On l’a relaté à plusieurs reprises : les voitures électriques du groupe Volkswagen ont passé une mauvaise année 2023. En cause, des produits assez peu concurrentiels, notamment vis-a-vis de Tesla et de la « guerre des prix » menés par les constructeurs chinois, BYD en tête.
Hors de question, cependant, de baisser les bras. Le tentaculaire groupe (qui regroupe Volkswagen, Skoda, Seat, Cupra, Audi, mais aussi Porsche, Bentley et Lamborghini) vient ainsi de lancer une toute nouvelle plateforme dédiée à ses futures voitures électriques haut de gamme : la PPE (pour Premium Platform Electric).
Une plateforme maintes fois retardées par les déboires de Cariad, la société du groupe en charge du développement des logiciels, mais qui vient enfin de voir le jour sur le nouveau Porsche Macan électrique et l’Audi Q6 e-tron.
C’est lors de la présentation de ce dernier que nous avons pu partir à la découverte de cette plateforme résolument novatrice, dont voici ses principaux arguments.
Une plateforme modulaire
Une volonté de rationalisation
Un des buts de cette PPE est de réduire le nombre de plateformes dédiées à l’électrique dans le groupe Volkswagen. Audi en est un très bon exemple, puisque ses quatre modèles 100 % électriques ont tous une plateforme différente !
En plus de la PPE sur laquelle repose le Q6 e-tron, on retrouve donc la MEB (la plateforme électrique « grand public » du groupe, utilisée chez Volkswagen, Skoda et Cupra) sur le Q4 e-tron, la J1 Performance sur la très sportive e-tron GT (partagée avec le Porsche Taycan) et la MLB Evo, une plateforme multiénergie, sur le Q8 e-tron, la première voiture électrique de la marque.
Un capharnaüm qui ne devrait être que temporaire, puisque cette PPE doit remplacer les MLB Evo et J1 Performance, réduisant ainsi la diversité, et donc les coûts de production. À terme, une « superplateforme », dénommée SSP, devrait être capable de prendre en charge l’intégralité des gammes du groupe, mais elle ne cesse de prendre du retard.
Toute une gamme de moteurs
Pour pouvoir couvrir la plus grande gamme possible, il est nécessaire de proposer une flexibilité sur le plus de choses possibles : moteurs, dimensions, châssis, etc. C’est à vrai dire une spécialité du groupe VW, puisque sa première plateforme modulaire, la MQB, date de 2012 !
Cette plateforme peut donc être équipée de cinq moteurs électriques différents : deux références différentes à l’arrière et trois à l’avant, avec la possibilité de n’avoir qu’un seul moteur à l’arrière (dans les configurations propulsion) ou d’ajouter un second à l’avant (pour bénéficier de quatre roues motrices).
Si les moteurs arrière sont uniquement des machines synchrones à aimants permanents, au rendement et rapports puissance/masse élevés, la partie avant donne le choix entre deux machines synchrones et une asynchrone.
La machine asynchrone est avant tout présente pour épauler le moteur arrière, notamment dans les situations où les quatre roues motrices sont nécessaires (perte d’adhérence, accélérations soutenues). Dans les autres situations, il est facile de « l’éteindre », et donc de réduire la consommation globale. Les deux machines synchrones, elles, sont là pour les versions plus puissantes.
Toujours sur cette question de consommation, il est important de noter que ces moteurs ont été travaillés pour être le plus efficaces possibles. Un nouveau système de lubrification interne, dit « à carter sec », est là pour limiter les pertes par frottements. À la clef : 5 kilomètres d’autonomie supplémentaires. Il n’y a pas de petites victoires !
De même, l’électronique de puissance fait appel à des semi-conducteurs à base de carbure de silicium, toujours dans l’optique d’augmenter le rendement. Sachant que les rendements des moteurs électriques sont excellents, et dépassent les 95 %, contre 40 à 45 % pour les moteurs thermiques.
Une recharge aussi rapide qu’intelligente
Des modules indépendants
Qui dit voiture électrique dit, bien évidemment, batterie. Une batterie est généralement composée de plusieurs modules, eux-même regroupant en ensemble de cellules. Dans le cas de la PPE, chaque module comprend 15 cellules prismatiques fournies par CATL, et les différents modules assemblés donnent une batterie entière.
Pour le pack d’une capacité de 100 kWh, que se partagent les différentes versions actuellement disponibles du Porsche Macan et de l’Audi Q6 e-tron, 12 modules sont nécessaires. Un autre pack de 83 kWh verra le jour en 2025, et se contente de 10 modules ; les deux du centre sont donc enlevés.
Ce principe de modules indépendants permet également de faciliter les réparations, puisqu’il sera possible d’isoler le (ou les) module(s) défectueux sans pour autant changer la batterie dans son ensemble. Un procédé assez largement utilisé dans l’industrie européenne ; la plateforme STLA Medium du Peugeot E-3008, par exemple, reprend ce principe.
Une architecture 800 volts pour des recharges express
Un des avantages majeurs pour le consommateur de cette plateforme PPE (et sur lequel Audi communique le plus), c’est bien sûr les temps de recharge en chute libre. Grâce à une puissance maximale de 270 kW, il faut compter 21 minutes pour passer de 10 à 80 % de la batterie de 100 kWh, ou jusqu’à « 255 km regagnés en 10 minutes », d’après le discours officiel.
Pour y arriver, la PPE intègre une architecture 800 volts, un peu à l’image de la J1 Performance du Taycan et de l’e-tron GT. On connaît les bénéfices de ce choix technique en termes de pertes réduites et de puissances de charge/décharge en hausse, mais un gros travail sur le refroidissement de la batterie a été fait pour conserver une courbe de charge aussi haute que possible.
Un refroidissement évolué
Cela commence avant même d’avoir branché la voiture, puisqu’un système de préconditionnement de la batterie s’activera automatiquement à l’approche d’une borne – comme le propose déjà Tesla, par exemple. En fonction de la température extérieure et de celle de la batterie, le système viendra la réchauffer ou refroidir afin d’arriver à une température optimale.
Ce refroidissement est, bien entendu, capital lors du processus de charge rapide – vous l’avez sûrement remarqué avec vos téléphones, les batteries chauffent lorsqu’elles chargent à une puissance élevée. Pour cela, une plaque de refroidissement est située sous les modules de la batterie, avec une pâte thermique entre les deux qui sert d’intermédiaire.
Les circuits de refroidissement, en U, sont conçus pour que chaque module soit en contact avec un tube « froid » et un tube « chaud ». L’idée : optimiser la régulation thermique en s’assurant que tout le monde soit à la même température – l’optimal étant de 25°C.
Ça, c’est pour la théorie. Dans la pratique, cela permettrait de gagner jusqu’à 18 minutes sur la recharge par -10°C, ce qui n’est pas rien.
Une recharge rapide sur toutes les bornes
Les 21 minutes sont donc promises lorsqu’on branche une voiture « PPE » sur une borne 800 volts. Des bornes qui se développent à grande vitesse, mais les bornes 400 volts continuent d’exister – ne serait-ce que les Superchargeurs de Tesla, du moins pour le moment.
C’est dans ce cas précis que de nombreuses voitures « 800 volts » se cassent les dents (la preuve avec les Kia/Hyundai sur les Superchargeurs ou la Maserati GranTurismo limitée à 50 kW), la faute à des problèmes de conversion entre les 400 volts de la borne et les 800 volts de la batterie.
Les ingénieurs en charge du développement de la PPE ont trouvé une astucieuse solution pour contourner le problème : diviser la batterie en deux modules de 400 volts, via une inédite « Integrated Power Box ». Plus besoin, donc, de convertisseur.
Dans ce cas, la puissance de charge passe à 135 kW max, mais le 10 – 80 % est promis en 30 minutes environ, ce qui reste acceptable. À titre de comparaison, le Taycan ave l’ancienne plateforme, qui peut accepter 150 kW en 400 volts (mais sans cette division de la batterie), demande 36 minutes sur l’exercice, avec une batterie plus petite.
Une architecture électronique inédite et évolutive
L’autre nouveauté de la PPE (et, manifestement, la source du retard, Cariad y ayant mis son nez en cours de développement), c’est une nouvelle architecture électronique, dénommée E³ – pour End-to-End Electronic Architecture.
Cinq ordinateurs bien définis
Au cœur du système, cinq ordinateurs HCP (pour « High Performance Computing Platform »), reliés par des câbles Ethernet. Chacun a un rôle bien défini :
- Le HCP1 s’occupe de la dynamique de conduite : transmission, moteurs, suspensions pilotées, etc ;
- Le HCP2 est dédié aux aides à la conduite, avec la gestion de l’ensemble des capteurs (radars et caméras) ;
- Le HCP3 gère l’infodivertissement sur tous les écrans ;
- Le HCP4 se charge des fonctions « de confort » : éclairage, climatisation, sièges, etc ;
- Le HCP5, enfin, s’occupe de gérer le réseau interne et, notamment, de la connexion (via 5G) vers l’extérieur, par exemple pour les mises à jour à distance (OTA).
Une architecture pensée pour le futur
L’idée, c’est que tout ce petit monde est largement surdimensionné pour pouvoir tenir dans le temps. Si le Q6 e-tron et le Macan sont équipés de la version 1.2 de l’E³, il n’est pas dit que des incrémentations soient proposées à l’avenir sur les véhicules déjà produits.
Des mises à jour facilitées, par ailleurs, par la standardisation de l’architecture électronique pour l’ensemble des modèles basés sur la PPE. À la clef, des temps de développement et une complexité de production réduits, et une facilité accrue de déploiement.
Google Automotive arrive… en arrière-plan
Petit bonus de cette nouvelle architecture électronique : l’arrivée de Google Automotive (ex-Android Automotive) ! Avec une nuance importante : à l’inverse de Renault ou Volvo, par exemple, qui utilisent directement les applications de Google (notamment Maps et l’Assistant), le groupe VW (par l’intermédiaire de Cariad) a préféré développer ses propres solutions.
On retrouve ainsi un système de navigation natif, basé sur des cartes TomTom, ainsi qu’un assistant vocal « boosté par l’IA » inédit, de même qu’une boutique d’applications différente du Google Store. Quel est l’intérêt de passer par Google dans ces conditions, pourrions-nous nous demander ?
La réponse est simple : cela permet de profiter de tout un catalogue d’applications tierces, tout en bénéficiant, ici aussi, de temps de développement et de déploiement réduits.
Conclusion : une plateforme séduisante
Voilà qui conclut ce tour (très) détaillé des secrets de la plateforme PPE. Qu’en retenir ? Que le groupe Volkswagen semble avoir sacrément travaillé pour obtenir cette théorie pour le moins alléchante.
Certes, cela reste à confirmer lors des essais dynamiques et (surtout) avec le temps qui passe, mais cet amoncellement de nouveautés et de solutions techniques inédites restent pour le moins alléchantes.
Un tel amoncellement, couplé à la gestation houleuse de cette plateforme, pourrait cependant laisser sceptique quant à la fiabilité des premiers Macan et Q6 e-tron qui arriveront dans les rues. À cela, une seule réponse possible : rendez-vous dans quelques mois pour le débrief !
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