La voiture électrique est au cœur des débats qui animent la transition énergétique nécessaire pour atteindre les objectifs mondiaux de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Nous pouvons entendre tout et son contraire au sujet de ces véhicules « propres » : déceler le vrai du faux n’est parfois pas chose aisée.
Dans ce dossier, nous allons examiner les plus gros points qui sont sujets à polémique, pour vous aider à y voir plus clair. De la mise en avant des véhicules zéro émission dans un premier temps, en passant par les méthodes de production utilisées pour extraire les minéraux indispensables au bon fonctionnement des batteries jusqu’au recyclage de ces dernières, nous ferons en sorte de ne conserver aucune zone d’ombre.
Des véhicules zéro émission ?
La voiture électrique est une voiture usuellement annoncée comme étant « zéro émission ». Cela signifie qu’elle n’émet pas de CO2 (dioxyde de carbone) pour rouler, contrairement aux véhicules thermiques. Toutefois, de nombreuses voies s’élèvent pour souligner l’hypocrisie de cette appellation qui laisse parfois penser que ce sont des véhicules plus propres qu’ils n’en ont l’air.
En effet, lorsque l’on pense à un véhicule électrique, si nous prenons en compte l’intégralité de son cycle de vie, de la production à la mise à la casse, il est évident que son bilan carbone n’est pas nul. Entre la fabrication des batteries, de la carrosserie, le transport, l’utilisation et la recharge de ce véhicule, l’impact sur l’environnement pourrait être bien plus négatif que ce que l’on s’imagine.
Cependant, la réalité est que l’ensemble du parc automobile mondial semble se diriger lentement mais sûrement vers une électrification massive, qu’on le veuille ou non. De nombreux pays ont d’ores et déjà annoncé la fin de la vente des véhicules essence, notamment l’Union européenne qui a fixé la date à 2035.
Dès aujourd’hui, les drastiques règles qui obligent les constructeurs à limiter leur moyenne d’émissions de CO2 à 95 grammes par kilomètre, les zones à faibles émissions et les incitations à l’achat d’un véhicule électrique sont là pour booster la transition vers ces fameux véhicules zéro émission.
Si l’objectif annoncé de réduction de gaz à effet de serre et d’amélioration de la qualité de l’air en milieu urbain semble tout à fait atteignable, qu’en est-il des conséquences sur l’environnement en dehors de ces zones, notamment là où sont produites les batteries des véhicules électriques ? Tentons de déceler le vrai du faux sur les composants les plus importants d’une voiture branchée : la batterie et les moteurs.
Des batteries et moteurs qui seraient tout sauf écologiques
Nous entendons parfois parler de « terres rares » qui entreraient dans la composition des batteries et moteurs des véhicules électriques, et qui poseraient un problème à cause des conditions dans lesquelles elles sont extraites. Si le traitement des terres rares dans les mines produit bel et bien des déchets toxiques, il ne faut pas pour autant tomber dans le raccourci qui n’est que trop fréquent visant à associer voiture électrique et terres rares.
En effet, les terres rares désignent un ensemble de 17 éléments, qui n’ont rien de « rare », que l’on retrouve au tableau périodique et qui correspondent à des métaux considérés pour la plupart comme indispensables tant on les retrouve dans de nombreux produits technologiques d’aujourd’hui : disques durs, LED, écrans plats, pots catalytiques des véhicules thermiques, ou encore dans certains moteurs de voitures électriques (asynchrones).
Vous remarquerez que dans la liste ci-dessus, il y a un grand absent : la batterie. Effectivement, malgré une idée reçue très répandue, il n’y a pas de terres rares dans la batterie d’une voiture électrique. On y retrouve des métaux comme l’aluminium, le cuivre, le lithium ou le fer, et parfois du Cobalt, mais aucune des 17 terres rares.
Cette idée reçue prend sa source au commencement des véhicules hybrides et électriques, avec notamment la Toyota Prius qui était équipée de batterie Nickel-Métal-Hydrure, contenant autour de 10 kilogrammes de lanthane, qui est une terre rare. De nos jours, les véhicules électriques utilisent des batteries Lithium-Ion, qui ont complètement remplacé l’ancienne technologie qui ne faisait pas le poids en termes de performances.
Des terres rares sont présentes dans certains moteurs de voiture électrique, principalement pour des raisons d’encombrement. Précisément, sur les véhicules hybrides où il faut loger un moteur thermique et un moteur électrique, la miniaturisation de certains systèmes nécessaires au bon fonctionnement des aimants permanents des moteurs synchrones sans balais est une obligation, et des terres rares comme le Néodyme ou le Dyprosium sont fréquemment utilisées.
Le cas du Lithium et du Cobalt
Parmi les matériaux régulièrement pointés du doigt, on retrouve le Lithium et le Cobalt, qui eux, sont bel et bien présents dans bon nombre de batteries, bien que certaines compositions chimiques ne requièrent plus de Cobalt (les batteries LFP des Tesla Model 3 Propulsion notamment).
Le Cobalt à destination des batteries est principalement extrait au Congo, où 80 % de son extraction est effectuée dans de grosses mines industrielles, respectant les normes environnementales en vigueur dans l’exploitation des actifs miniers. Parmi les 20 % restants, il existait en effet un nombre non négligeable d’exploitations illégales où des manquements aux obligations environnementales et sociales sont plus probables.
Le Congo a souhaité mettre fin à ces pratiques illégales en encadrant plus drastiquement l’exploitation artisanale du Cobalt, et affirme aujourd’hui que le Cobalt disponible a été mis sur le marché de manière responsable.
Outre le Cobalt, le Lithium revient régulièrement sur le devant de la scène lorsque l’on pense aux voitures électriques, qui en contiennent généralement quelques dizaines de kilogrammes dans leurs batteries.
Aujourd’hui, le Lithium est extrait majoritairement par quatre pays : l’Australie (49 % de la production mondiale), le Chili (22 %), la Chine (17 %) et l’Argentine (8 %). Le pays qui possède la plus grosse réserve de Lithium au monde, la Bolivie, n’exploite pour le moment pas sa production.
L’exploitation du Lithium s’effectue majoritairement dans de gigantesques gisements, comme le dépôt salin d’Atacama au Chili, qui est l’un des plus grands au monde. Le principe est assez simple et ne requiert pas de produits chimiques pour extraire le Lithium.
La solution saline contenue sous la surface du dépôt d’Atacama est extraite, puis laissée reposer dans des bassins où le soleil fera l’essentiel du travail, en permettant à l’eau de s’évaporer et au Lithium d’être extrait. Pour que ce procédé basé sur l’évaporation fonctionne, il est nécessaire d’avoir des conditions météorologiques particulières, ce qui explique le succès du dépôt d’Atacama, où les précipitations sont quasi inexistantes. Un autre procédé appelé adsorption est également possible, mais il est nécessaire d’utiliser des produits chimiques pour faire réagir la saumure. Le coût global est alors bien plus élevé.
Les points de vue divergent sur les conséquences de l’extraction de la solution saline, notamment en ce qui concerne les approvisionnements en eau pour les populations locales, selon les personnes qui sont interrogées. Si les exploitants des mines de sel assurent qu’il n’y a aucune inquiétude à avoir quant à l’impact de leurs activités sur l’écosystème local, certains opposants à cette exploitation affirment qu’une pénurie d’eau est en train de se produire, affectant l’ensemble des êtres vivants autour de la zone d’exploitation.
Cette question des dangers de l’exploitation du Lithium reste ouverte encore aujourd’hui, où le besoin croissant en Europe n’a pour le moment pas d’autres solutions que l’importation. Le géant Rio Tinto a été contraint d’abandonner son projet de mine de Lithium en Serbie suite à la pression des locaux en janvier 2022, alors que la demande va sans doute être multipliée par 40 d’ici 2050.
Une voiture à recharger
Une fois que la voiture a été produite et que son propriétaire en prend possession, il va bien falloir la recharger. Selon les méthodes utilisées pour produire l’électricité là où l’on charge, le bilan carbone serait potentiellement pire qu’une voiture à essence. Examinons alors ce point en détail.
En 2021, l’agence internationale de l’énergie considère qu’au niveau mondial, un kilowattheure d’électricité générait 458 grammes de CO2. En considérant une consommation moyenne de 18 kilowattheures aux 100 kilomètres pour une voiture électrique, cela donne un résultat situé autour de 82 grammes de CO2 émis par kilomètre parcouru.
Toutefois, ce chiffre varie grandement selon les pays concernés, en raison de la source avec laquelle est produite l’électricité. Au niveau mondial, on comptait en 2021 environ 72 % de sources non renouvelables dans la génération d’électricité (36 % charbon, 23 % gaz, 10 % nucléaire et autour de 3 % d’autres sources non renouvelables), ce qui va tend à penser qu’’un véhicule électrique n’est pas aussi propre qu’on peut le croire.
En 2021 en Europe, la part d’énergies renouvelables dans la génération d’électricité était de 41 %. Si on y ajoute le nucléaire, qui n’émet pas de CO2, on arrive à 61 % de la production totale d’électricité qui est décarbonée. La France fait d’ailleurs presque figure d’élève modèle dans le secteur, avec un mix énergétique en 2021 décarboné à 92,2 %, grâce à la part très importante du nucléaire (69 %) dans la production de l’électricité de l’Hexagone.
Ainsi, alors que la moyenne mondiale se situe à 458 grammes de CO2 émis par kilowattheure d’électricité produite, en France ce chiffre chute à 36 grammes par kilowattheure, ce qui correspond à environ à 6,5 grammes de CO2 émis par kilomètre parcouru en voiture électrique rechargée avec de l’électricité produite en France.
À titre de comparaison, toujours dans notre pays, la moyenne des émissions de CO2 en 2020 était de 107 grammes par kilomètre pour le Diesel et de 109 grammes par kilomètre pour l’essence, selon l’Ademe. Par conséquent, parcourir un kilomètre en véhicule électrique serait beaucoup plus respectueux pour l’environnement, avec en moyenne 16 fois plus d’émissions par kilomètre parcouru avec un véhicule thermique.
Mais le véhicule électrique, même si sa recharge est en effet moins émettrice de CO2 que le véhicule thermique, démarre avec une « dette carbone » qu’il faut rattraper pour qu’elle devienne plus propre qu’un véhicule équivalent thermique. Voyons alors si elle peut en effet devenir, au final, moins polluante qu’un véhicule thermique.
Une dette carbone à rattraper
Il est universellement admis que la voiture électrique a un bilan carbone très négatif une fois livré à son client final, avant que ce dernier ne se mette à rouler sans émettre de CO2. La production des batteries a un impact significatif sur le bilan carbone du véhicule, ce que n’a pas une voiture thermique équivalente.
Mais durant son cycle de vie global, est-ce qu’une voiture électrique a une chance de devenir moins polluante qu’une voiture à essence ? Christian Bauer, chercheur à l’institut Paul Scherrer en Suisse, affirme lors d’une étude menée en 2019 que même dans un pays avec un mix énergétique mauvais, la voiture électrique reste moins polluante en termes de CO2 que son équivalent thermique.
L’ONG Transport & Environment annonce quant à elle en 2020 que quel que soit le scénario envisagé en Europe, la voiture électrique sera moins émettrice de CO2 qu’un véhicule thermique, qu’il roule à l’essence ou au diesel. Dans ce scénario, la batterie serait produite en Chine, où le mix énergétique est très carboné et les recharges seraient effectuées à l’électricité polonaise, qui est la moins propre d’Europe.
Dans le scénario moyen européen, le résultat est naturellement encore plus en faveur de la voiture électrique, étant donné que l’électricité utilisée pour la recharger sera nettement moins carbonée. Le cas le plus favorable est quant à lui obtenu en Suède, où les émissions totales du cycle de vie du véhicule électrique sont à 79 % moins importantes que celles d’une voiture thermique équivalente.
La France est également un bon élève dans ce comparatif, avec une moyenne d’émissions 77 % inférieure pour la voiture électrique. Ce que met en avant le rapport publié par Transport & Environment, c’est que l’impact le plus important qu’à la voiture électrique sur l’environnement est bel et bien celui post-production, c’est-à-dire lorsque l’on utilise le véhicule et que l’on doit le recharger.
Dans le cas de figure moyen en Europe, il faudrait moins de 25 000 kilomètres parcourus pour que le véhicule électrique soit considéré comme moins émetteur de CO2 que son équivalent thermique. Et à partir de ce moment-là, rouler en électrique devient plus propre que de rouler en voiture à essence : la dette carbone a alors été épongée. Cela correspond environ à deux années de conduite d’un véhicule en France, où la distance moyenne parcourue par an est située autour de 12 000 kilomètres.
L’idée reçue selon laquelle le déficit en émissions qu’à la voiture électrique en sortie de production par rapport à un véhicule thermique serait impossible à rattraper est donc erronée. Et avec une part de plus en plus importante d’énergies renouvelables ou de nucléaire dans le mix énergétique mondial, l’avantage qu’à un véhicule électrique aujourd’hui risque encore de s’accentuer dans le futur.
Il reste toutefois à déterminer ce que l’on peut faire des composants les plus polluants lorsqu’il arrive en fin de vie. En effet, la production des batteries étant ce qui est, de loin, le plus polluant pour mettre sur les routes une voiture électrique, comment est géré son recyclage ? Existe-t-il dès aujourd’hui des solutions pour ne pas avoir à gaspiller les matériaux qui la composent ?
Le recyclage des batteries
Pour couvrir la durée de vie de la voiture, une batterie pour un véhicule électrique est généralement faite pour supporter 1 000 cycles de recharge, soit peu ou prou 300 000 kilomètres. Mais une fois que cette batterie n’est plus assez performante pour continuer à propulser le véhicule, que devient-elle ? Est-il possible de recycler toute ou partie de cette batterie ? Voyons comment se passe le processus de recyclage aujourd’hui.
Généralement, de l’eau suffit pour séparer les différents métaux d’une cellule de batterie. Mais au niveau industriel, pour recycler les métaux des batteries, cela se passe dans un four. L’ensemble des métaux y sont fondus, puis séparés étant donné qu’ils ne fondent pas tous à la même température.
Umicore, qui fait partie des grosses entreprises européennes recyclant les métaux des batteries de véhicules électriques, utilise une combinaison de pyrométallurgie et hydrométallurgie, et parvient à extraire jusqu’à 95 % du métal qu’ils reçoivent en entrée. Parmi les métaux recyclés, on retrouve ceux qui composent l’immense majorité des batteries de véhicules électriques : cuivre, nickel, manganèse, aluminium, graphite, ainsi que le cobalt – qui représente autour de 1 à 2 % de la cellule d’une batterie, et qui a tendance à disparaître.
Les métaux ainsi récupérés durant le processus de recyclage ne perdent aucune de leurs propriétés uniques et gardent la même qualité qu’en début de chaîne. Les entreprises spécialisées dans le recyclage promettent ainsi une utilisation infinie de ces métaux, qui peuvent être réutilisés pour de nouvelles batteries, qui seront elles-mêmes recyclées à la fin de leur vie.
Comme précisé ci-dessus, il y a autour de 5 % des métaux présents dans la batterie qui ne sont, à ce jour, pas recyclés. Parmi eux, figure le Lithium, qui représente environ 4 % du poids d’une cellule de batterie. C’est un élément recyclable, mais les coûts liés à son recyclage étaient jusqu’à présent trop élevés par rapport au coût d’extraction et de transformation, ce qui explique le fait que les entreprises de recyclage préféraient ne pas s’en occuper.
Cela pourrait toutefois changer à court terme, avec le prix du Lithium qui continue de s’envoler, passant de 6 500 euros début 2021 à plus de 45 000 euros en janvier 2022. Ainsi, lorsque ce dernier sera recyclé, ce serait autour de 99 % des métaux contenus dans les batteries que l’on pourrait recycler indéfiniment, assurant une durée de vie quasiment éternelle des différents composants métalliques de la batterie d’une voiture électrique.
Aller au-delà des idées reçues
Comme nous l’avons vu, le véhicule « zéro émission » est bien une contre-vérité si l’on s’imaginait entrer en possession d’une voiture qui n’avait pas le moindre impact sur l’environnement. L’extraction des matériaux nécessaires pour sa production, les métaux entrant dans la composition des cellules de batterie ou encore l’énergie dépensée pour recharger le véhicule sont tous générateurs de gaz à effet de serre.
Cependant, de nombreuses idées reçues stigmatisant le véhicule électrique comme étant plus polluant que ce que l’on souhaite nous faire croire peuvent être balayées à l’aide de sources officielles. Il n’y a pas de terres rares dans les batteries d’aujourd’hui, la recharge d’un véhicule électrique en Europe est peu émettrice de CO2 et le recyclage des batteries est bien une réalité.
La dette carbone avec laquelle démarre une voiture électrique est toutefois bien réelle : il faut parfois plusieurs années pour l’éponger, avant qu’elle ne devienne moins émettrice de CO2 que son équivalent thermique. Dans un souci d’empreinte environnementale modérée, il peut ainsi être plus intéressant de se tourner vers l’achat d’occasion plutôt que vers un véhicule neuf, étant donné qu’il n’y aura pas de nouvel impact environnemental lié à la production.
Au niveau global, il ne faut donc pas voir l’électrification des véhicules d’un mauvais œil, mais plutôt comme l’opportunité de réduire les émissions de CO2 du secteur des transports, voire de repenser nos modes de déplacement.
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