Alors que les élections européennes se rapprochent, Google se donne un rôle à jouer en luttant contre la désinformation sous toutes ses formes sur ses plateformes : son moteur de recherche, YouTube ou encore Google Actualités. Un rôle qu’elle se propose d’endosser, mais que la Commission européenne et la législation de l’Union lui donnent également.
Ce 9 juin 2024, tous les citoyens de l’Union européenne sont appelés aux urnes pour voter pour leur prochain député européen, qui sera élu pour cinq ans. Il s’agit donc d’une élection de la plus haute importance qui concerne 448 millions de personnes (Eurostat, 2023). Une grande partie des citoyens du Vieux Continent utilisent les services de Google, que ce soit pour se divertir, mais aussi pour s’informer. Ce qui donne à Google, en tant qu’entreprise privée, une grande importance dans l’information des citoyens. C’est pour cela que Google a un rôle important à jouer dans les élections européennes : un rôle qu’il a endossé lui-même, mais qu’on lui a aussi donné.
Pourquoi Google a un rôle primordial dans les élections européennes
Au sein de l’Union européenne, plus de 400 millions de personnes utilisent YouTube au moins une fois par mois : ils sont plus de 330 millions à utiliser Google (moteur de recherche au moins une fois par mois). Cela veut dire que, sauf exception, on utilise partout sur le continent les services de Google pour plein de raisons différentes, dont l’information, que ce soit via YouTube, Google Actualités ou encore Google Discover (présent sur Android, Chrome, etc.).
D’un autre côté, en matière de désinformation, Google peut potentiellement offrir aux personnes malintentionnées des relais auprès des populations, via ces mêmes canaux. Par ailleurs, avec ses outils d’intelligence artificielle générative, comme Gemini ou encore ImageFX, la firme offre de quoi générer des contenus (pauvres et peu poussés), mais qui peuvent être utilisés dans le cadre d’opération de désinformation.
Les risques liés aux élections
Un rôle important à jouer qui ne concerne pas uniquement les élections européennes. L’année 2024 est une année d’élections à travers le monde entier : au total, 4,1 milliards de personnes dans 68 pays sont appelées aux urnes cette année, y compris des pays très peuplés comme l’Inde. Il y a bien sûr les présidentielles américaines qui arrivent en fin d’année, avec avant les primaires des partis. Les élections européennes sont l’un des scrutins majeurs, mais pas le seul, pour Google, comme pour la population mondiale.
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Pour Google, il y a une augmentation continue des menaces liées à la désinformation en ligne. Cependant, les périodes électorales sont particulièrement propices et tendent à accélérer davantage cette menace. Google pourrait d’ailleurs faire des annonces lors de la Google I/O, sa grande conférence annuelle qui aura lieu ce mardi 14 mai.
Ce que Google met en place pour informer et protéger les électeurs
Sur plusieurs de ses plateformes, Google met en place quelques changements et rappelle les actions déjà en place.
Sur Google
Dans les résultats de recherche liés aux élections européennes, Google a ajouté une fenêtre d’informations s’appuyant sur le Parlement européen (qui lui-même s’appuie sur des sources d’informations nationales). Google a par ailleurs indiqué sur sa page d’accueil comment s’inscrire sur les listes électorales par le biais d’un lien : il n’est plus présent, mais pourra être réactivé le jour du scrutin afin de rappeler l’échéance. Par ailleurs, le jour J, Google souhaite intégrer un affichage dédié dans son moteur de recherche, ainsi que mettre les élections en avant via des notifications et sur YouTube.
Récemment, Google a déployé en France la fonction «?À propos de cette image?» qui permet de retracer l’origine d’une image, de retrouver où elle a été publiée pour la première fois grâce aux robots d’indexation de Google. Un outil toutefois limité pour les visages. L’idée étant de savoir si une image a pu être manipulée ou de voir si elle provient d’une source fiable. Google évalue ses résultats de recherche et ses recommandations sur son moteur de recherche, sur Google Actualités et sur YouTube selon plusieurs critères : la qualité du contenu et sa fraîcheur (moins important). Le tout via des experts externes, qui suivent des lignes directrices dictées par Google lui-même. Enfin, Google a lancé après des mois de bêta un outil de fact-checking.
Sur YouTube
Sur YouTube également, Google travaille à mettre en avant les élections européennes. Cela passe par une section à la une sur la page d’accueil, une fenêtre «?Top des actualités?» en haut de certains résultats de recherche ou encore une page de lecture pour les actualités écrites. YouTube prévoit par ailleurs de mettre en avant des informations concernant le scrutin en juin. Évidemment, tous les contenus qui ont pour objectif d’induire en erreur (par exemple : il est possible de voter via SMS) sont interdits. Dans le dernier rapport concernant le Digital Services Act de Google, l’entreprise annonçait avoir retiré 3000 contenus de désinformation sur YouTube en France, dont la plupart affichaient moins de 100 vues à leur suppression.
Même chose pour les contenus générés par IA qui veulent tromper : YouTube cherche à les supprimer. Pour davantage de transparence, YouTube fait appel aux chaînes qui publient pour afficher un label indiquant que le contenu en question a été modifié. YouTube peut néanmoins labelliser comme tels des contenus qui ne l’indiquent pas : cela s’affiche en haut à gauche d’une vidéo, ou en bas dans les Shorts. Il peut également y avoir des précisions dans la description d’une vidéo sur ce qui a été modifié.
Enfin, la plateforme de vidéo prévoit de déployer dans les semaines à venir un formulaire pour toute personne dont le visage ou la voix a pu être détourné par intelligence artificielle, afin de retirer les contenus concernés. YouTube nous explique toutefois ne pas avoir fait face à des campagnes de mises en ligne massives de vidéos trompeuses : il y a surtout de la parodie. Cela s’explique assez facilement : les deepfakes demandent des ressources et expertises techniques et d’autres contenus trompeurs (textuels, audios, picturaux) sont bien plus faciles à produire pour un effet similaire.
Sur Gemini et les images
Ce qui fait parler de Google ces mois-ci, c’est Gemini, le LLM et le chatbot de la société. Cette dernière dit avoir limité son outil pour les élections européennes afin d’éviter toute désinformation que pourraient entraîner les réponses du chatbot. Et pour cause : Gemini n’est pas fiable, si l’on en croit une étude de l’ONG Democracy Reporting International, relayée par Euronews.
Elle portait sur la désinformation des principaux chatbots d’IA du marché, à savoir Gemini, ChatGPT (sur GPT 3.5) ainsi que Copilot, à propos des élections européennes. Pour l’organisation, le résultat est sans appel : «?les chatbots ne semblent pas adaptés pour fournir des informations précises sur les processus électoraux. Les questions sur les processus électoraux mettent les chatbots à l’épreuve là où ils sont le plus faibles : en générant des informations à partir d’une base d’information étroite?».
Pire encore : Gemini est le moins bon des trois, autrement dit, le LLM de Google est moins bon que celui d’OpenAI, GPT. En réalité, ce n’est pas nécessairement une mauvaise chose et Democracy Reporting International le reconnaît : en fait Gemini formule des non-réponses et encourage les utilisateurs à chercher ailleurs. Cela reflète aussi sans doute les restrictions annoncées par Google en mars dernier : Gemini ne fournira pas d’informations sur les élections européennes.
L’autre arme de Google concerne les images. Les images générées par IA sont de plus en plus présentes et Google propose à son tour des outils pour en créer artificiellement. Afin d’éviter la confusion avec de vraies photographies, Google planche sur un système de watermarking nommé SynthID, conçu par sa filiale Deepmind. Il vient en fait accoler une information selon laquelle une image a été générée par IA, qu’il est «?impossible?» de retirer, même en modifiant l’image.
Même chose pour l’audio : une empreinte numérique peut être apposée. Pour le moment, ces systèmes sont intégrés par défaut dans Google Cloud et l’entreprise a annoncé sa volonté d’en faire un standard, en partenariat avec le reste de l’industrie.
Comment Google aide les partis politiques
Ce qui intéresse les partis politiques, c’est ce qui intéresse leurs électeurs. C’est en cela que Google Trends est un excellent outil pour aider les militants mobilisés en cette campagne. L’outil permet d’évaluer l’intérêt d’une recherche autour d’un parti, d’une personnalité politique, mais également autour des thématiques qui interrogent le plus les Européens. Pour l’occasion, Google Trends a lancé une section dédiée aux élections.
Comme pour les autres organisations, Google met à disposition de tous les partis politiques des outils gratuits destinés à renforcer leur sécurité en ligne, via sa filiale Mandiant. Cela passe par la sécurité des comptes, avec des recommandations, comme comment créer un mot de passe plus solide ou comment utiliser un gestionnaire de mots de passe à plusieurs, ou encore via des protections contre les attaques DDoS avec son Project Shield.
Les problèmes de Google avec la désinformation
Dans sa série documentaire Citizen Facts, la journaliste spécialisée dans la désinformation, Aude Favre, pointait du doigt le fait que les grandes plateformes permettaient la monétisation de sites de désinformation. C’est le cas de Google, via AdSense, sa régie publicitaire permettant aux éditeurs de site d’afficher des bannières publicitaires et de gagner de l’argent grâce à cela.
Par ailleurs, ces sites peuvent se retrouver sur Google Actualités, si Google estime via des critères algorithmiques et de qualité qu’ils sont suffisamment importants pour y apparaître. Google se dédouane par ailleurs de regarder les tendances politiques, même les extrêmes, dans ses évaluations.
Concernant AdSense et Actualités, Google le reconnaît : c’est un peu le jeu du chat et de la souris entre lui et ces sites malveillants. Il est difficile de les trouver et lorsqu’on les retire, d’autres apparaissent. Certains peuvent se masquer en reprenant rapidement énormément de dépêches d’information, ce qui permet de cacher les contenus de désinformation tout en prenant en trafic et en importance.
C’est sans compter les sites s’appuyant sur des contenus générés par intelligence artificielle (texte, images), qui pullulent depuis plusieurs mois. Des sites qui peuvent apparaître dans les résultats de recherche sur Google, comme c’est le cas avec une expérimentation d’un consultant français.
Pourquoi est-ce que Google met toutes ces actions en place à l’heure des élections européennes??
Google étant une entreprise privée, on peut se demander pourquoi elle souhaite «?participer?» à sa manière au bon déroulement du scrutin. On peut y voir une dimension de responsabilité sociétale des entreprises (RSE), ce qui est très classique, surtout dans les grands groupes. C’est aussi une façon d’améliorer son image de marque, en montrant que l’entreprise s’investit dans la société et qu’elle empêche la désinformation, contrairement à ce qu’on pourrait croire (ou que les institutions publiques pourraient croire).
Google? n’a pas vraiment le choix
L’autre dimension est tout bonnement légale : Google n’a pas le droit de relayer, via son moteur de recherche ou sa plateforme de vidéos, de fausses informations, d’autant plus autour d’élections démocratiques. En fait, l’entreprise doit respecter le tout nouveau Digital Services Act, une nouvelle réglementation européenne. Son but est clair : tout ce qui est illégal hors ligne l’est aussi en ligne. Grâce à ce texte, la Commission européenne a désigné de très grandes plateformes en ligne, dont YouTube, et de très grands moteurs de recherche, dont Google.
Ce qui fait que ces deux sites doivent répondre à des règles plus strictes en matière de modération des contenus, tant en nombre de modérateurs sur le terrain, qu’en réactivité dans la suppression des contenus frauduleux. Et les sanctions peuvent être lourdes : jusqu’à 6 % du chiffre d’affaires mondial en cas de manquement aux obligations imposées. D’ailleurs, Facebook et Instagram sont visés par une enquête de la Commission européenne pour non-respect du DSA.
Si la violation du droit est reconnue, Meta pourrait écoper d’une lourde amende. Dans les procédures, la Commission va par exemple se pencher sur la visibilité du contenu politique, qui serait invisibilisé sur les deux réseaux sociaux.
De la séduction des futurs députés européens et de la Commission européenne
Google dispose de représentants d’intérêt à l’Union européenne, que ce soit au Parlement ou à la Commission : plus basiquement, ce sont des lobbyistes. Ils sont chargés de défendre les intérêts de Google auprès des députés, mais pas que. Alors que les sièges vont changer, l’entreprise a tout intérêt à montrer patte blanche devant eux ainsi que devant la Commission pour s’offrir un bon départ avec ces nouvelles équipes.
Dans son rapport de transparence déposé sur le site de l’Union, on apprend que 31 personnes sont dédiées à cela, le tout pour un budget entre 6 et 6,5 millions d’euros en 2023, avec près d’une réunion par jour avec la Commission.
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