Ambiance sombre, couleurs bigarrées… le matériel gaming fait tout à contre-pied

 
Comme le disait MC Solaar : “les temps changent”. C’est d’autant plus vrai dans la tech où les défauts d’autrefois peuvent devenir des avantages à mettre en avant sur les fiches produits. Plongée dans un univers bigarré où les standards ont tous été retournés pour notre plus grand plaisir.

Un grand homme a un jour déclaré que toute technologie suffisamment avancée s’apparentait à de la magie. Cela sous-entendait qu’au fur et à mesure que l’Humanité allait avancer, la technologie allait petit à petit s’effacer derrière les usages pour devenir presque naturelle. La promesse était belle.

Et alors que les produits grand public avancent vers toujours plus de simplicité, que le partage de fichiers via nos smartphones ne s’embarrasse désormais plus d’acronymes et de protocoles compliqués, que les objets connectés étudient nos habitudes et s’intègrent de manière transparente à notre quotidien et qu’il est possible d’appairer des périphériques Bluetooth en les tapotant gentiment où en les approchant de l’autre appareil, il existe un domaine qui s’emploie depuis 20 ans à faire en sorte que la technologie continue à se voir et écrase l’utilisateur par sa présence. Aux antipodes de l’imagerie aseptisée de l’électronique grand public, ce domaine privilégie les ambiances sombres, les couleurs bigarrées, les noms agressifs et les angles saillants. Ce domaine c’est le matériel gaming.

MY NAME IS MY NAME

Pour rentrer dans l’univers du hardware gaming, il faut un nom qui soit un minimum agressif. Il faut impressionner, que ce soit la concurrence ou les « casu » (les joueurs occasionnels). Les marques généralistes ne peuvent pas débouler et sortir 3 claviers RGB Gaming entre 2 souris ergonomiques et une carte-mère pour PME. Il faut se forger une identité. Alors Acer devient PREDATOR, Gigabyte se transforme en AORUS, Lenovo devient LEGION. Il faut au moins ça pour aller chercher les RAZER et autres CORSAIR, marques exclusivement tournées vers le gaming, sur leur propre terrain.

À gauche, Eric Bana. À droite, Eric Bana Gaming

Une fois que l’identité est choisie, il faut s’appliquer à revenir méthodiquement sur les avancées réalisées dans le domaine de la bureautique pour ne garder que les éléments les plus pénibles. Le gaming, c’est Vin Diesel dans Fast & Furious qui secoue frénétiquement la boite de vitesses 4 rapports de sa Dodge Charger. À ce moment précis, vous pouvez lui parler de toutes les boites à embrayage piloté qui équipent les supercars modernes, il ne vous écoutera pas. Car pour lui, comme pour les chefs de produits gaming, l’expertise et la souffrance sont inextricablement mêlées à LA PERFORMANCE.

LA MÉCANIQUE DU CŒUR

Illustration : alors que les claviers mécaniques des antiques terminaux AS/400 étaient voués aux brocantes et vide-greniers dans la seconde moitié des années 90, les fabricants de périphériques gaming ont décidé, vers la fin des années 2000, de considérer le clavier mécanique comme l’artefact du jeu PC par excellence. Jusque là, la bureautique comme le gaming utilisaient des claviers à membrane, mais quand il a fallu vraiment se dissocier des claviers classiques autrement que par des petits écrans LCD, des touches de macro et des ports USB supplémentaires, le changement de switch a été vu comme le Graal.

La légende raconte que c’est RAZER qui a dégainé le premier en proposant ce type de produits au grand public autour de 2010. Ce qui est certain, c’est que 10 ans plus tard, notre perception des points forts et faibles d’un clavier a totalement changé. Prenez ce test du clavier Logitech G15 publié chez Les Nums en 2008. Dans les points faibles, le testeur notait en tête de liste :

Touches bruyantes

Le Logitech G15, un clavier gaming… Mais à membrane

Gageons que 10 ans plus tard, un clavier mécanique équipé des switches les plus silencieux qui soient reste largement plus bruyant que le G15. Mais cette fois, le silence *relatif* se retrouvera dans la colonne des points positifs.

ET LA LUMIÈRE FUUUUUUU

Un autre élément est devenu un des signes distinctifs de tout périphérique gamer qui se respecte : le rétro-éclairage RGB. Pouvoir voir les touches de son clavier quand on est dans l’obscurité ou dans une pièce mal éclairée, c’est un gain en confort indéniable. Il suffit de lire cette page d’Anandtech consacrée au rétroéclairage du Powerbook G4 d’Apple en janvier 2005 pour se rappeler qu’il y a à peine 15 ans, un clavier rétro-éclairé était une nouveauté. Là encore, dans un souci de différenciation, le milieu du périphérique de jeu ne pouvait pas utiliser les mêmes fonctionnalités que des machines qui permettent de faire de la comptabilité analytique ou de lire des recettes de cuisine. Cette fois, impossible de revenir au monde d’avant comme avec les claviers mécaniques en imposant le non rétro-éclairage au motif que les vrais gamers jouent dans l’obscurité. La fonctionnalité était bien trop pratique pour s’en passer.

Alors pour se distinguer, les marques ont introduit la sélection de la couleur du rétro-éclairage. D’abord une parmi 4 couleurs (rouge, vert, bleu ou blanc). Un battement de cils plus tard, nous sommes en 2020, les claviers, les souris, les tapis de souris, les cartes-mères, les ventirads, les water-coolings, les BARRETTES DE RAM sont équipés de rampes de LED RGB 16 millions de couleurs. Avoir une source lumineuse changeante et chatoyante dans sa vision périphérique est pourtant désagréable, mais comme pour le bruit des switches mécaniques qui sont désormais appréciés, nous avons contraint nos cerveaux à passer outre.

Ce que je vois quand j’allume mon PC

MAFIA TRESSÉE

Dans un monde où le sans-fil règne désormais en maître dans nos vies quotidiennes, le domaine des périphériques gaming reste majoritairement attaché au bon vieux câble. Bien entendu, il a lui aussi évolué en passant du banal fil électrique au câble blindé, tressé, en kevlar. Il est d’ailleurs inenvisageable aujourd’hui d’imaginer sortir un produit gaming haut de gamme sans y ajouter un câble tressé (en kevlar). Il existe sûrement un univers parallèle où le raffinement ultime ce sont des câbles fins ou extra-plats en fibre optique, bien moins voyants et plus simples à gérer, mais dans notre dimension à nous, la norme c’est le câble de 0,5 cm de diamètre tressé (en kevlar). C’est comme ça.

Les marques expliquent que le recours au fil vise à lutter contre la latence, ce qui est une initiative louable, même s’il faut rappeler que dans l’immense majorité des cas la latence dans les contrôles, « l’input lag », reste imperceptible pour l’utilisateur. Rappelons d’ailleurs que pour les consoles de jeux, les pads sans-fil sont la norme depuis 2005. Les marques gaming proposent désormais toutes des claviers gaming Bluetooth, mais toujours en déclinaison de leur gamme filaire. Le fil a donc encore de beaux jours devant lui et en attendant mieux, on a le « Cable Management » pour nous amuser.

Un art à part entière

LOMBAIRE A DU CHOIX

Il est impossible de terminer cette plongée dans le monde merveilleux du matériel gaming sans nous arrêter sur L’objet qui à lui seul annonce la couleur et permet de donner la fameuse touche gaming à n’importe quel espace de travail jusque là tristement banal. Il s’agit évidemment du fauteuil gamer ! Dans un monde où se côtoient des milliers de types de fauteuils, les instances du gaming ont un jour décidé que LE format idéal pour un fauteuil gaming, ce serait le siège baquet. Et tout comme le clavier mécanique, le baquet est devenu un incontournable dans un laps de temps relativement court (5 ans).

Une recherche Google pour « gaming seats » annonce la couleur

Le gaming a souvent emprunté ses codes visuels au monde de l’automobile, que ce soit au niveau des logos qui singent totalement les codes de certains constructeurs italiens, des équipes e-sport qui se présentent comme des écuries de sport auto ou des matériaux comme le carbone qui se retrouve intégrés aux configurations les plus performantes. Il était donc logique qu’un élément aussi central que le fauteuil provienne de cet univers. Le baquet gaming est purement ornemental, le besoin de maintien latéral dans la prise de virage étant proche du néant quand on est assis devant son bureau, mais comme les autres éléments que nous avons passés en revue, il participe pleinement à cette esthétique gaming actuelle.

De nombreuses marques se sont montées pour vendre des sièges baquets, souvent fabriqués par un fournisseur unique, respectant parfaitement la règle élémentaire de l’OEM qui est au cœur du matériel informatique. Plus sérieusement, le choix du baquet comme signe de reconnaissance s’explique surtout par son absence totale dans les bureaux par ailleurs. Aucun risque de confusion possible. Là où le clavier, la souris ou les écrans gaming doivent être observés de près pour voir ce qui les distingue des autres, le siège baquet est instantanément identifiable comme un objet gaming. C’est précisément cette volonté de se distinguer à tout prix qui fait que ce type de fauteuil a encore de beaux jours devant lui, même si l’on a vu cette année une initiative de Logitech en collaboration avec Herman Miller pour bousculer un peu les lignes.

Le Embody de Herman Miller x Logitech G, le maintien des lombaires au prix fort

Pas sûr que remplacer le baquet racing par un fauteuil qu’on trouve largement en entreprise réussisse à convaincre une clientèle souhaitant se distinguer des codes de la bureautique lambda. Les joueurs arrivant à saturation avec les switches mécaniques, les LED RGB, les câbles tressés (en kevlar), les sièges en alcantara avec surpiqures rouges et plus globalement les codes esthétiques du gaming vont donc devoir prendre leur mal en patience. 

Vous l’avez compris, avant le confort, la praticité au quotidien ou la discrétion, le matériel gaming cherche avant tout à se distinguer et à se forger à tout prix une identité bien distincte de la bureautique monotone qui hante les open-spaces de France et de Navarre. Depuis 20 ans, cela se fait à rebrousse-poil, mais il n’est pas impossible que cette nouvelle décennie permette de lancer des produits gaming plus compatibles avec nos intérieurs scandinaves.

Pour garder l’analogie au monde automobile, cela fait 20 ans qu’on consomme du Lamborghini, serait-il possible de passer un jour du côté d’Aston Martin ?


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