La « pile de la honte », ce n’est pas juste une blague entre gamers. C’est un véritable phénomène économique qui pèse lourd. Selon une étude menée par PCGamesN et SteamIDFinder, la valeur totale des jeux achetés, mais jamais lancés sur Steam s’élèverait à environ 19 milliards de dollars. Pour mettre ce chiffre en perspective, c’est l’équivalent du produit national brut de pays comme le Nicaragua ou le Tchad. Impressionnant, non ?
Mais comment en sommes-nous arrivés là ? Plusieurs facteurs entrent en jeu. D’abord, les soldes Steam, ces périodes où les prix des jeux chutent drastiquement, nous poussent à l’achat compulsif. On se dit « c’est une affaire, je l’achète maintenant, j’y jouerai plus tard ». Sauf que ce « plus tard » ne vient souvent jamais. Ensuite, il y a ce que les chercheurs appellent la « mauvaise attribution de l’excitation ». En gros, on confond l’excitation de l’achat avec l’envie réelle de jouer au jeu. Résultat ? On accumule des titres qu’on ne lancera jamais.
Vous pouvez vérifier combien vous avez investi pour… rien, en rentrant tout simplement votre nom d’utilisateur dans SteamIDFinder. De mon côté, au moins 500 dollars. Néanmoins, ce chiffre est sans doute surestimé.
Un chiffre certainement surestimé
Comme le note justement Arstechnica, le chiffre de 19 milliards de dollars avancé pour la valeur des jeux non joués sur Steam est très probablement surestimé, et ce pour plusieurs raisons.
Premièrement, la méthodologie utilisée pour arriver à ce chiffre est discutable. L’étude se base sur seulement 10 % des comptes Steam, ceux qui sont publics, et extrapole ensuite ce résultat à l’ensemble des utilisateurs. Cette généralisation est hasardeuse, car les utilisateurs ayant des profils publics ne sont pas nécessairement représentatifs de l’ensemble de la communauté Steam. De plus, multiplier simplement par 10 le résultat obtenu sur cet échantillon ne tient pas compte des nuances et des variations possibles entre les différents types d’utilisateurs.
Deuxièmement, la façon dont la valeur des jeux est calculée pose un problème. L’outil utilisé, SteamIDFinder, se base sur le prix actuel des jeux dans la bibliothèque, et non sur le prix réellement payé par les utilisateurs. Or, une grande partie des jeux non joués sont souvent acquis lors de soldes importantes, dans des bundles, ou via des offres promotionnelles. Ainsi, la valeur réelle des achats est probablement bien inférieure à celle calculée par l’outil.
Enfin, la définition même de « jeu non joué » est sujette à caution. Steam ne comptabilise les heures de jeu que depuis 2009, ce qui signifie que des jeux plus anciens peuvent être considérés comme non joués alors qu’ils ont en réalité été utilisés. De plus, certains jeux lancés en dehors de Steam ou modifiés ne sont pas pris en compte dans les statistiques de temps de jeu. Sans oublier les nombreux petits jeux ou contenus additionnels inclus dans des packs, que les joueurs n’ont parfois pas l’intention de lancer, mais qui sont comptabilisés dans la « pile de la honte ».
Les RPG, champions de la pile de la honte
Parmi les genres les plus représentés dans nos bibliothèques virtuelles poussiéreuses, les jeux de rôle (RPG) tiennent le haut du pavé. Pourquoi ? Simplement parce que ce sont souvent des jeux qui demandent un investissement en temps considérable. On les achète avec les meilleures intentions du monde, mais face à des dizaines d’heures de jeu potentielles, on finit par procrastiner… indéfiniment.
Au-delà de nos comportements individuels, ce phénomène a des répercussions sur l’ensemble de l’industrie du jeu vidéo. D’un côté, il génère des revenus pour les développeurs et les plateformes comme Steam. Mais de l’autre, il fausse les statistiques de popularité des jeux. Un jeu très acheté, mais peu joué peut être considéré comme un succès commercial, alors qu’il n’a pas réellement trouvé son public. Cela peut influencer les décisions des studios pour leurs futures productions, potentiellement au détriment de la qualité ou de l’innovation.
De plus, cette accumulation de jeux non joués pourrait, à terme, dévaloriser le produit « jeu vidéo » aux yeux des consommateurs. Si acheter devient plus important que jouer, ne risque-t-on pas de perdre de vue l’essence même de ce média ? C’est exactement ce que l’on peut vivre avec les abonnements de streaming à volonté, comme le Game Pass de Microsoft. Ou bien évidemment, le piratage, qui nous fait perdre la vraie valeur d’un jeu vidéo.
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