Plongée dans le studio de design de Honor à Paris : en quête de formes et de matières (1/2)

 
Ce n’est que rarement pour se balader que l’on emprunte les escaliers de la sortie Invalides, en plein VIIe arrondissement parisien. L’Assemblée Nationale côtoie ici le tombeau de Napoléon Bonaparte, le tout à quelques enjambées de la Tour Eiffel. C’est dans ce quartier calme de la capitale que Huawei a choisi d’installer son studio de recherche en esthétique, où se joue le design des futurs produits de la marque… et ceux d’Honor.
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Un studio de design en France

Honor n’aime pas la facilité. En tant que marque proposée par Huawei, elle pourrait simplement s’associer avec quelques opérateurs locaux dans chaque pays européen, inonder les offres de forfaits low-cost avec des smartphones à prix cassé et laisser les partenaires triés de loin utiliser les modèles en marque blanche. Après tout, cela fonctionnerait : aujourd’hui, le grand public n’est pas encore expert et même si l’achat d’un smartphone devient de plus en plus un véritable choix chez les jeunes, beaucoup acceptent ce que le vendeur du coin leur propose.

Mais voilà, Honor voulait son univers, son ambiance, son public, ses fans et ses détracteurs, bref, une communauté mondiale qui graviterait autour de plusieurs produits.

 

Construire une marque

Honor 6, 3C ou Holly sont autant de modèles connus dans nos contrées, mais pensés par la maison mère en Chine comme des appareils à adapter à un environnement différent. Cette stratégie économe ne permet pas à une marque de saisir pleinement les habitudes, les goûts et les besoins de ses consommateurs à l’autre bout du monde et cela, Huawei l’a très bien compris. C’est dans cette optique que la firme a ouvert il y a quelques mois un studio de design parisien chargé à la fois d’orienter les futurs produits européens et de créer une identité locale à la marque. Car l’identité est bien le principal problème pour un constructeur qui a fait ses armes sur des équipements à peu près invisibles par le commun des mortels : des infrastructures réseau pour les opérateurs et les entreprises dans le monde entier. Ce mobilier urbain technologique n’a pas grand-chose à voir avec des produits destinés à être achetés par le grand public.

Avec Honor, Huawei a dévoilé une stratégie double pour le marché des smartphones. La première gamme, celle qui porte le nom de l’entreprise, est là pour véhiculer une image premium. Les designers nous le répéteront plusieurs fois : les produits chinois n’inspirent pas encore une grande confiance et pourtant, Huawei souhaite que ces considérations deviennent des choses du passé. Elle veut être une marque aussi respectable que le sont ses consœurs japonaises, coréennes ou américaines. Les lignes des produits Huawei correspondront donc à ces ambitions : des engins élégants, sobres et équipés des dernières technologies et raffinements superficiels qui espèrent entrer en concurrence avec les fers de lance des autres marques.

Honor, de son côté, est une marque plus jeune, plus libre. Les modèles commercialisés sous ce nom doivent toucher un public jeune, orienté digital qui cherche un smartphone, mais ne se reconnaît pas encore dans un univers défini par une marque existante, qui n’a pas de chapelle en matière de nouvelles technologies et qui aime comparer les produits avant d’acheter, le plus souvent directement en ligne. Honor cherche aussi à proposer le compromis idéal en rapport qualité / prix : un appareil où sont seulement sacrifiés les raffinements du haut de gamme, mais dont les finitions et le hardware suffisent amplement à justifier la somme déboursée. Une volonté qui se traduit en esthétique par des modèles plus colorés, conçus dans différents alliages de plastique.

Les designers des Invalides doivent composer avec ces différentes approches : ils travaillent pour les deux entités.

Arrivée au studio

Il suffit de quelques secondes à l’ascenseur pour nous amener au dernier étage d’un immeuble récent où une vingtaine de postes remplissent un open space qui donne sur un salon faisant office de salle de réunion. Le mobilier est sobre et élégant. Des baies vitrées qui ouvrent chaque pièce vers l’extérieur, on peut apercevoir Paris qui dessine ses lignes à l’horizon et la Tour Eiffel, éternelle dame de fer ancrée dans le sol à quelques pâtés de maison.

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Comme un jeune Rastignac qui prononcerait son « À nous deux maintenant » du haut des buttes du Père Lachaise, les designers regroupés ici sous la direction de Mathieu Lehanneur ont pour difficile mission d’extraire la quintessence de leurs formation et parcours professionnel pour l’injecter dans les guidelines et autres cahiers des charges d’une compagnie à l’autre bout du globe.

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Et les profils regroupés en ces lieux en étonneraient plus d’un de prime abord. François Durris, notre hôte pour la matinée, vient par exemple du monde de l’automobile. C’est pour Citroën, entité bien connue du groupe PSA Peugeot Citroën, que François a exercé le métier de designer ces 15 dernières années, après une formation dans la prestigieuse ENS des Arts-Déco. « C’est amusant de constater à quel point certaines problématiques se recoupent, entre l’automobile et la téléphonie », lance-t-il. Matériaux, couleurs, fournisseurs, stratégie… les angles d’attaque d’un même problème peuvent être bien similaires, que l’on parle d’un engin de quelques centaines de grammes ou d’un autre de quelques centaines de kilos.

Estelle Barreau travaillait aussi dans le design automobile avant d’arriver dans ce studio tourné vers les nouvelles technologies mobiles. Ici, elle s’occupe principalement des couleurs et des matières, travaille les teintes et les tons, compose et décompose les nuances pour trouver celle qui sera retenue pour habiller l’objet. Pour elle, aucun blanc n’est égal, aucun ocre n’a la même texture.

Pierre-François Dubois vient, lui, comme son collègue Vincent Lepoultier, de l’horlogerie de luxe. C’est chez Dior qu’il a fait ses armes après avoir étudié le design d’objet, successivement à l’école Boulle et à L’École Supérieure des Arts Appliqués et des Métiers d’Art. Quand on voit l’engouement actuel pour les montres et les objets connectés, on comprend très bien pourquoi Huawei cherchait un profil comme le sien pour développer sa gamme.

Il n’est pas difficile d’imaginer pourquoi Pierre-François a été appelé en Chine récemment : Huawei souhaitait proposer une montre connectée qui se démarque de la concurrence et son expertise a grandement servi la marque pour sa Huawei Watch récemment dévoilée. Il suffit d’un coup d’oeil pour voir que cette montre connectée se démarque de la concurrence : elle a été conçue comme une véritable montre avant d’être pensée comme un objet technologique.
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L’automobile et le smartphone

Et c’est précisément au croisement de ces univers que la marque chinoise souhaite faire émerger sa propre identité. Elle souhaite tirer partie des expertises diverses pour donner une image forte à ses produits tout en les inscrivant dans des canons de design déjà en place et bien connus du public européen. « Quand on travaille pour un constructeur de smartphone après avoir passé plus de dix ans dans l’automobile, c’est amusant de se rendre compte à quel point nos interlocuteurs dans le monde industriel sont similaires : nos fournisseurs passés en matériaux et en échantillons sont les mêmes aujourd’hui », affirme François Durris.

Pour un designer d’objet, la porosité entre les différents milieux est chose commune. L’inspiration pour une coque d’un Honor 6+ peut venir aussi bien d’un tissu rigide et alvéolé que des courbes d’une bouteille de parfum. C’est en chinant dans les friperies, sur les marchés, dans les expositions et les showrooms que l’idée d’un produit, petit à petit, se met en place.

Et s’il est aussi facile pour ces designers de faire des ponts entre plusieurs univers, c’est que leur métier, au fond, n’a pas véritablement changé en passant d’un monde à l’autre. Le défi, pour eux, reste le même et sort souvent de la simple conception d’un objet : il s’agit de donner une âme à une marque pour orienter sa communication et son avenir dans des pays précis. En d’autres termes, il faut que l’on sache reconnaître un produit Honor d’un coup d’œil, comme on pourrait reconnaître un produit d’un constructeur mieux installé. Et cela s’applique à toutes les gammes éventuelles, qu’il s’agisse de smartphone, de console de jeu mobile, de casque de réalité virtuelle ou de drone. Honor ne souhaite pas expérimenter ses produits sur le seul marché chinois.

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À la question de savoir si, pour eux, Honor est déjà une marque que l’on peut identifier, les designers tombent d’accord : « aujourd’hui, Honor se différencie du marché par des détails. Des courbes, des gravures. Ce ne sont pas des signes assez forts pour que la marque soit reconnue directement par le public ».

Voilà donc une bataille qui reste à mener pour les équipes du studio des Invalides.

 

Forme et couleurs : les défis des designers

Et le premier de ces enjeux est évident : il s’agit de la forme. Comment faire pour se démarquer des autres produits ? Est-ce que le smartphone a atteint sa forme parfaite ? Est-ce que l’innovation est bloquée ? Pour François Durris, ce n’est absolument pas le cas et le problème du design des smartphones se rapproche encore une fois de ce que l’on a vu avec le design automobile : il y a des modes, des styles, mais à part la base qui reste inchangée, tout peut encore évoluer. « Le smartphone en lui-même est un produit qui n’a pas encore atteint tout son potentiel. Je suis même prêt à parier que l’on ne sait pas encore quelle forme il aura dans quelques années. Tout est possible et c’est ça qui est très excitant. »

Autre son de cloche chez Pierre-François Dubois, qui reste plus réservé. Pour lui, « le smartphone ne pourra pas sortir radicalement de sa forme actuelle, rectangulaire avec un écran tactile sur la face. Notre travail consiste plus à utiliser cette forme et à en faire un produit propre à la marque, à faire évoluer les détails. Vous pouvez changer les arrondis des coins, les rainures sur les côtés, le placement des boutons, mais cela restera un objet fondé sur la même base. » Il est vrai que, réduits à leurs traits les plus simples, et si nous excluons les tentatives originales, tous les smartphones ont aujourd’hui plus ou moins la même forme. Et personne ne s’en plaint : ce bloc rectangulaire est un objet dont l’ergonomie n’est plus à démontrer.

 

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La couleur des objets

Pour Pierre-François, il reste pourtant une bonne dose d’innovation radicale à entreprendre dans le monde de la mobilité et notamment grâce au boom récent des objets connectés. L’objectif des années à venir sera de faire en sorte que les objets intelligents entrent dans le quotidien des gens, qu’ils cessent d’être des produits réservés aux geeks. Pour lui, qui vient de Dior, cela passe d’abord par une orientation du design vers de véritables objets au design commun, qui toucheraient directement le grand public et qui proposeraient des fonctionnalités connectées.

C’est particulièrement valable dans le domaine du luxe, dit-il : « si l’on achète une montre à 15 000 euros, c’est parce qu’on sait qu’elle sera durable, qu’elle passera de génération en génération et que tout bon horloger saura la réparer, la remettre à neuf. Le problème avec les montres connectées d’aujourd’hui, c’est qu’elles ne sont pas durables et qu’elles vont devenir obsolètes très rapidement à cause des mises à jour du logiciel qui seront impossibles dans quelques années sur les modèles actuels. » Cette catégorie d’objets intéresse aussi Honor qui, même sans faire dans le luxe, souhaite toucher un public jeune et connecté, amateur d’innovations.

La priorité suivante pour un studio travaillant pour une marque de smartphone chinoise concerne la couleur. L’équipe de François Durris le sait : les goûts ne sont pas les mêmes d’un côté ou de l’autre du globe. « En Chine, le public aime les couleurs flash, très fortes. On ne conçoit pas les mêmes produits pour un public européen qui sera plus attiré par des couleurs sobres. » La recherche en matière de couleur oriente également la gamme. L’or a été l’une des couleurs les plus vendues de ces dernières années du côté des smartphones. Pour François Durris, la prochaine tendance, c’est le cuivre. Avec les classiques modèles noirs et blancs, les modèles cuivrés sont censés donner un côté premium à un produit, même s’il n’est pas taillé dans un alliage de métal. La teinte se décline du mat sombre au brillant éclatant et permet beaucoup de variations pour habiller les différentes parties d’un smartphone. Ce sont ces couleurs classiques qui, d’après eux, véhiculent l’image de marque d’une compagnie et qui seront réservées à Huawei, même si les modèles Honor reçoivent les déclinaisons noires et blanches. La texture de la coque du Honor 6+ a, par exemple, été travaillée au studio parisien.

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Sur les modèles entrée et milieu de gamme, les considérations sont différentes : on cherche ici à séduire un public plus branché streetwear, casual. For the brave, le slogan de Honor, que les équipes ont choisi de ne pas traduire, donne une direction à la philosophie de la marque : les couleurs travaillées sont inspirées d’objets très urbains, qui rappellent le mouvement, le sport. Cette fois encore, les recherches sont un work-in-progress du studio et ne concernent pas les produits que Honor met sur le marché aujourd’hui. C’est une combinaison de plusieurs recherches, entreprises par différents studios dans le monde, qui va définir les produits à venir et ce processus prend du temps. Car imposer une marque passe par des détails, de légères touches ajoutées petit à petit, autant sur le matériel que sur le logiciel.

 

Suite de ce dossier : PLONGÉE DANS LE STUDIO DE DESIGN DE HONOR À PARIS : DU SOFTWARE AU HARDWARE (2/2)

Article réalisé avec la contribution d’Honor


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