Mais ce n’est pas l’important. Ce qui est primordial, c’est de motiver énormément de monde pour travailler dur et essayer d’atteindre les objectifs qu’il fixe.

Imaginons qu’en 2016, Elon Musk annonçait publiquement que la conduite autonome est un sujet très difficile, qui ne sera solutionné qu’en 2030. Qui va décider de travailler sur ce sujet, en sachant qu’il n’y aura pas de finalité avant presque 15 années ? C’est peut-être réaliste, mais cela ne mobilisera pas les ressources nécessaires à temps, et la conséquence sera serait la suivante : la conduite autonome arriverait sans doute encore plus tard qu’en 2030, faute de motivation suffisante.

Il est nécessaire que les personnes impliquées soient très optimistes pour que toute l’équipe travaillant sur le sujet soit excitée de faire partie du projet. Les objectifs que partage Elon Musk sont souvent impossibles à atteindre dans les temps, mais ils passionnent les foules et les personnes qui travaillent avec lui. Au final, s’il promet la Lune dans 6 mois, mais qu’il nous offre la Lune dans 5 ans seulement, on aura quand même reçu la Lune en cadeau, et c’est ce qui compte.

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