C’est un peu « je t’aime, moi non plus » entre Apple et Amazon au sujet de l’App Store. Et les heures d’audition devant la Chambre du Congrès américain ont mis en lumière les relations un peu compliquées — mais mâtinées d’un intérêt économique certain — des deux géants américains quand il s’agit de la boutique d’application d’Apple.
Interrogé sur le sujet, Tim Cook avait pourtant assuré que tous les développeurs étaient traités de la même manière sur l’App Store. Une étude parue la semaine passée, et réalisée par le cabinet Analysis Group à la demande d’Apple, montrait d’ailleurs que les principaux stores d’application appliquaient la même politique (30 % de frais de commission), à quelques aménagements près, notamment chez Samsung. Visiblement, le cas par cas serait une pratique bien plus répandue qu’il n’y paraît…
30 % de commission pour tous… ou presque
De nombreux documents ont fait leur apparition durant l’audition, obtenus et publiés par la commission. On y apprend notamment qu’Apple avait envisagé en 2011 de faire passer la commission à 40 % la première année, puis à 30 % les suivantes pour les abonnements récurrents.
Mais Bezos ne semblait pas vraiment l’entendre de cette oreille pour son nouveau service Amazon Prime Video. Un échange d’emails — pourtant confidentiel — entre Jeff Bezos, le patron d’Amazon, et Eddy Cue, vice-président senior d’Apple en charge des services et logiciels en ligne, a ainsi émané de l’enquête.
Dans son mail à Jeff Bezos, Eddy Cue mentionne, en 2016, un entretien entre les deux hommes au sujet de Prime Video, le service de streaming d’Amazon. On y apprend que le taux de commission proposé serait finalement de 15 % et non des 30 % habituellement appliqués. Un taux qui ne s’appliquerait qu’aux clients ayant payé leur abonnement à travers le système de paiement de l’App Store ou qui auraient réalisé des achats via l’appli. En cas d’abonnement préalable sur le site d’Amazon (notamment pour les clients Prime qui ont accès à de multiples services), Apple ne touchait rien.
Les documents montrent aussi que Cue aurait, par la suite, indiqué à ses collaborateurs qu’il faudrait « travailler sur quelques accords » après avoir envisagé un prélèvement de 40 % la première année uniquement, et plus rien par la suite. Il indiquait également refuser toute négociation à moins de 30 % de commission dans les poches d’Apple. « Si ce n’est pas possible, alors je veux une prime unique, mais nous devons faire très attention à ne pas faire tache d’huile sur l’App Store, » écrivait le responsable d’Apple.
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En 2020, Apple ponctionne toujours 30 % de frais de commission aux développeurs qui investissent son store. Un taux ramené à 15 % après la première année d’abonnement de l’utilisateur. Amazon aurait donc bénéficié en amont de conditions préférentielles pour être sûr de faire venir le service vidéo du géant du e-commerce sur l’AppStore dès 2017.
Le cas à part des « applications vidéo premium »
Les cas d’Amazon Prime Vidéo et de Netflix, voire même de Canal+ ou Altice One, sont un peu plus complexes que ceux des développeurs d’applications mobiles sur l’App Store. En début d’année, Amazon avait porté un premier coup aux principes d’Apple en obtenant le droit d’utiliser son propre système de paiement au sein de l’appli Prime Video sous iOS. La firme de Seattle peut ainsi permettre l’achat ou la location de films sans devoir s’en remettre au système d’Apple, un principe régissant pourtant le fonctionnement de l’App Store et qui semblait gravé dans le marbre. Cela ne concernait alors que les États-Unis, mais Apple, par la voix de Tim Cook, avait admis qu’un « accord » avait été négocié avec les « applis premium de contenu vidéo ».
En échange d’une intégration totale à l’univers d’Apple (iPhone, iPad, Mac, Apple TV, AirPlay, Siri…), l’entreprise californienne fermerait les yeux sur l’entorse (ou les) faite(s) aux règles de l’App Store, mais doit sans doute prélever autrement sa quote-part, sous forme de prime ou autre. Seuls les biens physiques et les services « de la vie réelle » comme le transport ou la livraison sont dispensés officiellement de passer par les achats intégrés, donc de ponction, pour fonctionner (Uber, Deliveroo, Amazon…).
Netflix a également obtenu d’Apple le droit de ne pas faire passer l’abonnement par l’App Store pour les nouveaux venus. Une fois l’appli téléchargée, il faut se rendre sur le site pour s’abonner, donc payer directement au géant du streaming vidéo. L’appli permet ensuite de s’identifier pour en profiter.
Un précédent entre Amazon et Apple : Kindle
Un privilège certain pour l’entreprise fondée par Jeff Bezos, mais qui paraît de bonne guerre. Car d’autres échanges publiés dans le cadre de l’enquête antitrust ont fait ressortir un autre point de friction autour des achats intégrés : celui des ebooks de l’appli Kindle. Cette dernière fait aujourd’hui office de liseuse sur iPhone ou iPad et il n’est pas possible d’acheter de livres électroniques depuis l’application. Il faut se rendre sur le site d’Amazon pour cela. Une façon pour Amazon d’éviter de payer les 30 % de commission.
Mais ce ne fut pas toujours le cas. Jusqu’en 2011, vous pouviez acheter des livres sur la boutique de l’appli Kindle pour les lire ensuite sur votre iPhone ou votre iPad. Dans un email repéré par The Verge, Phil Schiller avouait une exception faite par Apple pour Amazon afin de faire profiter l’écosystème à la pomme des avancées de Kindle. Mais les ventes d’iPhone s’étant envolées, Schiller reconsidéra la question et tenta de supprimer l’exception. Notamment après avoir vu une publicité d’Amazon qui vantait la possibilité de charger son livre sur iPhone… avant de le récupérer sur un smartphone Android si l’utilisateur changeait d’avis. Les téléphones se changent facilement, Kindle reste. Peu du goût de Steve Jobs et « pas amusant à regarder », notait Schiller.
« Nous devrions dire à Amazon que, sur la base de leurs propres publicités télévisées, il est clair que l’utilisation de leur application enfreint désormais nos conditions et directives et qu’ils doivent également utiliser notre système d’achat intégré pour la vente de livres numériques », écrivait alors Schiller à Jobs. « Nous devrions leur demander de revenir vers nous avec un plan sur la façon dont leur application pourrait se conformer aux règles. Sur la base de nos discussions passées, je pense qu’ils choisiront peut-être de ne pas faire cela. Nous devrons alors probablement décider de retirer l’application Kindle de la boutique ou de continuer à autoriser une exception à nos conditions d’utilisation pour l’application Kindle. »
15 % du marché, 65 % des revenus des stores d’applis
Une situation qui n’avait guère plu à Jobs. Le patron d’alors avait déclaré que si Amazon voulait « comparer (Apple) à Android, obligeons-les à utiliser notre système de paiement bien supérieur. » L’application est toujours là. L’achat de livres impossible. Seul Livre, le service d’Apple, reste la librairie officielle sur iOS.
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On est loin de 2008 et de la promesse de Steve Jobs de ne pas « faire de l’argent avec l’App Store. Le partage de revenus avec l’industrie musicale est à peu près le même ». La boutique d’applications est devenue une manne financière pour Apple, qui investit énormément dans son développement technique, et un passage obligé pour les développeurs de toutes envergures. En 2019, les utilisateurs ont dépensé 54,2 milliards de dollars sur l’App Store, soit une hausse de plus de 16 % sur un an selon Sensor Tower. Si Apple ne détient plus que 15 % du marché mondial des smartphones, les investissements représentent encore 65 % des recettes totales, Google Play Store et App Store confondus.
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