Internet des objets : une alternative à l’obsolescence programmée ?

 
Depuis quelques années le nombre des manufacturiers (électroménagers, hifi, bureautique…) proposant des objets connectés ne fait que croître… mais finalement peu se démarquent en apportant des spécificités supplémentaires. Or le succès n’est pas lié au fait que le produit soit connecté mais aux services que l’objet en tant que tel peut apporter. Les constructeurs qui se positionnent aujourd’hui placent des pions fondamentaux. Ce mouvement industriel mérite que l’on s’y intéresse. Petite leçon de rattrapage avec une très bonne réflexion sur le sujet.

Internet des objets

Le prochain salon LeWeb en a fait sa thématique principale pour l’édition 2012 qui a lieu à Paris les 4, 5 et 6 décembre prochain.

J’ai eu le plaisir d’échanger avec Ramzi SAIDANI, c’est un consultant en marketing et stratégie mobile et digital chez Novedia Consulting. Il intervient sur des problématiques de positionnements stratégiques et de projets marketing chez les acteurs du secteur des télécommunications, des media et de l’énergie en France et à l’étranger. Il nous a proposé de vous en parler, nous lui avons donc laissé avec grand plaisir une tribune. Bonne lecture !

La pérennisation du Chiffre d’Affaires et de ses marges est une condition nécessaire pour la survie d’une entreprise ?

En ces temps de crise économique, de baisse de compétitivité de notre industrie française, les entreprises sont plus que jamais confrontées à un objectif de survie. Choc ou trajectoire… les entreprises doivent pouvoir conserver suffisamment de CA et de marge pour continuer à investir et relever notamment les défis environnementaux qui sont les nôtres.

Chiffre d’affaires = Prix x Quantité vendues      

Pour s’assurer un chiffre d’affaires pérenne, les entreprises peuvent soit accroître les prix ou augmenter les volumes de vente. L’augmentation de prix peut se justifier si le produit offert présente des fonctionnalités rares voire unique. L’autre alternative pour accroitre son CA consiste à augmenter les volumes vendus. Cela peut se  faire (i) en accroissant sa part de marché sur le marché national ou international ou (ii), à part de marché constant, en accroissant insidieusement le renouvellement des produits manufacturés. Cette seconde voie alimente une course au gaspillage par le biais de son complice l’obsolescence programmée.

Obsolescence programmée

L’obsolescence programmée consiste  à contrôler la durée de vie d’un produit  pour favoriser son remplacement alors qu’intrinsèquement le produit est ou serait encore en état de marche au moment du remplacement. En décidant d’arrêter la fabrication de fibres trop solides, Du Pont de Nemours a accru ses ventes de fibres synthétiques# et fait le bonheur de tous les bonnetiers mondiaux.  Pourtant nos ressources en matière premières sont devenues limitées, l’emprunte carbone de nos industries devient un enjeu majeure. Certes, les filières de recyclage se développent mais il reste tant à faire. Sans jouer les écolos de base, n’y aurait-t-il pas d’autres voies explorables pour permettre d’atteindre leur objectif de CA ? Et si une des solutions au maintien du CA ou des marges résidait non pas dans une sur-consommation non-soutenable mais dans une de différenciation produit par le service ?

La différenciation passera de plus en plus par les services sur les objets connectés

Surtout réservé aux entreprises de services ou à des manufacturiers présents plutôt sur le  haut de leur marché respectif, le service prend des formes qui suivent logiquement  le cycle de vie du produit (suivi de commande, financement, livraison, service après-vente) et qui sont en réalité assez souvent peu innovantes. Certes, des services de coaching personnalisé commencent à voir le jour, mais globalement, aujourd’hui bon nombre d’industriels ne prennent pas conscience de l’enjeu service pour leur produit. Or l’internet des objets va ouvrir à un nombre croissant d’industriels la possibilité de rentrer en contact directement avec leurs consommateurs et de façon beaucoup plus riche que par le biais des outils digitaux d’aujourd’hui (site web, application mobile, page fan facebook, etc…).

Proposer des services permet deux stratégies pouvant indirectement décourager les pratiques de renouvellement trop rapide et non soutenable d’unités de produits manufacturés :

  1. faire baisser le coût du produit  et opérer, par un jeu de subvention croisée, un transfert  de la marge sur les services

  2. conserver le  prix du produit mais  proposer gratuitement des services qui ont pour vocation de  réduire certains des coûts rencontrés par  l’industriel lors du cycle de production (R&D,  logistique, fidélisation, communication…). Cela peut se faire par exemple en se réappropriant une part de la valeur que se réserve un tiers (distributeur, entreprise de logistique ou un assureur par exemple).

Science-fiction ou croyance naïve d’un ralliement industriel à l’économie écologique ?

Des sociétés, grandes et petites, sont déjà bien avancées sur cette voix de l’enrichissement produit par du service original et innovant.  Nous présenterons 2 exemples provenant de secteurs manufacturiers très différents (Withing, Philips) ayant pour seul point commun un produit bel et bien physique à partir duquel le fabriquant propose un service innovant et original qui va dans le sens d’une économie responsable.

Withings : la balance qui prend en main

Withings propose des balances et des pese-bébés connectés à Internet via wifi et fonctionnant en interaction avec  une application, présentée comme un vrai compagnon santé. Ce couple produit/service permet jusqu’à une dizaine d’utilisateurs différents dans le foyer d’être reconnus et de bénéficier automatiquement, une fois l’ouverture de leur compte Withings et les paramétrages effectués, de services personnalisés. Il est alors possible de (i) suivre l’évolution de sa courbe de poids personnelle à tout moment depuis téléphone et tablette, de (ii) profiter d’un service de coaching et de recueillir des conseils.

Grâce à ces synergies produit/service, Withings peut prétendre à une part de la valeur qui était autrefois malaisée d’atteindre sinon interdite à un fabriquant de balances.

  1. référencer des sites ou d’autres applications partenaires (60 applications compatibles sont proposées) et en tirer une commission pour apport d’affaires

  2. par ailleurs en capitalisant sur le compte Withings.com qui centralise les données santés, le fabricant se constitue une connaissance client très fine (heure de pesée, progrès réalisé, le nombre de personnes du foyer, etc…) qui constitue pour lui un formidable vivier de connaissances pour proposer de nouvelles fonctionnalités dans ses futurs modèles,

  3. Avec cette proximité et cette connaissance client, les données collectées permettent aussi un ciblage très fin. L’entreprise peut capitaliser sur des aires des recommandations de produits ou services connexes à son propre service (équipementiers sportifs ou industries agro-alimentaire).

Le géant de l’électronique Philips : fiat lux… sed connecta.

L’éclairage donnée par la centenial light

La centenial light# illustre l’obsolescence programmée qui a touché le secteur des ampoules électriques. La durée de vie des ampoules a étrangement vu sa durée de vie être divisée au moins par trois. La fin programmée des ampoules à incandescence orchestrée par une Commission Européenne (pour le coup lumineuse…) a forcé les entreprises du secteur à innover. On a donc vu se développer les ampoules fluo-compactes puis plus récemment les ampoules LED encore plus économiques et surtout dépourvues de mercure toujours utilisés dans les fluo-compactes#.

Philips fut l’un des instigateurs de cette obsolescence programmée dans les ampoules dans les années 30 avec sa participation au cartel Phoebus#.  Aujourd’hui, la démarche du groupe néerlandais semble bien différente : il est devenu un leader mondial des ampoules LED dont la durée de vie (50 000 heures théoriques) est sans commune mesure avec celle d’une lampe à incandescence ou à fluocompacte.

Le Système Hue :  les nouveaux éclairants

Hue s’appuie sur des ampoules LED d’aspect familier (bulbe avec un culot à vis équivalent à une ampoule à classique de 50 Watts). Ces ampoules permettent par combinaison de LEDs de couleurs rouge, verte et bleue de créer 16 millions de teintes différentes, mais ce n’est pas là que réside l’intérêt principal de l’offre.

Hue crée un réseau d’ampoules (jusqu’à 50) reliées à un boitier connecté à une box internet et pilotable depuis un téléphone ou une tablette. Il est ainsi aujourd’hui possible de simuler une présence physique  à distance en éteignant et allumant des ampoules, de choisir des ambiances (Philips parle de « Light recipes »), de construire des ambiances à partir de photos de ses albums personnels ou plus classiquement de programmer un réveil lumineux.

Hue associe donc à une ampoule, dont la fonction est d’assurer un besoin d’éclairage fondamental, une expérience de confort voire une expérience de divertissement. Et nous n’en sommes qu’au  début, car via le contrôle de boitier connecté, il sera facile pour Philips de mettre à jour et de proposer de nouveaux usages passant par des applications.

Yes Hue can… : les gains d’une telle stratégie

  1. la durée de vie des ampoules LED est très élevée, en moyenne 30 à 50 fois plus grandes que nos bonnes vieilles ampoules à incandescence et 3 à 9 fois plus importantes que les ampoules fluo-compactes. Même si elles sont vendues à un prix plus élevé, elles ne sont pas vendues 50 fois plus chers qu’une ampoule à incandescence ou 6 fois plus chers qu’une fluo-compacte#, il faut donc idéalement pour un fabricant d’ampoule, compenser la perte de revenu inhérente au changement de technologie. Là, Philips a bien compris l’intérêt du couple produit/service en proposant cette plateforme de services inédits.

  2. la possibilité pour le constructeur de collecter directement des informations très utiles pour le cycle de vie du produit afin de l’améliorer ou de le prolonger (durée moyenne d’utilisation, usages les plus courants, etc..)

  3. assez onéreux (199 US $ le lot de 3 ampoules avec le boitier) et sélectif (distribution online sur l’Appstore et uniquement dans les apple stores jusqu’au début février 2013 #), la gamme Hue permet à Philips de s’émanciper un peu de ces distributeurs traditionnels.

Google avec Android se positionne comme un acteur important du couple produit/service

Pour permettre à ce couplage produit/service d’opérer, l’objet doit être équipé d’un firmware évolué. A l’instar d’un ordinateur, d’un webphone ou d’une tablette, certains objets connectés sont déjà équipés de véritables OS. Les industriels peuvent toujours faire eux-mêmes en s’appuyant sur un OS ou un firmware propriétaires mais ils peuvent également s’appuyer sur une solution ouverte et disponible tel que Linux ou Android.

Deux acteurs majeurs ont récemment choisi de s’appuyer justement sur la plateforme Android pour améliorer l’expérience de leurs appareils. Confrontés à des smartphones aux capacités photographiques de plus en plus poussées, les constructeurs d’appareils photos en renforcent logiquement la composante service. Le Coolpix S800c de Nikon, la gamme Galaxy Camera de Samsung, tournent sur Android. Dans les deux cas, une connectivité wifi voire cellulaire est disponible et permet d’accéder au Google Play et d’y télécharger des applications de retraitement d’images, des jeux ou encore de charger directement photos ou vidéos sur ses réseaux sociaux favoris. Les mises à jour des applications utilisées par ces appareils photos permettront de proposer de nouveaux effets photos, de nouveaux jeux.

Par ailleurs, avec  l’explosion des smartphones, le geste de télécharger une application sur un device depuis un store, d’installer des mises à jour, la lecture de push-notification sont devenus complétement naturels pour le grand public et peuvent donc s’effectuer naturellement sur un appareil photo. Apple et Google ont tout intérêt à répliquer ces ‘bonnes habitudes’ sur un nombre toujours plus importants et divers d’appareils électroniques.

À ce titre, Google semble le mieux positionné. Android est une plateforme libre et ouverte, proposant un SDK et des API de plus en plus riches.  En contribuant à libérer le logiciel, Google via Android cherche à se placer partout dans notre quotidien, à devenir le middleware incontournable de nos appareils domestiques : télévisions#, appareils photos, montres connectées#, produits blancs comme les machines à laver # ou les réfrigérateurs… rappelons-nous également, qu’il y a quelques mois, Google avait annoncé un projet d’ampoule LED pouvant être commandée via un device tournant sur Android (smarphone, tablette ou PC)#  assez proche dans l’idée de ce que vient de proposer Philips avec sa gamme Hue…

En conclusion

Depuis quelques années le nombre des manufacturiers (électroménagers, hifi, bureautique…) proposant des objets connectés ne fait que croître…mais finalement peu se démarquent en apportant des spécificités supplémentaires. Or le succès n’est pas lié au fait que le produit  soit connecté mais aux services que l’objet en tant que tel peut apporter. Les constructeurs qui se positionnent aujourd’hui placent des pions fondamentaux. D’un côté, ils pourront  s’affirmer comme entreprises citoyennes en renonçant, sinon en donnant l’illusion  de ne pas céder aux sirènes de l’obsolescence programmée ; d’un autre ils peuvent tracer l’itinéraire et garder le cap d’un accroissement de valeur basée sur un couple vertueux produit/services. Se positionner comme fournisseur de la technologie sous-jacente de ce mouvement industriel, est une un enjeu business énorme mais constitue aussi sur le plan de la communication d’entreprise,  une piste intéressante pour Google, de plus en plus attaqué sur l’ambivalence de sa responsabilité citoyenne…


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