Oppo et OnePlus quitteraient le marché français entre autres pays européens. C’est la folle rumeur qui agite actuellement le secteur des smartphones — et plus globalement de la tech — ainsi que la presse spécialisée évidemment. Les deux marques sœurs — elles appartiennent au même groupe — ont rapidement envoyé des communiqués à la presse pour clamer leur attachement et leur dévouement au Vieux Continent. Cependant, le doute plane toujours.
Les deux communiqués ne répondent pas explicitement aux deux tweets de Max Jambor et SnoopyTech qui ont mis le feu aux poudres et n’ont pas été diffusés via des canaux publics (sites ou réseaux sociaux). De quoi laisser entendre qu’il s’agit surtout d’assurer un minimum de damage control pour le moment, le temps de préparer une réelle réponse officielle. Celle-ci pourrait changer du tout au tout à cause d’un acteur que l’on ne soupçonnerait pas de prime abord : Nokia.
Oppo vs Nokia : la guerre des brevets prend de l’ampleur
Il faut savoir qu’à cause d’un conflit juridique avec le géant des télécoms Nokia, les smartphones Oppo et OnePlus ne sont plus vendus en Allemagne depuis l’été 2022. L’entreprise finlandaise réclame aux deux marques chinoises de payer des licences pour utiliser des technologies brevetées liées à la 4G et à la 5G. De leur côté, Oppo et OnePlus dénoncent des frais de renouvellement « déraisonnablement élevés ». Or, si l’on pouvait croire au départ que cette guerre des brevets ne touchait que l’Allemagne, les répercussions sont bien plus importantes.
L’information était passée quelque peu inaperçue à l’époque, mais comme l’écrivait alors le magazine d’affaires allemand WirtschaftsWoche, « Nokia ne poursuit pas Oppo qu’en Allemagne, mais également en France, en Espagne, au Royaume-Uni, aux Pays-Bas, en Finlande et en Suède ». « Si ces tribunaux suivent le verdict allemand, Oppo devrait dire adieu à l’Europe occidentale », lisait-on par ailleurs dans l’article dédié.
Il y a donc des procès qui se jouent dans divers pays européens et notamment en France. L’affaire ne se résume pas à l’Allemagne. On imagine que les premières décisions de justice seront rendues dans les semaines ou mois qui viennent. À cet égard, Oppo et OnePlus prendraient déjà quelques décisions stratégiques venues alimenter les rumeurs d’un retrait pur et simple de l’Europe et celles d’une indisponibilité du Find X6 Pro pourtant officialisé en Chine.
La stratégie inédite d’Oppo
Pour aller plus loin, un article de blog écrit par Matthieu Dhenne, avocat à la Cour, vient éclairer notre lanterne. Il confirme d’une part les procédures juridiques entreprises dans d’autres pays européens comme la France et tente d’expliquer, d’autre part, la stratégie d’Oppo face à Nokia.
À la lecture de son analyse, on comprend qu’Oppo a agi de manière assez inédite. L’avocat rappelle que la firme chinoise avait recours à une licence FRAND pour utiliser les technologies 4G et 5G. Ce sigle « FRAND » signifie en anglais « Fair, Reasonable and Non Discriminatory ». En d’autres termes, les contrats de négociation autour des licences FRAND doivent être « équitables, raisonnables et non discriminatoires ».
Or, c’est précisément sur cette notion FRAND qu’il y a eu désaccord entre Oppo et Nokia. Matthieu Dhenne explique que dans le cadre de négociations de renouvellement de licences, « les négociateurs font souvent face à cette menace de l’adversaire si un procès devait être perdu : quitter le marché en cause plutôt que de négocier une redevance globale ». Il précise cependant que la menace en question n’est généralement jamais exécutée, et donc rarement prise au sérieux.
C’est là qu’Oppo se démarque. Au lieu d’accepter les conditions de renouvellement exigées par Nokia, l’entreprise a préféré retirer ses produits avant même que les injonctions d’interdiction provisoire de ventes soient mises en œuvre.
Oppo a donc préféré garder une maîtrise de ses coûts de production à l’échelle mondiale plutôt que de payer des redevances plus onéreuses permettant de rester sur un marché allemand ne représentant que 1 % de ses ventes. D’autant plus que les lois sur les brevets en Allemagne ont une particularité importante : les licences octroyées dans le pays valent pour l’ensemble des produits vendus dans le monde.
WirtschaftsWoche explique ainsi que pour continuer d’écouler environ 2 millions de smartphones outre-Rhin, Oppo aurait dû payer une licence plus cher pour chacun des quelque 200 millions de smartphones qu’il vend à travers le globe. Un calcul qui n’a sans doute pas séduit le fabricant, surtout pendant une année 2022 très compliquée.
Le cas spécial de la France
L’histoire ne s’arrête pas là. Tout porte à croire que l’affaire opposant Nokia et Oppo en France aura une importance capitale. L’avocat Matthieu Dhenne précise que le siège de l’Institut européen des normes de télécommunications (Etsi) se situe en France, à Sophia Antipolis, près de Nice. Il cite alors une interview de la professeure Anne-Catherine Chriariny, experte des lois sur les brevets. « Compte tenu de la localisation de l’Etsi sur le territoire français, la compétence du juge français semble naturelle pour fixer un taux de redevance global », affirmait-elle.
Un point de vue partagé par la juge Nathalie Sabotier, présidente de la troisième Chambre du tribunal judiciaire de Paris exclusivement compétente en matière de brevets.
Les tribunaux français se trouvent dans une situation particulière dans la mesure où l’Institut européen des normes de télécommunications (Etsi) a son siège en France et est soumis au droit français, de sorte que les obligations contractées dans ce contexte devraient également relever du droit français.
Ainsi, le verdict que rendra la justice française jouera un rôle particulièrement important pour l’avenir d’Oppo et de OnePlus — et sans doute de l’autre marque du groupe Realme, qui nous inquiétait déjà. Le montant de la redevance que les juges français estimeront juste fera sans doute foi dans l’Europe entière. Bref, affaire à suivre.
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