Le Tribunal de la Cour de justice de l’Union européenne (aussi appelé le tribunal de l’Union européenne) a rendu ce 15 juin un arrêt annulant la décision de la Commission européenne infligeant une amende de plus de 997 millions d’euros à Qualcomm pour abus de position dominante. En cause, « plusieurs irrégularités procédurales ont affecté les droits de la défense de Qualcomm » selon le Tribunal. Si l’amende était une décision historique, son annulation l’est tout autant.
Le rappel des faits : Qualcomm condamné par la Commission en 2018
Revenons aux faits originels. En janvier 2018, la Commission européenne condamnait Qualcomm pour abus de position dominante avec une amende salée. Elle a conclu que Qualcomm avait consolidé illégalement sa position dominante sur le marché des modems 4G. Le constructeur a versé des milliards de dollars à Apple afin que ce dernier n’utilise que des puces Qualcomm dans ses iPhone et iPad. Un accord entre les deux géants avait été signé en 2011 et « indiquait clairement que Qualcomm cesserait de verser de l’argent à la marque à la Pomme si celle-ci commercialisait un produit équipé d’un modem fourni par un concurrent », écrivions-nous. Une amende de 997 millions d’euros avait alors été décidée, ce qui représentait 4,9% du chiffre d’affaires de Qualcomm en 2017.
Une décision à laquelle l’entreprise a fait appel quelques heures après son annonce. Elle a invoqué l’article 263 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne (TFUE), qui « permet d’intenter un recours devant la Cour de justice de l’Union européenne […] pour contester la légalité des actes juridiques de l’Union Européenne (UE) ».
Des « irrégularités procédurales » à l’origine de l’annulation de l’amende de Qualcomm
Pour appuyer sa décision, le Tribunal s’est fondé « d’une part, sur le constat de plusieurs irrégularités procédurales ayant affecté les droits de la défense de Qualcomm et, d’autre part, sur une analyse des effets anticoncurrentiels des paiements incitatifs ».
La Commission n’a en effet pas enregistré « la teneur précise de tout entretien réalisé en vue de collecter des informations relatives à l’objet d’une enquête » et a fait défaut sur ce point. Elle aurait dû enregistrer l’intégralité des conversations et interviews liées à l’enquête. De plus, la Commission a dirigé son enquête vers un abus de position dominante sur les modems 4G, alors que les plaintes visaient également les modems 3G. L’enquête était donc trop restreinte.
Sur l’analyse de la capacité des paiements de produire des effets anticoncurrentiels, le Tribunal relève que « la Commission a omis de prendre en compte l’ensemble des circonstances factuelles existantes ». Ainsi, la Commission « a conclu que les paiements incitatifs avaient réduit les incitations d’Apple à se tourner vers des fournisseurs concurrents » alors même qu’elle a déclaré « qu’Apple n’avait pas d’alternative technique aux chipsets LTE de Qualcomm », pour la période concernée. En d’autres termes, il était difficile pour Apple d’aller voir la concurrence si celle-ci n’existait pas. Mais si en 2011, Qualcomm était en effet seul à pouvoir proposer des modems 4G, ce n’était plus le cas par la suite puisque Intel proposait son propre modem en 2013. MediaTek proposait également ses modems, mais avec certaines fréquences qui n’étaient pas compatibles en Europe à l’époque.
Pour le Tribunal toujours, la conclusion de la Commission « ne suffit pas à établir le caractère anticoncurrentiel » des paiements ; elle aurait donc manqué d’analyse.
Ce n’est pas (totalement) fini pour Qualcomm
Le Tribunal précise que « Un pourvoi, limité aux questions de droit, peut être formé, devant la Cour, à l’encontre de la décision du Tribunal, dans un délai de deux mois et dix jours à compter de sa notification ». Cela veut dire que la Commission européenne peut saisir la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) pour lui demander si le Tribunal a correctement appliqué le droit au regard des faits qui lui ont été présentés. Comme on peut le lire sur le site du Parlement européen, « Si le pourvoi est considéré recevable et fondé, la Cour de justice annule la décision du Tribunal et statue elle-même définitivement sur le litige, ou renvoie l’affaire devant le Tribunal, qui est lié par cette décision ».
En résumé, ce n’est peut-être pas la fin pour Qualcomm. La CJUE peut très bien estimer que le Tribunal a eu tort de considérer qu’il s’agissait d’une atteinte aux droits de la défense de Qualcomm. Elle peut également revenir sur la décision d’annuler l’amende infligée à l’entreprise ou faire rejuger l’affaire par le Tribunal. Tout cela dans l’hypothèse que la Commission forme un pourvoi et que ce dernier est considéré comme recevable par la CJUE.
Concernant la volonté de la Commission de former un pourvoi ou non, on apprend par Reuters que « La Commission a déclaré qu’elle étudierait attentivement l’arrêt et ses implications et envisagerait ses prochaines étapes ». Quant à Qualcomm, la société n’a pour l’instant pas fait commentaire de cette décision.
Pourquoi la Commission pourrait décider de former un pourvoi
Comme le fait remarquer 9to5Mac, comme les faits n’ont pas été contestés, il est probable que la Commission fasse un pourvoi auprès de la Cour de Justice. Par ailleurs, « perdre définitivement cette affaire nuirait à la crédibilité de la répression de l’Union contre les problèmes des grandes entreprises technologiques ».
Ce n’est pas la première fois que la Commission européenne se fait rembarrer par la Cour de Justice ou le Tribunal pour des affaires de pratiques anticoncurrentielles par des entreprises technologiques. En juillet 2020, l’amende de 13 milliards d’euros adressée à Apple pour arriérés d’impôts avait été annulée par la CJUE. Même chose en 2021, quand Amazon avait esquivé une amende de 250 millions d’euros, faute de preuves suffisantes comme le note Numerama. Les raisons invoquées sont les mêmes que dans le cas de Qualcomm, à savoir une conclusion erronée.
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