Comment le jeu vidéo veut dépasser toutes ses limites

Du jeu, la tête dans le nuage

 
Lors de la dernière GDC, la conférence annuelle des développeurs de jeux vidéo, Ubisoft a dévoilé Ubisoft Scalar, une plateforme en cloud gaming qui doit venir révolutionner les jeux de demain en se débarrassant de toute forme de limitation technologique et créative. Rencontre avec Guillemette Picard, une patronne de l’innovation chez l’éditeur français.
Beyond Good & Evil 2
Beyond Good & Evil 2 pourrait être le jeu ambitieux propulsé par Ubisoft Scalar // Source : Ubisoft

Et si le jeu vidéo n’avait plus de limitation, que ce soit en termes de créativité comme de jouabilité ? C’est le pari fait par Ubisoft avec Ubisoft Scalar, une nouvelle plateforme technologique qui doit servir autant aux développeurs de jeu qu’aux joueurs. Avec un mot d’ordre : aucune limite.

Lors de la GDC, la conférence dédiée aux développeurs de jeux vidéo qui s’est tenue le mois dernier à San Francisco (Californie), l’éditeur français a dévoilé le futur de ses jeux vidéo, qui s’appuiera ainsi sur le cloud et offrira une débauche de puissance aux plus créatifs grâce à des outils créés pour répondre à leurs besoins les plus fous.

Se débarrasser de toutes les limitations technologiques actuelles

À la tête du département Production Technology, Guillemette Picard est confiante quant au « changement de paradigme » qu’une telle « innovation de rupture » va apporter. « L’impact de Scalar doit être mondial, transverse, et servir l’ensemble de nos studios et de leurs jeux », nous annonce-t-elle tout de go. C’est dire les espoirs placés dans cette nouvelle plateforme technologique qui sera pilotée par le studio de Stockholm, avec l’aide de ceux de Malmö, Helsinki, Bucarest et Kiev, dont les employés ont été délocalisés et travaillent à distance pour leur sécurité. « On a mis sur pied une équipe qui a une capacité à prendre des risques différents, avec un timing et des process de développement, des enjeux aussi, différents des autres studios. »

Car ce qui se dessine officiellement depuis ces dernières semaines, c’est l’avenir du jeu vidéo. « Aujourd’hui, quand on crée un jeu, on reste extrêmement concentré sur les limitations des appareils, consoles ou PC, sur l’optimisation des mémoires, alors qu’il existe d’autres technologies », explique Guillemette Picard. « On s’est dit “essayons d’embrasser par exemple le cloud nativement pour sortir de cette mutation et voyons ce que ça donne pour l’expérience joueur et pour l’expérience développeur” ». Ainsi est né Scalar.

Chez Ubisoft, on veut donc partir à la recherche de « quelque chose de radicalement différent et novateur ». Pour les développeurs et les créatifs tout d’abord, avec une plateforme technologique de micro-services et d’outils mis à disposition afin de profiter d’une puissance de calcul déportée dans des serveurs et donc dans le cloud. Cette plateforme est promise pour être modulaire et flexible, afin de proposer à la fois un environnement ultra collaboratif à distance entre les personnes impliquées, mais aussi pour permettre de continuer de développer un jeu, tester, mettre à jour et corriger en temps réel pendant que les joueurs jouent. Pas de temps mort grâce au cloud computing qui permettra d’imaginer des jeux monumentaux en termes de cartes de jeu comme en capacité multijoueur.

Vers des jeux plus ambitieux et complexes

Imaginez qu’un développeur puisse avoir la liberté de concevoir un monde ouvert pour Assassin’s Creed encore plus énorme que celui d’Odyssey ou de Valhalla, qu’encore plus de joueurs puissent dévaler les flancs de montagne ou les pistes désertiques de Riders Republic en multipliant les interactions sociales et les compétitions. Le tout sans que cela ne ralentisse la console ou le PC. Les développeurs en ont rêvé, Ubisoft va tenter de le proposer.

Le puissant moteur Snowdrop, que l’on attend notamment dans le jeu Avatar : Frontiers of Pandora cette année, fera parti des services proposés et l’on nous promet même que, grâce au cloud, ses capacités seront encore améliorées. « Virtuellement, la capacité de calcul est illimitée », martèle Guillemette Picard. « Vous pouvez vous en servir pour ce que vous voulez, des mondes beaucoup plus grands, des composantes particulières d’un jeu nécessitant des calculs très poussés, de l’IA, plus de joueurs en même temps, une modélisation de climat, etc. »

La force de Scalar est donc de repousser les limitations de la conception d’un jeu pour inventer de nouvelles expériences, donner de nouvelles idées. L’objectif est ainsi de créer des jeux plus ambitieux et plus complexes, qui ne pourront tourner qu’en cloud, mais de fait, sur de multiples supports (smartphone, tablette, PC, etc.). Mais Scalar ne sera pas un nouveau service de streaming des jeux Ubisoft.

Plus grand qu’Assassin’s Creed, plus social que Riders Republic

Si l’on ne veut pas nous dire de quel jeu il s’agit, Ubisoft reconnaît travailler déjà à de nouvelles licences qui ne reposeront alors uniquement sur le cloud, pour la création comme pour le jeu. Mais Scalar n’aura rien à voir avec du simple streaming de jeu vidéo à la Google Stadia, GeForce Now de Nvidia ou encore Xbox Cloud Gaming.

« Nous travaillons déjà avec ces acteurs-là, ainsi qu’avec Shadow, qui ont un savoir-faire en matière de streaming. Notre technologie de production de jeu nécessite d’être à proximité des développeurs pour mieux servir le jeu. On veut aussi de la proximité facilitée avec nos communautés, pour prendre les retours des joueurs, apporter rapidement des améliorations ou corrections en continu », ajoute Guillemette Picard. Nul doute que derrière les serveurs, on retrouvera des spécialistes, d’AWS à Microsoft Azure aussi.

Scalar promet donc une force de frappe ambitieuse pour bouleverser la façon de concevoir des jeux. Mais cela sera-t-il uniquement bénéfique aux jeux et aux joueurs ? Ubisoft espère l’utiliser pour créer des mondes encore plus vastes quand il est déjà si facile de perdre des heures.

Riders Republic et sa foultitude de joueurs avant Scalar // Source : Ubisoft

Le géant français envisagerait même de laisser ses joueurs profiter du jeu en cloud pour pouvoir modifier les environnements, ajouter des éléments, créer… mais avec quelles limites si plus rien ne peut les arrêter ? Avez-vous véritablement envie de vous retrouver dans les montagnes de Steep comme dans la vraie vie sur les pistes bondées en pleines vacances d’hiver, avec des messages qui pop de partout et des joueurs qui viennent vous alpaguer virtuellement sans arrêt ? Dans des mondes où vous ne trouvez plus votre chemin ?

« Il faudra qu’on prévoie des garde-fous », admet la patronne de l’innovation. « Tout cela va poser de nouvelles questions de gameplay et de game design. Donner accès à autant de puissance est un vrai challenge excitant que l’on veut offrir aux joueurs et développeurs. Mais il faudra être attentif à ne pas en perdre le contrôle ».

Un premier jeu en cloud déjà en préparation

Le département Production Technology regroupe désormais plus de 600 ingénieurs qui ont entre leurs mains et leurs idées les destinées de bon nombre de futurs blockbusters maison. Et l’on ne parle pas seulement de moteur de jeu maison comme Snowdrop ou AnvilNext (Assassin’s Creed), mais aussi d’unité comme La Forge, une équipe répartie dans plusieurs studios à travers le monde et qui conçoit du prototypage rapide pour des jeux. Un modèle rapide qui pourra profiter ensuite tout aussi rapidement de la puissance du cloud pour œuvrer à l’envi dans des jeux d’ampleur sans barrière : le jeu vidéo de demain s’annonce gargantuesque.

Et de penser forcément au mystérieux Beyond Good & Evil 2, le soap opera intergalactique initié par Michel Ancel et Ubisoft Montpellier, dévoilé il y a déjà cinq ans sans que l’on entrevoit alors quelle machine pourrait répondre à sa démesure annoncée. Avec son monde procédural et son univers qu’on nous promet de traverser sans téléchargement pour aller d’une planète à une autre, il y a de l’ambition technologique à revendre et de la puissance à trouver. « Avec Scalar, on peut aller au-delà du procédural grâce aux outils proposés par la plateforme », prédit Guillemette Picard.

Et en cela, Beyond Good & Evil 2 cocherait toutes les cases promises par Scalar : un monde vaste, plus social et interactif, avec un soupçon d’IA savamment dosé pour orchestrer le tout et une expérience qui se veut à la fois individuelle et puissante. Le cocktail explosif que veut réaliser Ubisoft avec ses prochains titres. Et surtout une ambition plus que jamais sans limites. Espérons que vous avez encore plus d’heures devant vous pour venir à bout de ces futurs jeux dont même le ciel ne sera même plus la limite…


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