Je suis un pianiste du dimanche. Celui qui tente parfois de jouer dans le hall d’une gare SNCF, qui se creuse les méninges pendant des heures pour se rappeler des morceaux appris plus jeune et qui tape surtout quelques improvisations pour impressionner la foule en faisant peu d’efforts. C’est donc avec une pudeur presque zélée que le simple amateur que je suis s’approche du piano connecté Alpange qui trône majestueusement au centre du salon d’un bel appartement haussmannien du 8e arrondissement de Paris.
L’appareil paraît si élégant et précieux que j’ose à peine m’approcher, empli d’une certaine forme de peur. Peur de bafouer l’objet, de ne pas lui rendre hommage avec mes capacités pianistiques honorables, mais limitées. Peur de le salir presque, alors que je dénote déjà dans ce beau décor avec mon accoutrement T-shirt-short des plus primitifs. J’effleure le bois du bout des doigts puis tente de pianoter quelques notes en Fa blues pour tester la bête. Les notes sonnent parfaitement avec ce grain si particulier des pianos acoustiques. Et encore ce n’est rien à côté de la prestation proposée par la pianiste et chanteuse professionnelle qui s’installe quelques minutes après pour un petit concert.
Sauf qu’il faut savoir quelque chose. Si cet instrument sonne aussi bien qu’un piano acoustique traditionnel, il n’a rien à voir avec un piano traditionnel. Il lui manque un élément essentiel : les cordes sur lesquelles des marteaux sont censés venir frapper pour faire vibrer les notes. D’aucuns d’entre vous pourraient alors se dire qu’il s’agit donc d’un piano numérique tout simple et qu’il n’y a pas besoin d’en faire tout un fromage. Et vous auriez tort. Car ici, on a affaire à un fonctionnement inédit assez enthousiasmant.
Un piano « à la Apple »
« On a vraiment fait de la haute couture technologique », affirme le cofondateur d’Alpange, Raphaël Soudre. Mais où se cachent toutes ces innovations qui ont nécessité sept années de développement ? Au premier regard, on voit surtout 88 touches, trois pédales au sol, deux molettes sur les côtés et de belles finitions en bois de noyer. Toute la prouesse de ce piano Alpange est invisible à l’œil, bien à l’abri dans la structure interne en peuplier.
Quand on appuie sur une touche, il y a bien un marteau qui s’active. Mais au lieu de frapper une corde, il vient heurter une feutrine sur laquelle des capteurs optiques enregistrent l’impact et la vitesse du marteau. Grâce à ces données, des algorithmes calculent en temps réel le mouvement de la corde (qui n’existe pas) et le comportement de la table d’harmonie. Ajoutez à cela la vibration du piano lui-même et vous obtenez ainsi le son si riche et plein du produit d’Alpange.
Un piano numérique classique, lui, diffuse un enregistrement sonore correspondant à la note jouée. C’est très bien fait et très pratique, mais on peut se retrouver un peu limité, sans pouvoir mettre autant de finesse et de nuance qu’on le souhaiterait en frappant une touche.
Voilà donc pour la présentation globale. « On la joue à la Apple », lance Raphaël Soudre pour souligner cette volonté de mettre de la haute technologie dans un design ultra soigné. À ce moment-là, je me pose forcément une question : pourquoi s’embêter avec tout ce système d’algorithmes puissants pour finalement reproduire le son d’un piano acoustique ? Question excellente si je puis me permettre, car elle va nous aider à comprendre la notion de piano connecté.
Deux éléments essentiels entrent ainsi en jeu :
- la personnalisation du son ;
- l’enregistrement des morceaux joués.
La personnalisation du son en direct
Commençons par la personnalisation du son. L’instrument d’Alpange propose quelques éléments classiques avec une molette pour le volume, une autre pour la réverbe. Au niveau des pieds, trois pédales s’offrent à vous : la sourdine, la pédale harmonique et la pédale de sustain. Or, le piano connecté permet ici d’aller encore plus loin puisqu’il fonctionne avec une application sur smartphone.
Sur l’app en question, il existe une interface permettant d’affiner avec beaucoup de facilité le grain que l’on veut donner aux notes d’un morceau. Vous avez ainsi une sorte de graphe sur deux axes qui se présente à vous et un point à faire bouger dessus. De gauche à droite, vous passez d’un timbre « intimiste » à « lumineux ». De bas en haut, d’un timbre « tellurique » à « céleste ». Si le point est au centre, le son proposé par le piano sera à l’équilibre entre ces quatre paramètres.
La démonstration qu’en fait Raphaël Soudre, pianiste depuis longtemps, est bluffante. Chaque modification qu’il opère sur son iPhone s’entend immédiatement à la note suivante. Le timbre intimiste délivre une atmosphère plus feutrée tandis que si vous préférez aller vers le lumineux, votre morceau occupera davantage la pièce. Poussez à fond vers le mode céleste et vous percevrez bien la transformation au niveau de la résonance, alors que plus on va vers le tellurique et plus les tonalités sont fermes et presque brutes. Évidemment, j’essaie de vous dépeindre autant que possible ce que j’ai entendu, mais comprenez que l’exercice n’est pas évident. Et nul texte ne saura jamais vraiment décrire à la perfection la finesse d’un timbre.
Notez en outre que le son est émis par 14 diffuseurs acoustiques et passe par des micro perforations disséminées sur le dessus et les côtés. En nuance forte, on peut monter jusqu’à 103 ou 105 dB, mais sans jamais aller dans la saturation assure la marque.
Enregistrement permanent dans le cloud
L’autre aspect très particulier de ce piano connecté d’Alpange, c’est que chaque morceau joué est enregistré dans le cloud pour que vous puissiez ensuite le réécouter depuis l’app dédiée sur votre smartphone ou directement sur le piano en vous servant comme d’une enceinte audio.
La marque parle même de « mémoire infinie » pour décrire cet enregistrement permanent sur des serveurs distants. Si vous êtes particulièrement fier de ce que vous venez de jouer, vous pouvez, à la fin de votre prestation, appuyer sur le logo d’Alpange situé juste sous le clavier afin de la ranger directement dans les morceaux favoris. Aucune note jouée n’est ainsi perdue et, poète, Raphaël Soudre va même jusqu’à dire que « le piano se charge émotionnellement » ainsi.
Il est par ailleurs possible de brancher un micro pour chanter et ce canal voix sera capté et diffuser par le système acoustique du piano et également enregistré sur l’application. Sachez d’ailleurs que les morceaux s’enregistrent en fichiers Midi. L’application d’Alpange permet cependant de les compresser dans des formats moins lourds — plus adaptés au streaming musical — pour pouvoir les partager facilement à des proches.
Un piano français à 35 000 euros
« On a fait un piano sans concession », assure Raphaël Soudre qui se garde cependant bien d’utiliser le mot « luxe ». Il estime que ce produit ne s’adresse pas forcément aux plus techniciens, mais avant tout à des gens qui aiment le piano et sont sensibles à la technologie. Disons-le, il s’adresse aussi à un public aisé puisque le prix affiché est de 35 000 euros. Un tarif onéreux que l’on se doit de contextualiser : certains modèles à destination des professionnels se vendent aux alentours de 100 000 euros (sans compter évidemment les pièces de collection à des millions d’euros).
C’est donc notamment pour justifier ce prix qu’Alpange met en avant un appareil sans concession qui se targue en outre d’un savoir-faire français. La marque s’est appuyée sur l’expertise de partenaires tricolores tels que Devialet ou Focal. Elle a aussi été accompagnée par l’École polytechnique tandis que les algorithmes utilisés par le piano ont été conçus par l’Institut de mathématiques de Toulouse.
Enfin, l’unité de production est basée à Nantes où l’équipe technique pour l’acoustique côtoie celle dédiée à l’ébénisterie. En 2023, ce piano de 105 kg n’a ainsi été produit qu’en 80 exemplaires qui ont presque tous été commandés ou livrés. Il n’en resterait ainsi qu’un seul disponible à l’heure actuelle avant le prochain lot de production. Trois finitions sont proposées : noyer, érable (plus clair) et frêne (plus sombre).
Son prix de 35 000 euros et sa rareté relative renforcent l’aspect presque intimidant de ce piano qui me fascine. Dans quelques années, peut-être sera-t-il beaucoup plus accessible. En attendant, si vous voulez le découvrir, il faudra essayer d’aller dans les locaux d’Alpange dans le 8e arrondissement de Paris. Ou alors dans un hôtel huppé, restaurant coté ou chalet privé dans lesquels certains modèles ont atterri.
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