Cette semaine, Microsoft fait face à une fuite massive de documents confidentiels. Dans la soirée du 19 au 20 septembre, il a été découvert que l’erreur provenait bien de Microsoft : l’entreprise a mis en ligne par erreur des documents secrets non censurés sur le site du tribunal dans le cadre de son procès avec la FTC pour le rachat d’Activision Blizzard.
C’est ainsi que l’on a découvert les plans de Microsoft pour commercialiser une Xbox Series X sans lecteur de disque, des discussions sur un rachat de Nintendo à long terme, et même ses plans et son calendrier pour le développement de la prochaine génération de Xbox qui fera face à la PlayStation 6. Ce que l’on a aussi découvert, c’est la réalité des échanges entre des cadres qui, parfois, naviguent à vue.
Qui est le vrai Phil Spencer ?
Lorsque l’on commente les actions des entreprises, on peut facilement en déshumaniser les employés. En d’autres termes, oublier que derrière ce qui peut nous paraître une incroyable réussite ou un échec cuisant, il y a toujours des humains qui font surtout de leur mieux dans leur périmètre. Phil Spencer, le patron de Microsoft Gaming, est une figure déjà très publique et très populaire auprès des joueurs. L’homme arrive souvent à transcrire une certaine transparence en interview avec la presse et une capacité à donner l’impression d’être « un joueur comme les autres ». Mais n’importe quel interview ou discours public doit être pris avec une dose de scepticisme attendu : à son niveau de hiérarchie, il est forcément très entrainé à répondre comme il se doit aux questions de la presse pour donner la meilleure image possible de sa personne et de sa marque.
Ce que l’on a découvert tout au long du procès avec la FTC, et qui a été renforcé par la publication des e-mails confidentiels, c’est la proximité entre le Phil Spencer en public et le Phil Spencer en privé.
Quand Phil Spencer découvre la PS5
Un bon exemple pour comprendre de quoi l’on parle est peut-être cet échange de mails entre Phil Spencer, Satya Nadella (le patron de Microsoft) et Elizabeth Hamren, alors responsable de la conception des nouvelles Xbox, daté du 19 mars 2020. Il fait immédiatement suite à la première présentation de l’architecture de la PS5 par Mark Cerny.
On peut y lire un Phil Spencer confiant d’avoir une console, la Xbox Series X, plus puissante sur le papier que la PlayStation 5. Une bonne raison d’être « fier de notre équipe ». Il indique que le conseil d’administration de Microsoft lui a fait remarquer qu’il était sans doute trop confiant, mais tout en s’excusant, il fait comprendre qu’il y a des raisons ici d’être confiant.
Nous n’avons rien gagné. Et je sais que nous avons des discussions difficiles sur la tarification, les pertes et profits, les investissements, etc. Ce courrier n’a pas pour but d’écorner tout cela, ces discussions sont vraiment importantes. Mais nous pouvons avoir confiance en la vérité de notre produit et je pense que toute conversation doit commencer par cette conviction. C’était une bonne journée pour Xbox. Merci de m’avoir accordé votre attention, Phil
Il serait facile de se moquer a posteriori de cette confiance, alors que le même homme devra faire un aveu d’échec trois années plus tard, mais c’est justement là toute la vérité de la chose. Les personnes qui travaillent pour de grandes marques, même à ces niveaux de responsabilité, sont évidemment faillibles. On peut surtout en tirer l’excitation et la passion palpables d’une personne quelques mois avant le lancement d’un produit ayant demandé plusieurs années de développement.
Le « désastre » de 2022
On peut penser qu’être enthousiaste en privé comme en public est simple. Un autre échange permet de mettre en lumière un Phil Spencer plus inquiet de la situation. Il est daté de mai 2022, alors que Microsoft comprend que ce calendrier de fin d’année sera désespérément vide : Starfield ne pourra pas sortir, Redfall et Stalker 2 ne sont pas prêts. Pour Phil Spencer, « C’est vraiment une situation désastreuse pour nous, compte tenu de tout ce que nous avons investi dans le contenu à travers les studios de notre fonds de contenu Game Pass. Nous devons en tirer les leçons et élaborer un plan d’action ».
Le patron de Microsoft Gaming continue en expliquant que c’est un vrai échec de planification de leur part et qu’ils doivent désormais réussir à gérer la sortie de nouveaux jeux, quitte à devoir en repousser pour assurer un calendrier plus régulier. Phil Spencer est aussi peu dupe que les joueurs devant une conférence : il précise qu’il ne parle de « contenu additionnel » ou de « nouvelles saisons » pour des jeux existants, mais bien de lancer de nouveaux titres régulièrement.
Face à cette situation difficile « que l’on ne peut pas se permettre », il tient un discours cherchant à motiver ses collègues à la direction de Xbox : « relevons nos manches ».
Nous avons déjà fait face à des situations difficiles, nous le ferons à nouveau. Je suis frustré par la situation dans laquelle nous nous trouvons, mais nous y parviendrons. Le plus important est de construire un plan gagnant. C’est ce à quoi nous devons nous atteler.
C’est aussi dans cet échange de courrier que l’équipe travaille à décrocher des contrats autour du Xbox Game Pass pour compléter ce calendrier trop vide en sorties exclusives. C’est là que Microsoft met de côté de futurs grands titres comme Baldur’s Gate 3. Le succès de ce dernier était une surprise pour le monde entier. Ils se mettent d’accord pour réfléchir à demander Gotham Knights, qui arrivera prochainement dans le Game Pass et Assassin’s Creed Rift qui deviendra Assassin’s Creed Mirage et ratera sa sortie fin 2022. Phil Spencer propose d’y ajouter les jeux Dark Souls pour tenter de surfer sur le succès Elden Ring. Une hypothèse qui ne se concrétisera pas, les jeux From Software ne sont pas arrivés dans le service.
Dans un dernier échange à mettre en lumière, Phil Spencer botte en touche lorsqu’on lui demande comment un studio appartenant à Xbox peut désormais évaluer sa valeur : puisque ce n’est plus vraiment les ventes de jeux qui sont importantes aux yeux du constructeur, mais aussi les abonnements au Game Pass. Le patron de Microsoft Gaming répond clairement qu’il n’a pas la réponse à la question et que c’est globalement une combinaison de la capacité des jeux à attirer vers le Game Pass ou conserver des gens abonnés au service.
Des dizaines de mails confidentiels que nous avons lus, on comprend que Phil Spencer est une personne qui semble avoir la tête sur les épaules, une vision claire du marché du jeu vidéo et ses tendances, une bonne compréhension des attentes des joueurs et des fans de sa marque. Il n’a pas toujours la réponse à tout, et lui comme son équipe peut royalement se planter sur certains choix stratégiques, mais c’est là toute l’idée : l’erreur est humaine.
Des mails honnêtes ?
Tempérons tout de même notre propos. Lorsque l’on écrit un e-mail dans le cadre de son travail, on affiche là encore un masque social, même si le cadre est davantage privé que dans une déclaration à la presse. Il faut donc garder cela en tête à la lecture des échanges. Reste que dans une sphère semi-privée, on lit un Phil Spencer qui tient des propos cohérents avec ses propres réponses en public. Ses réponses donnaient une impression de transparence, désormais, on peut en vérifier la teneur.
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