On a visité un datacenter français nouvelle génération : polluer moins pour gagner plus

 
Derrière nos données dans le « cloud », il y a de très nombreux serveurs à travers le monde. Des ordinateurs qui chauffent comme les nôtres et qu’il convient de refroidir. Pour cela, OVHcloud travaille depuis vingt ans à développer le « watercooling » : une solution plus économique et écologique face à la ventilation. Nous avons pu visiter le site du géant français de l’hébergement.
Le datacenter Roubaix 8 d’OVHcloud // Source : OVHcloud

Vous avez peut-être vu passer des images de datacenters sur Internet, dans la presse ou à la télévision. Souvent, on y voit de grandes ventilations tenter de refroidir à coups (et coûts) de climatisation. Une méthode également utilisée par l’hébergeur OVHcloud, mais qui tente depuis plus de 20 ans de démocratiser la technologie du watercooling pour refroidir ses baies de serveurs. Un gain énergétique certain qui permet une empreinte carbone moindre, mais aussi de réduire les dépenses en électricité.

Pour y voir plus clair, nous avons visité l’usine d’assemblage de serveurs d’OVHcloud à Croix, ainsi que l’un de ses nombreux datacenters sur le site historique de Roubaix.

Qu’est-ce que le watercooling ?

Le watercooling, ou refroidissement à eau en français, est une méthode de refroidissement utilisée dans certains ordinateurs. Dans ces derniers, c’est surtout le CPU, le processeur, qui tend à chauffer puisqu’il convertit beaucoup son énergie en chaleur. Habituellement, on utilise des ventilateurs : c’est ce qui fait du bruit sur votre machine, principalement lorsque des logiciels gourmands sont en fonctionnement.

Un système de watercooling est généralement composé d’un réservoir d’eau, relié à une pompe qui envoie l’eau dans un waterblock, une pièce collée au CPU (voire à un GPU). Ensuite, l’eau passe dans un radiateur/dissipateur qui vient refroidir cette eau qui aura été réchauffée.

Schéma du fonctionnement du watercooling // Source : Adèle Foehrenbacher pour Frandroid

Le principal intérêt du watercooling — par rapport au refroidissement à l’air via des ventilateurs — est sa conductivité thermique : à surface équivalente, l’eau refroidit plus que l’air, en tout cas en informatique. Aujourd’hui, cette méthode est surtout utilisée sur les PC fixes haut de gamme dont les CPU chauffent beaucoup. En outre, le watercooling est complexe à mettre en place (il faut garantir l’étanchéité du circuit d’eau). Mais il n’y a pas que dans les PC de particuliers que le watercooling peut se révéler utile : les datacenters aussi peuvent y avoir recours.

Comment OVHcloud utilise du watercooling dans des datacenters

Les datacenters qui fonctionnent avec du watercooling ne ressemblent pas vraiment aux autres. La plupart du temps, un datacenter est une salle gigantesque basse de plafond avec un carrelage impeccable et des néons en haut. En fait, cela demande de créer une « salle blanche », un lieu clos où l’on tente de réduire l’introduction de particules. Dans les datacenters d’OVH utilisant du watercooling, c’est un peu différent.

Historique du développement

Historiquement, c’est en 2003 qu’ont commencé les premières expérimentations du watercooling sur des serveurs. Au début, on n’utilisait que des blocs de cuivre plats qui offraient une efficacité limitée, mais suffisante par rapport aux composants de l’époque.

Le siège social d’OVHcloud // Source : Frandroid

Mais c’est à partir de 2011 que la technologie se développe de manière plus officielle, notamment en étant implantée sur d’autres sites que celui de Roubaix. OVHcloud a fait le choix du freecooling, qui complète l’eau avec de l’air, en en faisant passer dans les composants. Les plaques en cuivre ont vu des sillons arriver et leur fabrication s’est industrialisée à partir de 2013, pour faire moins cher et plus efficace. Entre 2015 et 2017, OVHcloud a cherché à innover avec l’impression 3D, en réalisant un bloc d’eau avec une base en cuivre et un couvercle en plastique. En 2018, le processus industriel a été terminé à toutes les étapes avec le développement d’une soudure sans apport de métal.

L’hébergeur qui emploie 2 800 salariés est plus ou moins contraint d’utiliser du cuivre selon ses dires. Bien que le prix de cette matière augmente, elle est nécessaire puisqu’elle ne corrode pas trop au fil du temps et du passage de l’eau. Selon Gregory Lebourg, directeur des programmes environnementaux de l’entreprise, plusieurs datacenters d’OVHcloud situés en Asie du Sud Est et en Océanie, qui ne sont pas conçus par l’hébergeur, souhaitent remplacer le système de refroidissement à l’air pour du watercooling.

L’intérêt énergétique du watercooling

En résumé, le watercooling permet de réaliser des économies d’énergies et financières par rapport au refroidissement à l’air. Dans certains datacenters, dont plusieurs chez OVHcloud, on utilise des climatiseurs géants pour refroidir les serveurs. Mais l’hébergeur français tend à démocratiser de plus en plus le watercooling. Selon lui, la densité de refroidissement de cette technologie serait 3,3 fois plus grande que celle de l’air et elle est adaptée aux CPU et aux GPU. Aujourd’hui en termes d’efficacité, le watercooling développé par OVHcloud offre une différence de température en entrée et en sortie de 20 °C.

Schéma du fonctionnement du watercooling dans les serveurs d’OVHcloud // Source : OVHcloud

L’eau ainsi chauffée est expédiée à l’extérieur du datacenter pour être refroidie, mais sans système de réfrigération actif, via des refroidisseurs secs qui captent la chaleur de l’eau.

La société basée à Roubaix se targue d’avoir un meilleur rendement énergétique au niveau de ses datacenters équipés. Elle met en avant le PUE (pour Power Usage Effectiveness), un indicateur d’efficacité énergétique qui est le rapport de l’énergie totale consommée par un datacenter sur l’énergie consommée par ses serveurs. Il serait de 1,55 en moyenne chez la concurrence et de 1,28 chez OVHcloud. En plus de ça, ce dernier se fait fort d’une WUE (pour Water Usage Effectiveness), un indicateur de consommation d’eau plus faible. Il serait de 1,8 L/kWh chez les concurrents ayant recours au watercooling, et de seulement 0,26 chez OVHcloud. Pour cela, il réduit le débit nécessaire pour faire circuler l’eau, ce qui permet de réduire la puissance électrique requise pour la pomper. Concrètement, un grand verre d’eau suffit « pour refroidir un serveur pendant 10 heures d’utilisation », précise OVHcloud.

Des waterblocks prêts à être assemblés // Source : OVHcloud

Réaliser des économies, c’est aussi éviter d’augmenter la facture d’énergie pour l’hébergeur, mais aussi au final celle du client, d’autant plus dans un contexte d’inflation économique touchant particulièrement l’électricité. Aujourd’hui, l’entreprise estime que sur un datacenter équipé, la technologie permet d’économiser 10 % de consommation électrique. L’intérêt est aussi écologique puisque le cloud a une empreinte carbone, d’autant plus qu’OVHcloud se donne jusqu’à 2030 pour atteindre la neutralité carbone et jusqu’à 2025 pour utiliser 100 % d’énergies bas carbone. Pour la réduire, il faut réduire la part d’électricité produite avec des moyens émetteurs de gaz à effets de serre, comme les centrales à charbon. Aujourd’hui, la part d’électricité décarbonée utilisée par OVHcloud dans le monde est de 77 %, grâce au nucléaire. Sur les 24 datacenters d’OVHcloud situés en Europe, 9à à 95% des serveurs sont refroidis à l’aide du watercooling.

Le risque des fuites d’eau

L’une des explications de la non-généralisation du watercooling dans les datacenters est le risque des fuites d’eau. Si un tuyau se met à lâcher ou à fuir, cela peut avoir des conséquences énormes sur les serveurs. Ils peuvent ne plus fonctionner du tout et les données peuvent se retrouver perdues à jamais. Certaines se sont déjà produites chez l’hébergeur.

L’assemblage d’un système de watercooling // Source : OVHcloud

Le challenge pour OVHcloud est évidemment de récupérer les données de ses clients pour ne pas les perdre (les données et les clients, qui sont 1,6 million environ). À cela, on peut avoir recours à plusieurs sauvegardes des données pour éviter de les perdre.

Le futur du watercooling : l’immersivecooling

Pour la suite, OVHcloud a des projets en tête, comme l’immersivecooling, qui est une sorte de watercooling hybride. L’idée est de placer les serveurs à la verticale avec des tuyaux qui passent au travers, surtout sur les CPU qui chauffent particulièrement. À l’intérieur, pas d’eau, mais un liquide diélectrique, qui monte avec l’air chaud. De quoi éviter de transporter autant de liquide pour quatre fois moins d’énergie.

L’intérêt principal est d’utiliser cette technologie pour les datacenters qui ne peuvent s’étendre, ou ceux qui sont placés dans des zones urbaines qui limitent l’espace. L’immersivecooling offre aussi une marge de manœuvre plus grande, ce qui est utile pour les zones du Globe où il fait chaud. Pour le moment, ce dispositif est en phase de test et aucun client n’y a recours.

Comment préparer des serveurs au watercooling : l’usine d’assemblage OVHcloud à Croix

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, le watercooling n’est pas réservé qu’aux PC fixes destinés au grand public. On peut très bien utiliser cette technologie dans d’autres machines électroniques qui chauffent, comme un serveur. Par ailleurs, un serveur est basiquement un ordinateur, puisqu’il est composé d’une alimentation, d’une carte de contrôle, d’un disque dur, d’un processeur ainsi que de la mémoire vive.

L’assemblage d’un serveur à l’usine de Croix // Source : Frandroid

Les quelque 34 datacenters d’OVHcloud à travers le monde s’alimentent tous les jours en serveurs, qui sont au nombre de 450 000 environ, pour les agrandir, mais aussi pour remplacer les « baies de serveurs » qui tombent en panne, se cassent, ou tout simplement parce qu’elles sont trop vieilles. Pour répondre à ce besoin, OVHcloud achète des serveurs, mais en assemble aussi depuis cinq ans, notamment dans son usine dédiée située à Croix, dans le Nord de la France, près de ses datacenters de Roubaix et de son siège social. Aujourd’hui, cette usine fabrique 1000 serveurs par semaine et en démonte 800 à 1000, qu’elle reçoit des différents datacenters. Une autre usine du même genre est située à Beauharnois, au Canada, dans la banlieue de Montréal. Ces usines « confèrent à OVHcloud un contrôle total sur le design et la production des serveurs avec des avantages significatifs en termes d’innovation, de compétitivité et de résilience. »

Un serveur en cours d’assemblage dans une baie // Source : Frandroid

Entre l’arrivée des matériaux et des composants et la sortie du serveur, comptez deux jours environ. Plusieurs options sont possibles : soit c’est un serveur qui part seul en remplacer un autre dans une baie dans un datacenter, soit il est placé dans une baie nouvellement fabriquée qui va partir dans un centre. L’étape la plus importante est l’assemblage ; par équipe de trois, les employés assemblent les composants : CPU, RAM, watercooling, carte mère… Puis les serveurs sont placés dans une baie pour ensuite être câblés.

L’arrière d’un serveur OVHcloud // Source : Frandroid

Les étapes suivantes sont celles de test : il faut tester les serveurs pour vérifier que tous les composants sont bien branchés et qu’ils fonctionnent. Ce n’est qu’après que le système de watercooling est testé, pour valider son étanchéité, d’abord avec de l’air, puis avec de l’eau.

L’intérêt économique et écologique d’assembler ses serveurs

Parmi les émissions de gaz à effets de serre indirectes et importantes, il y a aussi la fabrication des serveurs. Dans les leviers d’action possibles, il y a le design des serveurs, mais aussi le taux de réemploi des pièces : on peut désosser les serveurs en fin de vie pour réutiliser certaines de leurs pièces. À l’heure actuelle, le taux de réemploi est entre 25 et 33 %.

Les serveurs désossés permettent de récupérer le châssis principalement, une partie qui s’abime moins vite que les composants électroniques. Cependant, le bloc dédié au watercooling (placé à côté du GPU) n’est pas recyclé. Mais il est en fait usiné et fabriqué dans l’usine même à Croix, juste à côté des stands d’assemblage. Les différents composants sont testés pour savoir s’ils vont être réutilisés ou non. S’ils ne peuvent pas l’être, ils sont alors revendus ou recyclés : ce n’est pas le cas des disques durs, qui sont broyés pour éviter toute fuite de données des clients. Chaque jour, ce sont 200 serveurs qui sont désossés, ce qui correspond à 1000 disques durs environ, ainsi qu’une centaine de CPU/cartes mères.

L’exemple du datacenter de Roubaix 8

L’entreprise OVHcloud possède plusieurs datacenters à Roubaix, c’est même là où est situé son siège, au fameux 2 rue Kellermann, qui est peut-être l’adresse la plus mentionnée sur Internet. En effet, on la retrouve dans toutes les pages de mentions légales des sites Internet hébergés chez OVHcloud (y compris chez Frandroid, hébergé par les serveurs de la société). Dans cette même rue se situe Roubaix 8 (ou R8), le huitième datacenter d’OVHcloud sur ce site, ouvert en mars 2020 aux côtés de Roubaix 9 et Roubaix 10.

Le datacenter de Roubaix 8 // Source : OVHcloud

Un datacenter qui comprend 30 000 serveurs approximativement, sur une capacité totale de 40 000. À l’intérieur, il y fait chaud, mais heureusement pour les équipes, elles n’ont pas à y rester très longtemps, simplement le temps de remplacer un serveur. Derrière chacun d’entre eux, on trouve des ventilateurs qui aspirent l’air chaud. En fait, OVHcloud n’a pas recours qu’à du watercooling pour refroidir les composants : c’est du 50/50 avec de l’aircooling.

La salle de contrôle du datacenter // Source : OVHcloud

Quant à la gestion de l’électricité, faire fonctionner les datacenters de Roubaix demande pas moins de 36 MW. Dans le cas où une coupure de courant surviendrait, des générateurs s’activent automatiquement et offrent 48 heures d’autonomie. Mais pour les microcoupures de moins de 10 secondes, des onduleurs sont en place.

Ce reportage a été réalisé lors d’un voyage presse organisé par OVHcloud.


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