La majorité numérique à 15 ans en France : ce que ça pourrait changer

 
L’Assemblée Nationale a adopté en commission un projet de loi qui instaure une majorité numérique à 15 ans pour les enfants et qui impose aux réseaux sociaux de contrôler l’âge de leurs utilisateurs. Si la loi est définitivement promulguée, n’importe quel parent pourrait demander à un réseau social de supprimer le compte de son enfant, et ce, jusqu’à 18 ans. Avant que ce soit le cas, elle doit aussi être adoptée par le Parlement et doit donc passer par le Sénat.
Assemblée nationale // Source : Flickr

La vis tend encore à se resserrer autour des réseaux sociaux au niveau politique en France. Un projet de loi déposé par le groupe Horizons vise à instaurer une majorité numérique à 15 ans aux réseaux sociaux et permettre aux parents de pouvoir supprimer les comptes de leur enfant à leur majorité civile. Pour le moment, le texte doit encore être validé au Sénat.

Une loi sur la majorité numérique votée à l’Assemblée Nationale

Le projet de loi dont on parle vise « à instaurer une majorité numérique et à lutter contre la haine en ligne ». Il a été déposé par le député corse Laurent Marcangeli, président du groupe Horizons et apparentés (Horizons étant le parti politique créé par Edouard Philippe) et membre de la commission des affaires culturelles et de l’éducation. Sur 84 députés votants, seuls deux d’entre eux ont voté contre la proposition. Les votants étaient principalement des députés Horizons (25), Renaissance (18) et Rassemblement Nationale (15). Une quasi-unanimité certes, mais qui ne représente pas une « unanimité » revendiquée par Jean-Noël Barrot, ministre délégué chargé de la transition numérique.

Il y a quelques jours, Laurent Marcangeli voyait sa tribune pour promouvoir son projet publiée dans Le Journal du Dimanche. Dans celle-ci, il expliquait que « des dangers pèsent sur la santé physique et mentale des plus jeunes : de nombreuses études anglo-saxonnes tendent à prouver qu’un usage intensif des réseaux sociaux des le plus jeune âge favorise le développement de troubles psycho-sociaux, tels que des troubles de l’humeur, de l’anxiété, ou encore de la dépression, dont les conséquences peuvent être dramatiques. »

Comme le rapporte l’Assemblée Nationale sur Twitter (via BFMTV), cette proposition a été adoptée en première lecture dans la commission où le député Marcangeli est membre, dans le cadre d’une niche parlementaire Horizons. Une loi qui vise directement les réseaux sociaux, dans le sens donné par le Digital Markets Act (DMA), un règlement européen qui entre en vigueur le 2 mai. Ce dernier définit un réseau social comme « une plateforme permettant aux utilisateurs finaux de se connecter ainsi que de communiquer entre eux, de partager des contenus et de découvrir d’autres utilisateurs et d’autres contenus, sur plusieurs appareils et, en particulier, au moyen de conversations en ligne (chats), de publications (posts), de vidéos et de recommandations ». Pour Laurent Marcangeli, c’est aussi l’occasion d’inscrire cette définition du DMA dans la législation nationale.

Entendez par là que cette loi vise Facebook, Instagram, Twitter, TikTok, Snapchat, etc. Mais, à y regarder de plus près, on se rend compte que Discord pourrait être concerné, comme les forums en ligne. Ces derniers, s’ils sont loin d’être très utilisés par les adolescents, le sont tout de même.

Concernant les utilisateurs, cette loi apporte deux changements importants :

  • « Instauration d’une majorité numérique fixée à 15 ans pour l’inscription aux services de réseaux sociaux »
  • « obligation pour tous les services de réseaux sociaux exerçant leurs activités en France de vérifier l’âge des utilisateurs et, s’agissant des mineurs, la réalité du consentement de l’autorité parentale »
  • « possibilité, pour les parents d’un enfant mineur, de demander la suppression du compte de leur enfant jusqu’à sa majorité civile »

Comme le décrit Le Monde, la majorité numérique « fait référence à l’âge à partir duquel on considère qu’une personne maîtrise son image et ses données personnelles, et qu’elle est en mesure de donner son accord, sans autorisation parentale, à ce que ces dernières soient utilisées par des services en ligne. » En d’autres termes, les mineurs de moins de quinze ans souhaitant s’inscrire sur un réseau social devront donc avoir l’aval de leurs parents.

Quant à la suppression du compte d’un mineur, elle sera possible pour n’importe quel parent, peu importe s’il a plus de quinze ans. Sur le choix des quinze ans, Laurent Marcangeli a expliqué au journal que cet âge « correspond à l’âge déjà évoqué dans la loi Informatique et libertés. Il coïncide également en France avec l’âge de la majorité sexuelle et aussi au cap du passage du collège au lycée ». Jusqu’à maintenant, les réseaux sociaux requièrent pour la plupart l’âge de treize ans pour pouvoir s’inscrire. Le problème aujourd’hui, c’est qu’il suffit de mentir sur son âge pour quand même pouvoir s’inscrire. C’est sur ce point que la loi déposée par Horizons change la donne : les réseaux sociaux devront vérifier l’âge des nouveaux inscrits.

Agnès Pannier-Runacher et Jean-Noël Barrot // Source : Ministère de l’Economie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique

Le journal a par ailleurs interrogé Divina Frau-Megs, sociologue des médias et professeure en sciences de l’information et de la communication à l’université Sorbonne-Nouvelle. Selon elle, la majorité numérique est une limite qui « permet d’amorcer un dialogue entre le mineur et ses parents, de lui indiquer qu’il prend un risque. Ce qui a une fonction pédagogique. Quand il n’y a rien, tout est permis. ». D’un autre côté, elle déclare que « le texte évoque également la question de la lutte contre la haine en ligne, qui ne relève pas des mêmes phénomènes et des mêmes éléments de droit, peut amener de la confusion et laisser l’opportunité aux plateformes de profiter juridiquement du doute. »

Comment les réseaux sociaux vont-ils devoir appliquer cette majorité numérique ?

Comme cette loi sur la majorité numérique le dispose, ce sera à l’Arcom de certifier « des solutions techniques de vérification de l’âge et du consentement du ou des titulaires de l’autorité parentale mises en place par les réseaux sociaux » (après consultation de la Cnil). Comme le fait remarquer Le Monde, le rapporteur de la loi justifie ce flou dans un amendement précédemment déposé comme cela : « L’absence de consensus à ce stade sur la meilleure solution technique de vérification de l’âge doit être prise en compte par le législateur, qui ne saurait inscrire dans la loi un système de vérification particulier, du fait de l’évolution rapide des technologies disponibles »

À l’instar de la vérification de l’âge des internautes voulant consulter des contenus pornographiques, celle pour l’inscription sur un réseau social pose des problèmes techniques, de l’ordre surtout de la protection des données. Si pour les sites pornographiques, l’Etat imagine une application d’attestation de la majorité, ce dispositif n’a pour le moment pas été présenté officiellement. Dans ce cas-ci, il faut pouvoir appliquer la loi tout en respectant le RGPD : par ailleurs, les données personnelles des mineurs sont d’autant plus sensibles. Le RPGD instaurait d’ailleurs la majorité numérique, mais « laissait la possibilité à chaque pays de fixer l’âge de cette majorité entre 13 et 16 ans », comme le rappelle la journaliste Pauline Croquet.

Source : Photo by Igor Starkov on Unsplash

Il faut pouvoir vérifier l’âge d’un internaute de manière fiable, mais aussi de s’assurer qu’au moins un tuteur/parent y donne son accord. Pour le moment, la loi ne propose aucune solution technique : ce sera à l’Arcom de décider des solutions. Si la loi est bel et bien appliquée, les mineurs ne pourraient plus simplement mentir sur leur âge en s’inscrivant sur un réseau social, ou bien même en recréant un compte caché si un premier a été supprimé par leurs parents.

D’un point de vue plus large, cela reviendrait aussi à systématiquement vérifier l’âge des utilisateurs, peu importe s’ils sont majeurs ou non. Autre vérification à effectuer : l’autorité parentale. Il faut prouver qu’une personne majeure est bien parent/tuteur d’un mineur pour que ce dernier puisse s’inscrire. Il pourrait s’avérer difficile pour les réseaux sociaux de demander les papiers d’identité des deux personnes concernées, ou même de donner sa réelle identité.

Quelles sanctions pour les réseaux sociaux qui ne joueraient pas le jeu ?

Au cas où l’Arcom constate qu’un réseau social « n’a pas mis en place de solution technique certifiée » pour vérifier l’âge des utilisateurs et le consentement des parents/des tuteurs pour l’inscription d’un enfant mineur, l’Autorité pourra mettre en demeure la plateforme concernée.

Un jeune téléspectateur devant le téléviseur
Un enfant regardant la télévision // Source : PxHere

Cette dernière aura alors quinze jours pour « présenter ses observations ». Passé ce délai, l’Arcom pourra « saisir le président du tribunal judiciaire de Paris », ce qui pourrait avoir des conséquences financières. Le texte de loi adopté dispose que « le fait pour tout service de réseau social de ne pas satisfaire à ses obligations de vérification de l’âge et du consentement du ou des titulaires de l’autorité parentale est puni d’une amende ne pouvant excéder 1 % de son chiffre d’affaires mondial pour l’exercice précédent. »


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