La Tesla qui roulait à 140 km/h en plein Paris était-elle vraiment défaillante ? Voici le rapport final de l’accident mortel

 
Le rapport final de l’accident tragique arrivé à Paris en décembre 2021 a été publié par le bureau d’enquêtes sur les accidents de transport terrestre (BEA-TT). Voyons ce qu’il nous révèle non seulement sur ce qu’il s’est passé, mais aussi sur les cas similaires, et pourquoi l’erreur humaine met parfois des années à être confirmée.

Les véhicules électriques sont régulièrement sous le feu des projecteurs, particulièrement quand quelque chose se passe mal. Parmi les marques les plus promptes à faire parler d’elles, nous retrouvons bien entendu Tesla, qui propose quasiment des performances de supercars à mettre entre les mains de centaines de milliers de clients chaque année. C’est pourquoi lorsque l’on entend parler d’accélérations soudaines et incontrôlées, Tesla n’est pas bien loin.

Ce fut notamment le cas à Paris, en décembre 2021, lors d’un événement dramatique ayant conduit à 21 blessés et un mort : un conducteur à bord d’une Tesla Model 3 en était à l’origine. Ce genre d’événement amène beaucoup de questions, et l’une d’elles revient particulièrement souvent : est-ce que le constructeur a vraiment permis à la voiture d’accélérer soudainement, ou est-ce simplement une erreur de la part du conducteur ?

Tesla a déjà réagi à ces allégations en janvier 2020, à travers un billet de blog en réponse à une pétition pour y voir plus clair. Leur point de vue est on ne peut plus équivoque, puisque que le titre est : il n’y a pas d’« accélération involontaire » dans les véhicules Tesla. Rien que ça. Nous allons dans cet article nous concentrer dans un premier temps sur le rapport publié par le BEA-TT sur l’incident de Paris, où là encore, le conducteur est bien responsable de l’accélération soudaine de sa Tesla Model 3.

Dans un moment de panique, il aurait confondu les pédales d’accélérateur et de frein, entraînant une série de collisions fatales. Malgré des données techniques disponibles presque immédiatement grâce aux capacités connectées des véhicules Tesla, il aura fallu trois ans pour que l’enquête conclue à une erreur humaine et écarte définitivement l’hypothèse d’un défaut mécanique ou logiciel.

Ce type d’incident met donc en lumière des questions importantes : alors que l’on peut récupérer les données enregistrées par le véhicule en quelques minutes seulement, pourquoi faut-il près de trois ans pour les analyser ? Pourquoi ces événements — systématiquement de la responsabilité du conducteur — continuent-ils de faire les gros titres et d’alimenter une méfiance envers les voitures électriques ?

Au moment où les fameuses boîtes noires sont désormais intégrées aux véhicules, et où les constructeurs mettent en avant leurs capacités à en extraire les données rapidement, pourquoi n’est-il pas possible d’aboutir à des conclusions en un temps réduit ? Nous allons examiner le rôle de ces boîtes noires dans la compréhension des incidents, en imaginant également les défis à venir à l’heure des véhicules connectés. Les véhicules électriques sont-ils vraiment ces machines infernales qu’il faut blâmer à chaque accident dramatique, ou bien les erreurs humaines continuent-elles d’être le maillon faible de l’histoire ?

Le rapport du BEA-TT sur l’incident de Paris est clair : la Tesla Model 3 n’est pas devenue folle

En novembre 2024, le BEA-TT a rendu public le rapport d’enquête technique sur l’accident du 11 décembre 2021 à Paris. Ce fut l’occasion de clarifier de nombreux points, en particulier celui des responsabilités. Ce n’est pas la voiture qui s’est mise à accélérer toute seule, mais bel et bien le conducteur qui a appuyé sur la pédale d’accélérateur. Les données techniques fournies par Tesla montrent bien une pédale qui a été enfoncée, mais pas celle que le conducteur pensait : il s’agissait de la pédale d’accélérateur.

La cause principale de l’accident a été l’incapacité du conducteur à comprendre son erreur d’appui sur la pédale d’accélérateur au lieu de la pédale de frein. Paniqué par une
telle accélération, il n’a pas pu réagir à son environnement ni tenter une action pour remédier à cette accélération, y compris enlever le pied de l’accélérateur.

Rapport d’enquête technique sur l’accident d’un véhicule électrique survenu le 11 décembre 2021 avenue d’Ivry à Paris (13e)

Le déroulé des événements apparait clairement dans le rapport de plus de 60 pages, avec un premier déclencheur de la série catastrophique qui s’en suit : le freinage d’urgence automatique. Cette fonctionnalité liée à la sécurité des occupants comme des autres usagers de la route est là pour réduire la gravité d’un impact. Il n’est pas conçu pour éviter une collision selon Tesla, qui précise de plus que l’activation de ce freinage d’urgence automatique peut arriver parfois sans justification. C’est potentiellement ce que certains considèrent comme des freinages fantômes par exemple.

Les conducteurs de Tesla ne devraient pas être surpris de lire qu’il arrive que leur voiture freine de manière injustifiée, et qu’ils sont contraints de réappuyer sur la pédale d’accélérateur pour passer outre ce freinage. C’est précisément ce qui est arrivé dans le cas de l’accident de Paris.

Les données reccueillies au moment de l’incident montrent un appui à 100 % de la pédale d’accélérateur après le freinage d’urgence automatique // Source : Rapport BEA-TT

Comme visible sur la courbe ci-dessus, au moment de l’activation du freinage d’urgence automatique (que l’on voit au pic de la courbe grise), le conducteur avait la pédale d’accélérateur enfoncée de près de 30 % (point 1). Si vous avez déjà conduit une Tesla, vous saurez qu’avec une pédale autant enfoncée, la voiture doit accélérer franchement. Or, ce ne fut pas le cas ici, puisque le freinage d’urgence s’est déclenché, et que la vitesse du véhicule (courbe rouge) continue de baisser à 19h42 et 44 secondes.

Une fraction de seconde plus tard (point 2), la pédale d’accélérateur est cette fois enfoncée à 100 % : le conducteur a le pied au plancher. Cet événement désactive le freinage d’urgence automatique, conformément à ce qui est annoncé par Tesla : si l’accélérateur est enfoncé à plus de 90 % (ou d’une valeur de plus de 50 % par rapport à la valeur au moment de l’activation), cela est considéré comme une action humaine volontaire ayant pour but de reprendre le contrôle.

Rappelons qu’à ce moment-là, le conducteur a enfoncé à 100 % la pédale d’accélérateur, et qu’il est encore 19h42 et 44 secondes. Vous avez probablement mis une minute à lire ces quelques paragraphes, mais en réalité, nous sommes toujours dans la même seconde.

20 secondes plus tard, la voiture ira finir sa course dans du mobilier urbain à 140 km/h, après avoir heurté mortellement un cycliste. Durant ces 20 secondes, il apparaît que la pédale d’accélérateur était toujours enfoncée à 100 %, et que la pédale de frein n’a jamais été touchée.

Les données précieuses de la boîte noire pour comprendre

Comme vous l’avez vu ci-dessus, les données fournies par l’EDR (event data recorder, ou enregistreur de données d’événements) permettent de séparer ce qu’il s’est réellement passé de ce qui est relaté. Il ne s’agit aucunement de mettre en cause les déclarations des conducteurs affirmant appuyer sur la pédale de frein alors que c’est la pédale d’accélérateur qui est enfoncée, mais plutôt prendre en compte l’intérêt d’un EDR.

Sans ces données, dans le cas de l’accident de Paris, il n’y aurait probablement aucune certitude sur le déroulé des événements. Lorsque nous avions demandé un échantillon de données suite à une panne moteur, nous avions d’ailleurs été étonnés de la rapidité avec laquelle Tesla les envoyait, mais aussi de la complétude des données.

En pratique, nous retrouvons aisément les appuis sur les pédales, commodos, etc., et pouvons retracer calmement l’enchaînement des actions qui ne durent que quelques secondes dans la vraie vie. Dans le cadre du rapport du BEA-TT, il aura tout de même fallu attendre trois ans pour que ces informations soient rendues publiques. Ces délais sont sans aucun doute liés à la nature de l’événement, qui implique la justice, les forces de l’ordre, le constructeur et les différentes personnes impliquées directement dans la collision.

Il n’y a aucun doute sur le fait que Tesla a été également sollicité pour valider l’exactitude des données, pour qu’il n’y ait pas de doute sur ce qu’il s’est passé. À ce jour, il n’y a pas de cas recensé où les données fournies par l’EDR seraient erronées, ce qui renforce l’utilité de cette fameuse boîte noire.

Il est enfin du ressort des constructeurs de rendre toutes les données de l’EDR intelligibles et faciles à appréhender, pour que les non-spécialistes puissent correctement interpréter la quantité de données qui sont enregistrées. Tesla peut fournir un rapport détaillé est compréhensible sur demande, ce qui est un pas dans la bonne direction, que d’autres constructeurs feraient bien de suivre.

Quels enseignements tirer de ce dramatique accident ?

Une fois les conclusions du rapport et le déroulé des faits exposés, il est clair qu’il faut démystifier les accélérations soudaines involontaires qui n’en sont pas : les erreurs humaines sont en cause dans de tels cas, et la voiture ne se met pas à accélérer toute seule. D’ailleurs, ce phénomène — de confondre la pédale de droite avec celle de gauche — n’est pas propre aux véhicules électriques, bien que l’on puisse imaginer qu’il soit plus fréquent.

En effet, en voiture électrique, dès que la conduite à une pédale est possible, les conducteurs vont avoir leur pied constamment sur la pédale d’accélérateur, et la pédale de frein se ferait presque oublier. Bien entendu, il ne s’agit pas de ne pas avoir de pédale de frein, mais plutôt de laisser faire une mémoire musculaire qui peut jouer des tours. En particulier en Tesla, où des freinages fantômes existent depuis toujours, les conducteurs sont habitués à avoir le pied droit qui flotte au-dessus de la pédale d’accélérateur lorsqu’ils utilisent le régulateur de vitesse adaptatif ou l’Autopilot : de cette manière, en cas de ralentissement fantôme, il suffit de réappuyer pour forcer la voiture à rouler.

L’effet pervers de ce mode de fonctionnement est que parfois, en cas d’urgence, si l’on enfonce son pied au sol, ce sera bel et bien l’accélérateur qui sera enfoncé à 100 %, avec pour conséquence une montée en flèche de la vitesse. Si ensuite, dans la panique, le conducteur est persuadé qu’il enfonçait la pédale de frein, il n’y a généralement pas suffisamment de temps pour éviter un drame.

Tesla Model 3 (2024) // Source : Robin Wyck pour Frandroid

Notons tout de même pour les conducteurs de Tesla — ou pour les passagers d’ailleurs — qu’il y a un autre moyen de freiner : rester appuyer sur le P au bout du commodo, ou bien sur le bouton Park de l’écran sur les Tesla qui n’ont plus de commodo. Dans des situations d’urgence comme celle de l’accident de Paris, cela peut permettre d’éviter un doute au niveau de la pédale qui est enfoncée. En outre, un appui simultané sur les deux pédales a pour effet d’annuler le couple-moteur, avec une valeur imposée à 0 Nm en 25 centièmes de seconde.

Toutes ces informations auraient grand intérêt à être mises en avant par Tesla, notamment au moment des livraisons : il y a fort à parier que l’écrasante majorité des conducteurs n’a aucune idée de l’existence de ce freinage via une autre méthode que celle qui consiste à enfoncer la pédale de frein.

En outre, le BEA-TT recommande à Tesla de ne pas rendre possible l’annulation de l’activation du freinage automatique d’urgence par un appui sur l’accélérateur. L’avenir nous dira si le constructeur suit cette recommandation ou non, qui nous semble superflue. Puisqu’elle permet de désactiver le freinage d’urgence si celui-ci ne correspond pas à la volonté du conducteur.


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