C’est un génie que vous ne connaissez sans doute pas. Et pourtant, vous avez sûrement utilisé le fruit de son travail.
Si vous avez eu un Samsung Galaxy S4 (2013), c’est lui qui a développé l’architecture CPU (Cortex-15) du processeur Exynos de l’époque, du temps où il était chez ARM.
Vous avez eu des iPhone de la période de l’iPhone 5S (2013) à XR (2018) ? Le CPU : c’était encore lui.
Vous vous êtes acheté un Macbook à puce M1 ? À nouveau, le CPU était signé d’un nom : Gerard Williams III.
Un suffixe qu’il n’aime pas particulièrement puisque « cela pose parfois des problèmes dans les aéroports« , explique le quinquagénaire, aujourd’hui en charge des développements CPU chez Qualcomm. Un homme qui est l’une des « armes fatales » du groupe.
La question essentielle
Après avoir quitté Apple pour fonder Nuvia – non sans avoir laissé une belle feuille de route CPU à Apple – l’homme discret, mais assuré dans ses propos, a vu l’entreprise qu’il a cofondée être rachetée par le géant des puces mobiles Qualcomm. Ce dernier a vu en lui et la technologie de Nuvia le Graal pour réussir (enfin !) son pari dans le monde des puces PC.
Nous avons eu la chance de rencontrer l’homme lors du Snapdragon Summit, la grande conférence annuelle de Qualcomm.
Une conférence lors de laquelle l’entreprise a dévoilé la version 2 de son cœur CPU Oryon. Un cœur qui affiche des progrès étonnants comparés à la première génération.
Nous avons donc commencé par lui poser la question essentielle : comment son équipe et lui ont-ils fait pour aller arracher plus de 40% de performances en plus à un cœur CPU déjà réputé pour sa puissance et son efficacité ?
« Quand on développe un processeur, on fait une longue liste de choses à faire et à améliorer et on réalise ce que l’on peut dans le temps imparti. On ne peut jamais tout réaliser, il faut faire des choix. Pour Oryon, il nous restait beaucoup de choses sur la liste« , explique Gerard Williams, en faisant référence au premier cœur Oryon que l’on retrouve dans les puces PC de Qualcomm, les Snapdragon X Elite et Snapdragon X Plus.
« Pour cette nouvelle version du cœur Oryon, nous avons en plus bénéficié du retour sur expérience de la première mouture. Et nous avons amélioré non seulement la microarchitecture, la montée en fréquence, mais aussi la consommation énergétique. C’était d’ailleurs le point important de cette nouvelle version », raconte l’ingénieur en chef.
Comme ce cœur devait être intégré dans un SoC de smartphone, « le cœur CPU a été encore plus optimisé pour offrir le meilleur rapport performance/watt que nous pouvions produire ».
Un dévoreur d’articles scientifiques
Dans le secret de ses laboratoires, Gerard Williams est accompagné d’une équipe. Une équipe qui est en partie à l’origine de son efficacité : « Nous nous connaissons tous très bien et depuis longtemps », décrit-il.
« Nous savons quelles sont nos forces et nos faiblesses. Et surtout, nous sommes intentionnellement peu nombreux. J’ai travaillé dans d’autres entreprises avec de grosses équipes et j’ai vu les travers que cela peut avoir. »
De manière assez surprenante, loin de se cantonner aux designs purs, son équipe met les mains dans le cambouis. « Dès les premières étapes de simulation, l’équipe passe beaucoup de temps à mesurer les performances avec des benchmarks pour comprendre la manière dont les logiciels vont se comporter », narre Gerard Wiliams.
Outre ce soutien sur lequel il peut compter, Gerard Williams est un vorace de publications scientifiques. « Je lis tout ce que je peux pour être à la pointe dans tous les domaines. Il ne suffit pas d’être bon dans le design CPU, il faut parfaitement connaître la nature des transistors, maîtriser la microarchitecture évidemment. Mais il faut aussi comprendre les process de fabrication, les phénomènes électromagnétiques, comprendre le software, c’est-à-dire comment circule le code dans la puce, comment fonctionne un compilateur, etc. »
Ajoutant que « toutes les équipes de design jouent avec les mêmes fabs (les usines de production, ndr) et les mêmes contraintes. Qu’il s’agisse du nombre fini de couches de métal des puces, des mêmes cellules de 60 bit, des mêmes librairies. Le jeu est de comprendre tous les aspects que je vous ai mentionnés pour concevoir des unités qui vont fonctionner avec un haut niveau de parallélisme tout en consommant le moins d’énergie possible », relate le maître des transistors.
Le poids de l’expérience
S’il a travaillé pour ARM et Apple, Gerard Williams a aussi et surtout évolué dans un milieu d’optimisation maximal, à la recherche du meilleur rapport de performances par watts dans de toutes petites puces.
« Outre mes lectures, j’ai des années d’expérience à jongler avec les milliwatts. Quand on a de telles contraintes, on est obligé d’avoir une approche globale pour concevoir les meilleurs cœurs. »
Et il va encore plus loin : « Je parle bien sûr des éléments de conception de la puce, comme la composante physique. Mais aussi de son environnement matériel d’une part : je dois penser à la DRAM, à l’interconnect (les circuits par lesquels les composants échangent les données, ndr), aux PMIC (composants qui régulent le courant électrique des autres puces, ndr), etc. En clair, à tous les autres composants qui échangent avec le processeur. D’autre part, je dois aussi penser aux usages. C’est-à-dire les besoins des logiciels cibles, la façon dont ceux-ci sont compilés et vont utiliser notre puce ».
Cette approche globale dont la complexité a de quoi donner le tournis a permis à Qualcomm d’accoucher d’une seconde génération de CPU Oryon.
Un cœur CPU ultra prometteur dont Qualcomm professe qu’il lui assurera la domination non seulement des cœurs mobiles, mais aussi des cœurs PC… Et automobile. Un destin incroyable pour un cœur CPU qui a commencé à propulser des PC !
Oryon 2, le cœur à tout faire
« En effet, c’est vraiment fantastique d’avoir conçu un cœur CPU qui soit intégré dans trois gammes de produits », se félicite Gerard Williams.
Après un Oryon de première génération cantonné aux PC portables, la révision 2 de ces cœurs (Prime et Performance) va non seulement propulser le Snapdragon 8 Elite et les Snapdragon Ride Elite et Cockpit Elite. Avant d’être intégrée dans le successeur du Snapdragon X Elite qui devrait être annoncé l’an prochain.
Cette polyvalence du cœur CPU a une histoire. « Dès les premiers jours ou semaines où je suis arrivé chez Qualcomm (début 2021, ndr), j’ai tout de suite dit »on va l’adapter au mobile ». Comme tout se passait très bien, la direction nous a dit qu’il fallait aussi intégrer ces cœurs dans une puce automobile », se remémore Gerard Williams.
« J’ai dit »holà, on se calme ! », mais la dynamique était enclenchée ! Et presque instantanément, l’équipe s’est retrouvée à devoir digérer des informations sur les puces automobiles d’un jour pour l’autre », relate-t-il. « Ce fut littéralement la course ! Nous avons récupéré des données des équipes automobiles de Qualcomm et nous avons intégré ces informations en quelques semaines », explique l’ingénieur.
Le même design, mais tout est différent
« En soi, le fonctionnement du cœur CPU ne change pas qu’il soit sur un smartphone ou une voiture. Quelques éléments peuvent varier, par rapport aux calculs à réaliser, mais rien d’exceptionnel du point de vue de la conception fondamentale. C’est le reste du travail qui est titanesque : les process nodes sont différents, les propriétés physiques cibles aussi, de même que la cohérence de la mémoire », ajoute-t-il.
En effet, alors que la puce de votre smartphone doit fonctionner dans des conditions standard de températures et que les éventuels plantages d’applications ne sont pas la fin du monde, le monde de l’automobile fonctionne différemment.
Le vrai défi automobile : la certification
Les nodes de fabrication – c’est à dire les procédés de gravure – doivent accoucher de puces capables de fonctionner aussi bien à -30°C qu’à 50°C au soleil. Et la moindre perturbation – ne parlons même pas de plantage – d’une application de conduite est tout bonnement hors de question.
Concevoir un cœur CPU et son organisation (sans même parler de tout le reste du SoC !) est donc loin d’être une sinécure. Et même quand ce travail est réalisé… Il y a encore du travail !
« Au final, le plus critique et le plus chronophage de la conception de la version automobile du CPU a été la certification. Il a fallu vérifier et documenter la microarchitecture, la qualité des cœurs, le design physique, etc. Nous avons livré un rapport énorme à une équipe de certification. »
Oryon 3, des objectifs tout aussi fous !
Lors de l’annonce d’une puce, les équipes en charge des différentes couches de l’architecture répondent évidemment à nos questions sur le produit présenté. Mais leur esprit est déjà sur la suite.
Quelle suite donner à deux générations de cœurs CPU déjà extraordinaires ? L’équipe va-t-elle pouvoir encore assurer longtemps des gains de 30 à 40% ?
« Je ne peux pas vous dire que c’est ce que nous allons réussir à faire, mais oui, c’est bien l’objectif », assure l’ingénieur l’air malicieux. De tels objectifs sont-ils réalisables alors que la Loi de Moore est censée être morte ?
« Le monde des CPU est très dur, car c’est un domaine mature. Il est très difficile de gagner des dizaines de pourcents. Mon approche globale ne repose pas que sur l’amélioration de la microarchitecture, mais sur une foule d’éléments. Or, il y a des progrès dans tous les domaines, qu’il s’agisse de la fab, des matériaux, de la mémoire, etc. Et il y a encore des idées que j’ai eues il y a longtemps auxquelles ne n’ai pas trouvé de solution. Mais parfois, il suffit de lire le bon article pour que la situation se débloque ».
Et gare à la compétition quand Gerard Williams trouve la bonne idée…
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