Microsoft vs FTC : qui peut gagner ? Quels sont les secrets révélés ? Le récap du procès

 
Le procès entre la FTC et Microsoft est devenue l’enjeu principal pour déterminer l’avenir du projet de rachat d’Activision Blizzard. C’est aussi l’occasion de découvrir des secrets de l’industrie.

Le projet de rachat d’Activision Blizzard pour 68,7 milliards de dollars par Microsoft rencontre des difficultés au Royaume-Uni et aux États-Unis. La FTC (Federal Trade Comission) en charge de la concurrence aux États-Unis a demandé une injonction le 12 juin 2023 devant un tribunal fédéral. Le procès porte en lui l’avenir du projet de rachat. Il permet aussi de lever le voile sur certains secrets de l’industrie du jeu vidéo.

À quoi sert ce procès ?

Le procès entre la FTC et Microsoft devant le tribunal fédéral est un processus accéléré qui doit déterminer s’il est nécessaire d’empêcher Microsoft de pouvoir absorber Activision Blizzard en attendant le verdict d’un autre procès, celui du procès au tribunal administratif prévu pour s’achever en 2024. L’autorité de la concurrence aux États-Unis a déterminé en décembre 2022 que le projet de rachat devait être bloqué et a lancé pour cela un procès devant son tribunal administratif dont l’ouverture est prévue en août.

Le contrat de rachat entre Activision Blizzard et Microsoft expire le 18 juillet 2023 et malgré le blocage du Royaume-Uni, les deux entreprises ont fait planer l’idée de consommer la fusion avant cette date. Pris de court, la FTC a demandé une injonction pour geler le rachat. Un juge a accordé un blocage temporaire jusqu’au 14 juillet 2023 23h59 le temps de trouver un verdict.

Pendant plusieurs jours d’audience, la FTC a donc cherché à démontrer que Microsoft était malhonnête et pourrait rendre les futurs jeux Activision Blizzard exclusifs à son écosystème ou dégrader l’expérience sur les consoles concurrentes. Elle a également cherché à prouver que le développement de Call of Duty sur Switch serait difficile. Enfin, la FTC a souhaité mettre en avant l’importance future du cloud gaming et le poids que Microsoft aurait sur ce marché avec le rachat d’Activision Blizzard.

À l’inverse, la stratégie de Microsoft était de montrer que ce rachat serait une bonne chose pour les consommateurs en apportant Call of Duty sur plus de plateformes qu’aujourd’hui, comme la Switch, et en apportant les franchises d’Activision Blizzard sur le Xbox Game Pass. La firme a également mis en emphase le marché mobile comme point d’intérêt principal du rachat d’Activision Blizzard, éditeur de Candy Crush et Call of Duty Mobile notamment.

  • Si la FTC gagne : Microsoft n’a plus le droit de racheter Activision Blizzard jusqu’à la fin du premier procès prévu en 2024. La firme pourrait abandonner son projet.
  • Si Microsoft gagne : la FTC pourrait abandonner le procès principal et seul le Royaume-Uni resterait un problème pour le projet. Microsoft pourrait choisir d’absorber Activision Blizzard en ignorant la décision britannique.

Les secrets révélés

Que ce soit à travers les documents confidentiels de Sony et Microsoft utilisés comme preuve pendant le procès ou par les différents témoignages de cadres de l’industrie, le procès a été l’occasion de plusieurs révélations.

Le résumé du procès

Le procès entre la FTC et Microsoft a impliqué le témoignage de plusieurs cadres de l’industrie. Voici un résumé des arguments présentés lors de chaque témoignage.

  • Matt Booty, le patron de Xbox Game Studio, a admis que le portage de Call of Duty sur Switch allait impliquer des compromis. Il a dû s’expliquer sur des emails internes sur le choix de rendre les nouveaux jeux Bethesda exclusifs et de priver Nvidia GeForce Now des jeux Bethesda. Dans un email daté de 2019, il évoque l’idée de pousser Sony à la faillite grâce à l’achat de contenu pour le Xbox Game Pass. À l’époque, Microsoft est craintif à l’idée qu’un « Disney du jeu vidéo » émerge de la part de Tencent, Google, Amazon ou Sony. Matt Booty explique que la stratégie de Microsoft aurait changé depuis lors.
  • Phil Spencer, le patron de Microsoft Gaming (Xbox), a juré sous serment que Call of Duty serait encore proposé sur la PS5 et les futures consoles PlayStation. Il révèle que le rachat de Bethesda Zenimax a été motivé par la crainte de voir Starfield devenir une exclusivité PS5. Un email interne de 2019 révèle comment Xbox a considéré devenir un studio de jeu mobile et comment la stratégie xCloud sert l’intérêt de Microsoft sans répondre à un besoin du consommateur. Il a indiqué que Xbox était une branche indépendante de Microsoft qui se devait d’être bénéficiaire. Il doit justifier des finances de Microsoft Gaming tous les mois avec Amy Hood, la CFO de Microsoft. Un email de 2021 dévoile un Phil Spencer favorable à la présence de Fallout 76 sur le PlayStation Now (aujourd’hui PlayStation Plus Extra) pour augmenter la popularité du jeu.
  • Pete Hines, le patron de Bethesda, est clairement mécontent de l’attitude de Microsoft depuis l’annonce du rachat d’Activision Blizzard. Un email de sa part questionne de façon véhémente pourquoi les jeux de ses studios sont devenus exclusifs Xbox alors que cela ne sera pas le cas pour Activision Blizzard.
  • Jim Ryan, le patron de Sony Interactive Entertainment (PlayStation) explique dans un email interne de janvier 2022 ne pas être inquiété par le rachat d’Activision Blizzard par Xbox : « tout ira bien. Nous serons plus que bien ». À partir d’août 2022, les négociations avec Xbox concernant Call of Duty ont échoué et la firme devient beaucoup plus inquiète, au point de le signaler aux autorités. Il admet que la relation avec Activision se détériorerait en cas de rachat, PlayStation ne pourrait plus communiquer les détails de sa prochaine avec console avec une filiale de son concurrent direct. D’après Jim Ryan, le cloud gaming deviendra important à l’horizon 2025 – 2035. Il estime que le Xbox Game Pass détruit la valeur des jeux et que les éditeurs sont insatisfaits du service. Il a concédé que le passage de Starfield en exclusivité Xbox n’était pas anti-compétitif. Il fait peser l’idée que Microsoft pourrait continuer à sortir Call of Duty sur PlayStation, mais avec une version dégradée ou moins performante du jeu. Le contrat proposé par Microsoft pour maintenir les jeux Activision Blizzard chez PlayStation aurait omis des titres importants comme Overwatch 2 ou Diablo IV.
  • Sarah Bond, en charge de la relation avec les développeurs et de l’écosystème Xbox, a admis que l’utilisation du cloud gaming était pour le moment très limité. Les joueurs l’utilisent avant tout pour tester un jeu sur console qui est en cours de téléchargement. L’usage sur smartphone défendu par Microsoft serait en fait infime.
  • L’idée de rendre Call of Duty exclusif aux consoles Xbox n’aurait jamais été discutée avec Amy Hood, responsable des finances de Microsoft, ou le conseil d’administration du groupe.
  • D’après la FTC, les contrats de 10 ans passés entre Microsoft et les autres acteurs du jeu vidéo comme Nintendo ou Nvidia comprendraient des failles capables de permettre à Microsoft de ne pas tenir ses engagements.
  • Bobby Kotick, le patron d’Activision Blizzard, a expliqué qu’il n’était pas favorable au Xbox Game Pass pour les jeux de ses studios, ce qui va dans le sens de l’argumentaire de Microsoft. En effet, ce dernier vend l’idée que sans le rachat, les jeux Activision n’arriveront pas dans le Xbox Game Pass. Il a regretté l’absence de Call of Duty sur Nintendo Switch et a évoqué le développement du jeu sur la prochaine console de Nintendo. Il a démenti, comme Microsoft, l’idée de sortir une version dégradée de Call of Duty, expliquant que cela nuirait à l’image de marque du jeu et du studio auprès de 100 millions de joueurs actifs mensuel sur PlayStation.
  • Satya Nadella, CEO de Microsoft, a expliqué ne pas aimer les exclusivités sur le marché des consoles ou du logiciel et a mis en cause Sony PlayStation sur le sujet.
  • Le témoignage de Phil Eisler, responsable de Nvidia GeForce Now, a rappelé que le concurrent de Xbox Cloud Gaming était favorable au projet de rachat depuis la signature de son contrat avec Microsoft.
  • Dov Zimring était l’un des responsables de Google Stadia. Il témoigne de la fin du service qui serait due en partie au manque de contenu sur la plateforme. Une manière pour la FTC de démontrer la difficulté à se faire une place même pour un géant comme Google lorsque certains jeux ne sont pas proposés sur la plateforme. Par ailleurs, il fait le lien avec l’utilisation de GNU/Linux sur l’infrastructure de Google, qui complexifie les portages de jeux, en alternative à Windows qui aurait « doublé la facture » pour la firme. Rappelant la force de Microsoft dans le secteur grâce à son système d’exploitation PC.
  • Le témoignage de Tim Stuart, le responsable des finances de Microsoft Gaming, a sans doute permis à la FTC de gagner des points au procès. Une réunion de 2020 révèle que Microsoft souhaite que son contenu soit « en premier, le meilleur ou le meilleur possible » sur ses propres plateformes. Cela joue avec l’idée d’une version améliorée d’un jeu sur Xbox et non sur PlayStation. Un échange avec Phil Spencer révèle un Microsoft qui « aimerait dire publiquement que tous les jeux Bethesda seront exclusif à partir de maintenant » où Spencer rappelle qu’«on ne peut pas dire ça ». Plusieurs échanges révèlent les réflexions internes de Microsoft concernant le passage d’un jeu en exclusivité après le rachat et la capacité de la firme à accepter de perdre de l’argent sur les ventes en se coupant d’une plateforme.
  • L’autorité de la concurrence canadienne a envoyé une lettre à la juge le dernier jour du procès pour soutenir la FTC américaine.

Les points d’achoppement

Voici les éléments du projet de rachat qui ont suscité des débats entre la FTC et Microsoft.

  • La FTC pense que Call of Duty est le nerf de la guerre, un jeu unique en son genre et que l’on ne peut remplacer facilement sur le marché du jeu vidéo. Le titre a été comparé à Elder Scrolls de Bethesda, mais pour la FTC, Call of Duty est encore dans une catégorie au-dessus. Une longue partie des débats concerne la capacité de Call of Duty à faire migrer des joueurs d’une console à l’autre en cas d’exclusivité.
  • La FTC estime que les contrats passés par Microsoft avec Nintendo et les services de cloud gaming ne suffisent pas à protéger l’intérêt du consommateur. Microsoft estime que ses contrats permettent de dissiper les doutes concernant Call of Duty et que la firme n’aurait aucun intérêt financier à rendre exclusif le jeu qui rapporte très gros sur PlayStation. La juge a rappelé à la FTC que Nvidia soutenait le rachat alors qu’ils sont concurrents de Microsoft.
  • La FTC craint que le marché se tourne trop vers l’abonnement au jeu vidéo et que l’industrie se transforme en duopole entre Xbox Game Pass et PlayStation Plus.
  • Une autre clé du débat est la question de la concurrence de Nintendo. Le constructeur japonais propose une console sans Call of Duty et rencontre du succès, ce qui va dans le sens de Microsoft. D’après la FTC, il y a un marché de la console haute performance qui ne comprend que Xbox et PlayStation. La juge s’interroge sur la présence de la Xbox Series S à 299 euros sur ce marché où la Nintendo Switch est vendue au même prix. Microsoft admet que le prix de sa console a été réfléchi en fonction de Nintendo.

La FTC a perdu la première manche

Les audiences du procès ont eu lieu du 22 au 29 juin 2023. Le 11 juillet 2023, la juge Corley a annoncé un verdict défavorable pour la FTC. Elle n’a pas été convaincue par les arguments de l’autorité de la concurrence. Microsoft est donc libre de procéder à la fusion avec Activision Blizzard à partir du 15 juillet 2023, date d’expiration du blocage temporaire.

Dans la nuit du 12 au 13 juillet 2023, la FTC a officiellement déposé une demande pour faire appel de la décision. L’autorité a donc jusqu’au 15 juillet pour réussir à faire prolonger ce blocage temporaire, mais la date butoir du contrat de rachat au 18 juillet qui approche à grands pas pourrait dissuader un tribunal d’abonder dans le sens de la commission. Dans ses conclusions, la juge Corley a indiqué qu’il n’était pas suffisant pour la FTC de démontrer que « la fusion pourrait diminuer la concurrence », mais que la commission devait démontrer « que la fusion va diminuer la concurrence » ce qu’elle n’a pas réussi à faire. Une nuance subtile qui fait débat entre les experts juridiques sur l’interprétation de la loi. La demande d’appel de la FTC pourrait porter sur ce point en arguant que la commission doit seulement prouver que la fusion « pourrait » et non « va » réduire la concurrence.

Cette procédure d’appel se fait devant un nouveau tribunal, différent du tribunal fédéral californien qui a jugé la demande d’injonction et du tribunal administratif, qui doit ouvrir le 2 août le procès pour déterminer si Microsoft a bien le droit de racheter Activision Blizzard.

 


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