Pourquoi les objets qui nous entourent ressemblent-ils à ce à quoi ils ressemblent ? Quelles décisions ont présidé à tel ou tel choix de design qui font aujourd’hui consensus ? Si pour de nombreux appareils, cette histoire est déjà bien documentée, les smartphones pliants étant encore jeunes — le premier Samsung Galaxy Fold date de 2019 — beaucoup de décisions prises en coulisses restent encore inconnues.
Nous pouvons aujourd’hui y voir un peu plus clair grâce à notre rencontre à l’IFA 2022 avec Yoojin Hong, vice-présidente du groupe coréen à la tête du département UX. La spécialiste du design partagé les divers choix ayant conduit aux Galaxy Z Flip 4 et Z Fold 4 tels que nous les connaissons aujourd’hui lors d’une table ronde constituée de divers médias internationaux, dont Frandroid. Elle a pu nous éclairer sur les pourquoi du comment des deux nouvelles gammes du géant coréen.
Une seule cible : les utilisateurs de base
Oubliez les produits complètement fous qui sortent complètement des sentiers battus. Samsung n’en veut pas. Yoojin Hong a rappelé à plusieurs reprises que le cœur de la philosophie de Samsung est de s’adresser aux utilisateurs de base. Et on n’imagine pas à quel point cette approche a guidé toute leur réflexion, depuis les prototypes de Fold en 2014.
« Le type de réaction que nous voulions provoquer dès le premier Fold a été très clair : ‘wow, c’est nouveau, mais assez familier pour que je puisse l’utiliser directement’. Comme il s’agit d’une nouvelle catégorie de produits, beaucoup de gens vont attendre un changement radical, mais pour nous, il est primordial de garder une transition complètement transparente. »
Pas une tablette, mais un téléphone
En gardant bien cela en tête, les ingénieur·e·s de Samsung ont ciblé deux besoins essentiels de ces utilisateurs : « Je veux un écran toujours plus grand et je veux aussi un téléphone plus petit. » Une équation impossible, sauf à plier le téléphone, d’où l’idée du Fold, on l’a bien compris. Mais l’idée d’un écran toujours plus grand posait en elle-même une difficulté intrinsèque. Comment se débrouille-t-on pour que l’utilisateur lambda, pas forcément très au courant des dernières sorties, lorsqu’il passe devant un Fold sache immédiatement qu’il s’agit d’un téléphone et pas d’une tablette ? C’était un enjeu capital au début du projet. L’une des réponses à ce problème se trouve dans l’écran extérieur. Sa seule présence aide déjà le téléphone à ressembler à… un téléphone justement.
Ensuite, si la dalle secondaire est souvent pointée du doigt pour son étroitesse, Samsung assume complètement ce choix. « Nous n’avons pas fait l’écran extérieur du Fold plus large, car sinon, l’utilisateur lambda pensait : ce n’est pas un téléphone, c’est un PDA ou une tablette. », nous indique la vice-présidente. Là encore, on voit l’obsession de Samsung de bien être compris. D’ailleurs, pour la petite histoire, la firme de Séoul a un temps considéré intégrer un écran extérieur qui ne s’étalait pas sur toute la longueur, mais laissant une petite bande noire de haut en bas sur l’un des côtés. Mais il est vite apparu que cela était « bizarre » et « peu naturel ».
Pour tous les choix design de Samsung sur son Fold, il en va de même : l’utilisateur peu technophile détermine tout. Prenez le S Pen par exemple. S’il n’est pas directement intégré au châssis comme sur les Galaxy S22 Ultra, c’est aussi entièrement intentionnel et pas tant lié à une difficulté technique, nous assure-t-on. « Ce n’est pas quelque chose qui est recherché par la plupart des utilisateurs. Celles et ceux qui veulent s’en équiper le peuvent et ils peuvent le transporter partout avec une coque. De plus, le compromis nous semblait trop important, nous avons préféré nous concentrer sur les utilisateurs de base », une fois encore. Traduction : le jour où les utilisateurs de smartphones classiques voudront d’un stylet dans un Fold, alors le Fold aura un stylet intégré dans son châssis.
Le succès de la barre des tâches a surpris Samsung
Toujours dans l’optique de ne pas perdre l’utilisateur lambda, l’équipe chargée de l’interface de Samsung s’est beaucoup interrogée sur l’interface de l’écran interne, notamment en travaillant avec Google qui lui a imposé la sortie d’un téléphone par an. Pour éviter à tout prix que son interface ressemble trop à celle d’une tablette, Samsung a décidé de ne pas intégrer d’office des fonctionnalités innovantes comme la possibilité de séparer l’interface en deux parties dans les menus, ou encore l’ajout d’une barre des tâches.
Mais bien vite, la firme de Suwon a remarqué un phénomène étrange. Dès le premier Fold, 20 % des utilisateurs passaient le téléphone en mode tablette, puis 40 % sur le Fold 2. Des chiffres bien au-dessus de la normale. « En général, les gens ne vont pas chercher ce type de fonctionnalités d’eux-mêmes. » Alors pour le Fold 3, Samsung s’est dit « le marché est prêt » et a passé l’écran interne en mode tablette d’office. Seuls 8 % des utilisateurs ont désactivé l’option. Ce succès a amené la firme coréenne à sauter le pas pour la barre des tâches dès le Samsung Galaxy Z Fold 4.
Autre détail intéressant sur l’écran interne : le mode Flex a germé très tôt dans l’esprit de ses ingénieurs. L’élément déclencheur est pour le moins intéressant. Ils se sont vite aperçus qu’il n’était pas possible d’ouvrir les Fold négligemment comme on le faisait avec les anciens smartphones à clapet, du fait de la lourdeur de l’appareil notamment. Alors, la firme a décidé d’assumer cela et de proposer des fonctionnalités tirant parti de la charnière assez rigide de l’appareil. Le mode Flex était né avec le succès qu’on lui connaît.
Pour le Flip : mettez tout sur le design
Passons au Flip, le petit frère du Fold qui consiste basiquement à plier un téléphone en deux. Pour lui, la philosophie fut bien différente. « Dès le départ, notre priorité absolue s’est portée sur le design industriel », détaille Yoojin Hong. « Faites le beau, faites le beau, faites le beau », se disaient-ils en interne. C’est spécifiquement pour cette raison que sur la première génération, le Flip n’a pas immédiatement adopté l’idée d’un écran externe réellement utilisable, qui aurait pu rendre la première version moins agréable à l’œil.
À la deuxième génération, Samsung a trouvé comment rendre le smartphone plus plat, plus carré, plus gominé. Cette meilleure maîtrise du format, on le sait, a ouvert la voie à un écran plus grand. Là aussi, surprise, le temps d’utilisation moyen des utilisateurs a considérablement baissé grâce à ce petit écran : 4,3 heures en Corée sur le Flip 3, contre 5 sur le S21 et 4,7 sur le Fold ; aux États-Unis, on passe de 4 heures en moyenne sur le Fold et 4,7 heures sur le S21 à 3,4 sur le Flip 3. Qu’à cela ne tienne, pour le Z Flip 4, Samsung a donc décidé de pousser encore plus loin l’utilisation de l’écran externe en proposant plus d’interactions avec celui-ci pour mieux répondre à cet usage : de nouveaux widgets ou encore la possibilité de passer des appels sans ouvrir le téléphone.
Pourquoi si peu de changements ?
Nous écrivions à la sortie des deux téléphones un article pour expliquer pourquoi les nouveaux modèles proposaient si peu de changements par rapport à leurs prédécesseurs. Yoojin Hong a apporté de l’eau à notre moulin sur ce sujet.
La vice-présidente nous explique à quel point ce choix est intentionnel. « Nous avons fait la même chose avec les montres qui n’ont pas beaucoup changé de taille d’écran et de design depuis les Galaxy Watch Active 2. » Si pour les pliants, il peut encore y avoir quelques améliorations à la marge, la raison pour laquelle ils ne changent pas radicalement d’un modèle à l’autre est simple : Samsung veut garder un écosystème suffisamment stable pour permettre aux développeurs de travailler sur une base sereine. « Nous travaillons soigneusement pour ne pas changer trop radicalement nos produits. C’est la raison pour laquelle si vous mettez côte à côte tous les Fold, ils se ressemblent finalement beaucoup », argumente l’experte.
Quant à la question d’un écran extérieur plus grand pour le Flip sur les futurs modèles, la responsable considère que « pour l’instant, nous pensons que la taille est suffisante. Il faut comprendre qu’un smartphone est un puzzle. Dès qu’on change un paramètre, il y en a beaucoup d’autres à prendre en compte : le design industriel, la batterie, etc. »
Vous l’aurez compris, si Samsung est sans conteste l’une des marques les plus en pointe sur l’innovation dans le monde des smartphones, tout l’amène à avancer tranquillement, voire à tâtons. L’absence de concurrence doit bien aider, certes, mais la démonstration de Yoojin Hong tend à prouver une chose : la préoccupation principale du groupe est de ne pas trop bousculer. Ni leurs utilisateurs, ni les développeurs qui travaillent sur leur écosystème, ni leurs chaînes de production. Tout ce petit monde justifie les mises à jour itératives, jusqu’à ce que le marché appelle un jour à des changements plus radicaux, et jamais dans le sens inverse où Samsung proposerait une révolution de design tout seul dans son coin, sans s’assurer d’abord d’être bien reçu. Cela vous rappelle peut-être une autre marque de smartphones un tout petit peu connue qui vient de présenter son iPhone 14 ?
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