Et si Xiaomi se lançait en France…

 

Xiaomi est peu connu en Europe, pourtant en Chine, ils ont réussi à se hisser parmi les marques les plus vendues en quelques années. Comment ? En pratiquant une politique de prix agressive, ce qui lui a permis de rapidement gagner des parts de marché, avec des produits de qualité, des ventes directes aux consommateurs et un fort investissement dans sa communauté. D’ailleurs, vous êtes nombreux à les importer, c’est la raison qui nous pousse à les tester.

Xiaomi x csl shop opening
Hugo Barra (à droite) inaugure un Xiaomi Store en Chine

Il existe néanmoins une grande différence entre les produits que l’on importe de Chine, et les produits que l’on trouve dans les rayons en France. Nous avons mené une enquête pour estimer les prix publics qui seraient pratiqués par Xiaomi si ses produits étaient vendus officiellement dans nos contrées.

 

« Au voleur ! »

Nous entendons souvent crier au voleur quand vous comparez les prix pratiqués par Samsung, LG ou encore Sony en France, par rapport à ceux pratiqués par Xiaomi en Chine. Il est vrai que Xiaomi a encore tapé très fort. Pour rappel, le Xiaomi Mi 5 possède un design premium, il propose des caractéristiques très proches de ce que les grands constructeurs proposent, à savoir un écran de qualité, un SoC Qualcomm haut de gamme, beaucoup de mémoire RAM, un capteur photo Sony et des grandes capacités de stockage en UFS 2.0.

Pour aller plus loin
Prise en main du Xiaomi Mi 5, sophistiqué et réussi

Évaluer son prix public s’il était vendu en France est un calcul bien plus complexe qu’il n’y paraît. Il existe des frais visibles, comme les taxes sur la copie privée ou encore la TVA, mais aussi de nombreux frais qui incombent aux structures, à la distribution, ou encore à la communication et au marketing.

Pour pouvoir calculer le plus justement ces coûts, nous nous sommes tournés par notre réseau, comme des personnes publiques (notre confrère Pierre Lecourt, que vous pouvez retrouver sur MiniMachines.net) et des personnes qui souhaitent rester anonymes (chez des distributeurs, des grossistes, des revendeurs, mais aussi des constructeurs ainsi que des opérateurs). La plupart de nos sources doivent rester anonymes, car elles ont divulgué des informations confidentielles, ce que l’on appelle des secrets de polichinelle. Avant de vous livrer nos estimations, partons explorer tout ça.

 

Le Xiaomi Mi 5, vendu en Chine et importé en Europe

Le Xiaomi Mi 5 existe sous trois versions différentes, avec des fréquences d’horloge, des espaces de stockage et même des caractéristiques physiques différentes. Par exemple, le plus onéreux, le Xiaomi Mi 5 Pro possède 128 Go d’espace de stockage et une coque arrière en céramique.

En Chine, Xiaomi a opté pour une distribution directe, les produits sont vendus directement par la marque sur son site Internet. Bien entendu, il est possible de les trouver chez des commerçants tiers, mais à des prix plus élevés que ceux pratiqués par Xiaomi. Par exemple, le site JD.com (notre équivalent de La Fnac) le référence au lancement aux prix pratiqués par Xiaomi, puis augmente ses prix en fonction de la disponibilité des stocks. Sur les sites d’importation, les prix sont assez différents d’un commerçant à l’autre.

Prix pratiqués par les importateurs
Prix pratiqués par les importateurs

Bien entendu, à ce prix le Xiaomi n’est pas entièrement compatible avec les réseaux européens, vous ne payez ni taxes, pas de frais de port, ni frais de douanes et ainsi de suite. Sans oublier que le support client n’est pas local, ce qui complique son accessibilité.

Maintenant, partons d’une hypothèse simple : et si Xiaomi se lançait officiellement en France ? Il existe une pléthore de coûts et de taxes, nous nous sommes lancés dans cette difficile estimation. C’est parti.

 

Les frais d’entrée et d’installation, et le « discretionary premium »

C’est une des parties les plus délicates à estimer. Ces coûts sont importants pour une marque qui s’installe dans un pays étranger. Elles dépendent de beaucoup d’éléments, des recrutements, des brevets ou encore des certifications. Par exemple, les opérateurs exigent de nombreuses certifications et de tests techniques, qui nécessitent des frais importants. D’après les différents interlocuteurs, il faut estimer ces coûts à 10 %.

Une autre partie importante plus obscure que l’on va nommer « discretionary premium ». En gros, une marque va positionner ses produits en fonction du pouvoir d’achat des consommateurs, mais aussi en fonction de la concurrence, du positionnement et de sa notoriété. En Europe, les prix pratiqués par les constructeurs peuvent même être différents entre les pays – en France, par exemple, les prix moyens sont plus bas qu’en Italie ou en Espagne, car la concurrence est plus importante.

Grâce à cette marge, les constructeurs peuvent baisser les coûts de leurs produits en fonction des événements et de la vie des produits, sans vendre à perte. C’est ce qui explique – en partie – la baisse du prix du Samsung Galaxy S7, ou encore les prix élevés de l’iPhone, sans réelle justification d’un point de vue de fabrication et du coûts des composants. Cette somme d’argent permet également d’alimenter les campagnes de communication, comme le casque Galaxy VR offert par Samsung pour l’achat d’un Galaxy S7.

Nous avons estimé cette marge à 20 % pour Xiaomi, pour le marché français.

 

Les devises, la TVA, les taxes locales et les surprises

Les frais sont nombreux, comme nous le disions en introduction. Il y a des frais liés aux devises, heureusement le monnaie chinoise (Yuan, CNY et RMB) est plutôt stable, mais les constructeurs prennent des précautions et ont tendance à estimer les variations à la hausse. C’est ce qui explique les prix pratiqués très différents entre les devises, en particulier entre les États-Unis et l’Europe.

Passons à la taxe sur les valeurs ajoutées, la TVA – c’est ce que le client final va payer. En France, la TVA normale est de 20 %, tandis qu’elle est de 17 % en Chine (il existe des taux réduits comme en France).

En France, il existe également la rémunération à la copie privée (pour rappel, la copie privée est un système qui permet aux particuliers de copier des œuvres pour leur usage privé, tout en rémunérant les créateurs), à ne pas oublier. Elle diffère en fonction de la quantité d’espace de stockage proposée. Pour 16 Go, le coût est de 12 euros, pour 128 Go, c’est 25 euros. L’éco-participation est à l’inverse quasi-négligeable, il est à environ 0,52 euro/kg. Il doit compenser le coût de la collecte et du traitement des déchets électriques et électroniques.

Le support client (SAV) n’est pas à négliger. D’après nos sources, il est estimé entre 0,2 et 0,5 % du prix du smartphone. Il peut être sous-traité, et même réalisé à l’étranger. Ce coût comprend les centres d’appels, les frais de transport, la réparation et ainsi de suite. Il dépend de la taille de la structure et du taux de retour des produits vendus, ce qui peut vraiment varier d’une marque à une autre.

 

La chaîne de distribution, un beau bordel

C’est ce que l’on appelle la chaîne alimentaire de la distribution. Vous allez voir, c’est un beau bordel.

Notre postulat de base est que Xiaomi sera considérée comme une marque B sur le marché de la téléphonie, en tout cas au démarrage. Il existe un« classement de marques ». Ce classement influe sur les différentes marges obtenues par les intermédiaires (comme les distributeurs, grossistes, revendeurs et opérateurs) et a un gros impact sur les négociations. Il est déterminé par l’attrait et la notoriété d’une marque, mais aussi par son volume de ventes, ses parts de marché et ses produits.

Il existe ainsi trois niveaux dans ce classement, les marques A (Apple, Samsung), les marques B (LG, Sony Mobile, Motorola et ainsi de suite) et les marques C (Acer, Asus et ainsi de suite). D’ailleurs, en discutant avec les opérateurs et les distributeurs, un responsable des achats chez un opérateur français m’a confié que Huawei pourrait bien être considérée comme une marque A, un acheteur chez un grand revendeur m’a également fait comprendre que Wiko pouvait être considérée comme une marque A sur l’entrée de gamme, car la marque sino-française a acquis une sacrée notoriété auprès du grand public dans cette gamme de prix.

Ce classement n’a rien d’anecdotique, il influe énormément sur les négociations entre les différents acteurs. Par exemple, Apple pourra négocier 1,8 à 2,5 % de marge à ses distributeurs, tandis qu’une marque B doit concéder entre 5 à 8 % de marge, et une marque C peut concéder jusqu’à 15 %. En plus de ces marges, il y a également des marges arrières qui accompagnent les contrats entre constructeurs et intermédiaires de vente.

Ces fameuses « marges arrières » sont à la discrétion des acteurs, elles incluent les coûts d’opérations spéciales comme des campagnes de communication et de promotion. Une marque ne paye pas spécialement de marge arrière, mais la plupart des marques concèdent des sommes importantes, la marge arrière est estimée entre 2 à 5 %. Pour Apple, par exemple, il n’y a pas de marge arrière, c’est pour cela que les revendeurs et distributeurs ont des marges très faibles, avec peu de promotions des ventes.

N’oublions pas les grossistes, qui travaillent avec les acheteurs et s’occupent du stockage et de l’approvisionnement. Les coûts estimés de ces intermédiaires sont plutôt faibles (entre 0,3 et 0,5 %).

Enfin, dans le cas des opérateurs, le système est assez similaire. En général, les opérateurs français prennent moins de marges que la distribution, mais ils ont un pouvoir de négociation bien plus important. Cela s’explique par le faible nombre d’opérateurs (entre 4 et 7) et l’important volume de ventes sur le marché du smartphone (environ 60 % des ventes en France).

Au final, nous avons estimé les marges des intermédiaires de ventes à 8 % en moyenne pour Xiaomi. Évidemment, en cas de vente directe, ces coûts n’existent pas, nous avons donc choisi de calculer également les prix du Xiaomi Mi 5 en cas de vente directe.

 

Passons aux fameuses estimations

Au final, comme nous pouvions l’imaginer, on peut remarquer une énorme différence de prix. Entre l’importateur chinois avec très peu de frais, sans TVA, sans frais d’importation, sans communication ni marketing, sans salaires, sans SAV et sans distribution locale, et un produit vendu par Amazon ou Orange par exemple, avec les taxes, les certifications, les intermédiaires de ventes, le marketing, la communication, les prix finaux peuvent doubler. Dites-vous en plus que le smartphone est un produit concurrentiel – les marges sont encore plus élevées dans d’autres catégories de produits. À l’inverse, elles sont encore plus basses pour certaines, comme les consoles de jeux.

Passons aux calculs. Voici le tableau d’estimation sur les trois versions du Xiaomi Mi 5. Nous avons calculé les prix finaux TTC en cas de vente directe, ainsi que dans le cas d’une vente à travers toute la chaîne de distribution.

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Estimation des prix finaux du Xiaomi Mi 5 en France

Pour résumer, les prix sont ensuite lissés, nous avons pris l’initiative de le faire en fonction des modèles.

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Estimation des prix finaux lissés

Bien entendu, il s’agit d’une estimation dans deux hypothèses différentes, si Xiaomi se lançait sur le modèle utilisé en Chine, en vente directe, ou si Xiaomi décidait de passer par les canaux traditionnels.

 

Achèteriez-vous vraiment du Xiaomi ?

Maintenant, il est intéressant de se demander si le Xiaomi Mi 5 resterait intéressant aux prix estimés dans le marché français actuel de la téléphonie. Ce que l’on peut constater ces dernières années, c’est que de nombreuses marques ont réussi à vite progresser et à proposer des produits intéressants, à l’image d’Acer, Lenovo, Asus, Wiko mais aussi Archos. Ils ont une bonne chaîne de distribution et ont tout de même réussi à tirer leurs épingles du jeu. Ils ont permis de baisser les prix, l’entrée et le milieu de gamme sont désormais beaucoup plus accessibles.

Cette concurrence a obligé les constructeurs de renom (Samsung, LG, Sony Mobile, etc.) à booster les caractéristiques de leurs produits, quitte à proposer de vrais éléments de différentiation inaccessibles pour les autres marques (écrans courbés, capteurs biométriques, SoC haut de gamme et ainsi de suite). Avec une forte notoriété liée à de grosses campagnes de marketing et de communication, des produits différentiants, les constructeurs de renom ont réussi à garder les prix hauts – au-dessus de 400 euros.

Nous nous sommes donc amusés à comparer les prix des Samsung Galaxy S7 et de l’iPhone 6S aux prix estimés d Xiaomi Mi 5. Malgré toutes les marges et frais, nous pouvons observer de vraies différences de prix.

Comparaison entre les prix des iPhone 6S, du Galaxy S7 et du Xiaomi MI 5
Comparaison entre les prix des iPhone 6S, du Galaxy S7 et du Xiaomi MI 5

Cette différence de prix peut t-elle justifier l’achat d’un produit Xiaomi ? Si on les compare aux marques premium, comme Samsung et Apple, cela ne sera pas évident pour Xiaomi – dans un premier temps. Ces marques ont en effet une énorme notoriété auprès du grand public, et la marque a « un coût ». Face aux autres marques, telles que Honor, LG ou Sony Mobile, les choses sont bien moins évidentes. Ce seront certainement les premières victimes de Xiaomi. Evidemment, en fonction de la stratégie de Xiaomi, la marque chinoise pourrait ensuite gêner sensiblement Apple ou Samsung, surtout sur les smartphones à plus de 500 euros.

Enfin, notons que Xiaomi est loin d’être l’unique marque chinoise à afficher des performances indécentes en Chine, nous pouvons également noter la présence de challengers : Lenovo (propriétaire de Motorola), Gionee, Meizu, LeEco ainsi que ZTE.

Ce qui est une certitude : le marché du smartphone en France va encore beaucoup évoluer ces prochains mois, surtout si le Samsung Galaxy S7 est un échec. Quant à l’arrivée officielle de Xiaomi, ce n’est plus qu’une question de temps.

 


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