« La voiture est devenue dangereuse » : quand les constructeurs de voitures électriques font faillite

 
Avec l’avènement de la voiture électrique, nous avons vu émerger de nombreuses start-ups, pas toujours très solides financièrement parlant. Pour les rares qui ont réussi à industrialiser leurs produits, ils faut encore pérenniser l’activité, et ce n’est pas une mince affaire. Les faillites des start-ups dans l’électrique s’accumulent ces derniers mois, mais que reste-t-il aux clients après ça ?

Quel est le point commun entre HiPhi, Fisker, Byton ou encore Sono Motors ? Ces quatre constructeurs ont tous déclaré faillite ces derniers mois, et l’hémorragie n’est pas forcément terminée. Plusieurs rumeurs ont notamment fait état de difficultés chez le constructeur chinois Nio, vite balayées par la marque, mais dans un contexte économique difficile, seules les constructeurs les plus solides (autrement dit avec un grand groupe derrière, à l’exception de Tesla qui est à l’abri désormais) devraient traverser ces turbulences.

Toujours est-il que ces dernières années, nous en avons vu passer de nouvelles marques de voitures électriques. Quand certaines ont disparu aussi vite qu’elles sont apparues en laissant leurs projets au statut « d’œuvre virtuelle », d’autres ont réussi à passer le cap très compliqué de l’industrialisation, non sans avoir dépensé beaucoup d’argent.

Et c’est justement après le cap de l’industrialisation (voire juste avant pour les plus malchanceux) que les ennuis commencent. Les voitures sont souvent trop chères, bénéficient d’une image de marque totalement inexistante et, pour certaines, ne sont pas sans défauts.

Quand on ne vend pas, on ne fait donc pas rentrer d’argent, et dans le petit monde de l’automobile, tout va très vite. Et pour les malheureux clients à qui on a promis la lune en achetant une voiture d’un constructeur inconnu qui vient de se lancer, ils peuvent évidemment se poser la question de l’après quand la marque en question met la clé sous la porte. Surtout que les voitures en question sont souvent bardées de technologies et ont été vendues avec la promesse de mises à jour régulières.

Des voitures connectées c’est bien, des voitures qui le reste, c’est encore mieux !

En France, nous avons récemment eu l’exemple de Fisker. Loin d’être inconnue au bataillon, la marque américaine a été déclarée en faillite, et les clients qui ont acheté les premiers Ocean au prix fort, c’est-à-dire au-dessus de 60 000 euros, et qui se sont retrouvés bradés quelques semaines après, il y a de quoi l’avoir mauvaise. Puis tout ça, c’est sans compter la décote naturelle et forcée du véhicule en occasion, et les mises à jour logicielles qui n’auront peut-être jamais lieu.

En Europe, il y a trop peu d’exemples en la matière, mais en Chine, ils sont beaucoup plus nombreux, et les problèmes rencontrés par certains clients ne devraient pas encourager à faire confiance tout de suite à une nouvelle marque. Précisons que quand nous parlons de « nouvelle marque », nous parlons de start-ups récemment créées (qui ont souvent moins de 10 ans), mais en aucun cas de nouveaux constructeurs qui s’implantent sur un nouveau marché, comme BYD par exemple, peu connu en France, mais leader incontestable en Chine et aux finances bien solides.

Certains clients chinois, qui raffolent de voitures connectées, ont eu la mauvaise surprise de retrouver un beau matin leur voiture « hors ligne » suite à la faillite du constructeur en question. Si, pour les anciennes voitures, le problème était celui des pièces détachées, pour nos voitures contemporaines, en plus des pièces détachées, il y a aussi un problème de logiciel.

C’est ce qu’a expérimenté un certain Richard Qian, qui ne savait pas à quoi s’attendre lorsqu’il a appris que WM Motor, un constructeur de véhicules électriques basé à Shanghai et réputé pour ses prix bas, avait déposé son bilan en octobre 2023. C’est malheureux, mais dans les faits, il avait déjà sa voiture et ça n’allait pas forcément bouleverser son quotidien.

Mais quand il a essayé de conduire son SUV compact EX5 comme il le faisait auparavant, il a découvert qu’il ne pouvait plus se connecter à l’application smartphone de WM Motor, une application qui lui permettait de contrôler à distance le verrouillage et la climatisation de son auto. Il ne pouvait pas non plus voir le kilométrage et l’état de charge sur le tableau de bord. Pour l’application, passons, pour les informations sur le tableau de bord, voilà qui devient problématique.

Richard Qian n’était pas le seul dans la panade. D’autres propriétaires de WM Motor ont signalé que l’application pour smartphone était inutilisable et que l’autoradio intégré, qui nécessitait une connexion Internet, avait cessé de fonctionner. Plusieurs propriétaires de WM Motor ont déposé des plaintes sur 12365auto, un site chinois d’évaluation de véhicules. Voici ce qu’on peut y lire : « Le système de la voiture est paralysé et je ne peux pas me connecter. L’ensemble du système de divertissement est inutilisable et l’état du véhicule ne peut pas être vérifié », a écrit un propriétaire. « La voiture est devenue dangereuse pour ma sécurité ! », indique un autre client.

Dans leur malheur, ils ont quand même eu un peu de chance, car WM Motor, bien qu’en faillite, n’est pas totalement mort. Le constructeur a invoqué une panne de serveur et les problèmes auraient été résolus selon la marque. Mais certains propriétaires ont toujours des difficultés à accéder aux fonctionnalités de base, comme l’infodivertissement. L’entreprise n’a d’ailleurs pas mis à jour son software depuis le dépôt de bilan, et l’application WM Motor n’est actuellement plus disponible sur les stores chinois.

Quid des pièces détachées et des mises à jour logicielles ?

Qui dit voiture connectée dit évidemment espace de stockage, et les constructeurs utilisent un système de cloud pour stocker les données. Mais sans argent, impossible de payer ce service et, de ce fait, les services connectés pourraient disparaître.

Comme énoncé plus haut, en Europe, les clients dans ce genre de situation sont plutôt rares. Mais en Chine, ils sont nombreux et ça en devient même inquiétant.

La guerre des prix et la suppression progressive des subventions gouvernementales ont laissé un certain nombre de constructeurs – estimés à plus de 100 – en difficulté. Depuis 2020, plus de 20 constructeurs de véhicules électriques en Chine, comme Singulato ou encore Aiways (bien connu chez nous), ont quitté le marché. Plus récemment, HiPhi, qui n’a vendu que 4 520 véhicules en 2022, a interrompu sa production en février en raison de difficultés financières. WM Motor, qui a pourtant vendu environ 100 000 véhicules entre 2019 et 2022 en Chine, s’est retrouvé insolvable également.

Entre les marques qui ont déposé le bilan et celles qui ont cessé leurs activités, environ 160 000 propriétaires sont dans l’embarras, selon l’Association des concessionnaires automobiles chinois.

Les propriétaires s’inquiètent aussi de l’accès aux pièces de rechange pour des réparations futures. Wang, un automobiliste qui a acheté un HiPhi X, a déclaré au média Rest of World qu’il était prêt à fouiller sur le marché de l’occasion pour trouver des pièces de rechange si sa voiture, qu’il a tout de même payé 570 000 yuans (soit environ 72 300 euros) avait besoin de réparations et que la marque ne pouvait plus lui en fournir. Et au vu des lignes de la voiture, il fait sans doute bien, car ce genre de pièces ne restera pas longtemps sur le marché au vu de leur complexité !

Mais personne ne peut garantir au moins un service après-vente après la faillite d’un constructeur ? La réglementation chinoise impose aux constructeurs de garantir l’approvisionnement en pièces détachées et le service après-vente pendant au moins 10 ans après l’arrêt de la production d’un modèle. Mais difficile lorsque l’entreprise a fait faillite.

Les véhicules électriques, en revanche, dépendent beaucoup plus de logiciels, qui ne sont pas explicitement couverts par la loi chinoise concernant le service après-vente. Des logiciels sont souvent utilisés pour des fonctionnalités telles que la recharge, l’accès à distance, ou encore l’ouverture de la voiture sans clé. Ils sont également souvent connectés à des services basés sur Internet qui dépendent des serveurs cloud du constructeur. Et comme énoncé plus haut, s’ils ne paient plus, le service disparaît.

Et en France ?

En France, c’est pareil, la loi oblige les constructeurs à proposer des pièces détachées de rechange pendant une durée de 10 ans. Le texte de référence est l’article L 110-4 du Code du Commerce. Sur ce, des modifications et des changements ont pu s’opérer pour des raisons de sécurité (défaillance prématurée des pièces), voire même pour des raisons de conformité aux législations. Dans cette hypothèse, le constructeur pourra s’exonérer de toute responsabilité quant au non suivi des pièces détachées.

Il y a eu une petite nouveauté récemment en revanche : après l’enregistrement de la conception d’une pièce de rechange visible (rétroviseurs, optiques ou carrosserie), les équipementiers pourront fabriquer et vendre ces pièces autos, au lieu d’attendre 25 ans, comme c’était le cas auparavant !

En effet, le 1er janvier 2023, le quasi-monopole des constructeurs a pris fin. En d’autres termes, l’achat de pièces automobiles visibles (ailes, capots, boucliers, pare-brise, feux, rétroviseurs) sera donc plus simple et moins cher, car il y aura plus de produits. L’ensemble des équipementiers, qu’ils soient de « première monte » (ayant fabriqué le vitrage pour les véhicules neufs) ou indépendants, pourront commercialiser les pièces de vitrage. Pour toutes les autres pièces détachées visibles (rétroviseurs, optique et carrosserie), les équipementiers pourront produire et commercialiser ces pièces à l’issue d’une période de 10 ans à compter de l’enregistrement du dessin ou du modèle de la pièce, contre 25 ans jusqu’ici. En revanche, comme en Chine, la législation française reste très opaque concernant la partie logicielle.

Vers la fin des start-ups de voitures électriques ?

Pour en revenir à nos voitures connectées, nous avons déjà eu un petit exemple de problèmes de connexion et ce que cela pouvait engendrer.

Par exemple, en 2021, des propriétaires de Tesla qui n’avaient pas leurs clés physiques sur eux se sont retrouvés bloqués hors de leur véhicule lorsque l’application pour smartphone est tombée en panne. En juin, après la faillite de Fisker, les conducteurs se sont retrouvés dans l’impossibilité de verrouiller leur véhicule ou d’allumer la climatisation. Pas très pratique pour l’été.

D’une manière générale, d’après plusieurs analystes, les clients chinois semblent s’éloigner des jeunes start-ups de voitures électriques.

Selon les derniers chiffres de vente, les clients chinois s’en tiennent aux marques plus établies telles que BYD, Tesla ou encore GAC Motor. Sur les 20 modèles électriques les plus vendus en Chine au premier semestre 2024, un seul provient d’une start-up, à savoir la Li L6 de Li Auto, tandis que près de la moitié provenait de chez BYD.

Difficile donc pour une nouvelle marque de se faire une place au soleil, et hormis Tesla, qui reste et restera sans doute encore pour longtemps l’exception qui confirme la règle, un jeune constructeur automobile ne pourra pas se passer d’un grand groupe pour sa mise en orbite. D’une part pour réduire les coûts, d’autre part pour mieux maîtriser tout l’éco-système automobile, l’un des plus complexe de l’industrie aujourd’hui, et surtout l’un des plus réglementé.


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