Pourquoi les prix de l’électricité sont « négatifs » à certains moments de la journée en France

 
Avez-vous déjà entendu parler de l’électricité à prix négatif ? C’est un phénomène de plus en plus récurrent, mais qui ne concerne cependant pas directement les particuliers. On vous explique ce que c’est.
panneaux solaires photovoltaiques
Photo de American Public Power Association sur Unsplash

Après avoir été produite par les centrales électriques, l’électricité est vendue à nos fournisseurs d’énergie ainsi qu’aux grands consommateurs industriels sur le marché de gros. Sur cette plateforme, seuls d’importants volumes d’énergie sont négociés entre producteurs, fournisseurs et gros consommateurs. Les prix y fluctuent constamment.

Les variations peuvent être influencées par de nombreux facteurs tels que le coût des combustibles fossiles, les conditions météorologiques, ou encore l’équilibre entre l’offre et la demande.

Ainsi, à certains moments de la journée, ces prix peuvent être proches de zéro, et parfois, ils peuvent même devenir négatifs. Mais pourquoi l’électricité peut-elle parfois être vendue à des prix négatifs ?

Attention, cela n’est pas le cas des particuliers, qui ne peuvent pas bénéficier de ces prix de marché. Même si, dans certains pays européens, les tarifs dynamique (qui change dans la journée, parfois toutes les heures), permet de bénéficier de tarifs parfois plus faibles (mais aussi plus élevés dans certains cas).

Que signifie un prix négatif de l’électricité ?

Pour des raisons purement techniques, le réseau électrique doit en permanence rester en équilibre : la production doit correspondre exactement à la consommation. Or, à certaines heures de faible demande, une surproduction d’électricité peut survenir. À ces moments, les producteurs sont contraints d’écouler ce surplus, quitte à le céder gratuitement, voire à payer pour qu’il soit consommé. C’est ce qu’on appelle des prix négatifs : les producteurs payent pour injecter leur électricité excédentaire sur le réseau.

En effet, plutôt que d’arrêter la production, bon nombre d’entre eux préfèrent payer et continuer de produire, car le processus d’arrêt-redémarrage de certaines technologies peut s’avérer encore plus coûteux.

À combien, ces prix négatifs ?

Le prix plancher de l’électricité est fixé à -500 dollars par mégawattheure (MWh). Pour l’année 2024, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) a précisé que les prix négatifs ont globalement varié entre -1 à -30 $/MWh en moyenne. Cependant, à l’échelle des pays, les variations ont été plus importantes.

En suisse, par exemple, le prix était descendu à -400 $/MWh en juillet. Quoi qu’il en soit, selon l’AIE, les coûts ont généralement été « modérés ». « Même si les prix négatifs deviennent plus courants, comparés aux prix de gros moyens de l’électricité, ils sont généralement restés dans une fourchette modérée », écrit l’Agence dans un rapport.

En France en particulier, les prix négatifs sont restés relativement proches de zéro au cours de l’année passée. Le pays a enregistré 359 heures à prix négatifs, soit environ 4 % des heures de production — une part qui a presque doublé par rapport à 2023. D’après une analyse de la Commission de régulation de l’énergie (CRE), ces épisodes sont principalement survenus l’après-midi et les week-ends (durant la période de janvier 2023 à juin 2024).

Evolution des prix hebdomadaires en France de 2022 à 2024. // Source : EPEX

Ailleurs, le phénomène est plus récurrent qu’en France. Dans le sud de l’Australie, par exemple, pendant 25 % des heures de production, les prix ont été négatifs. En Finlande, cette part a été de 8 %.

Un phénomène amplifié par l’essor des renouvelables

Les prix négatifs ont toujours existé, mais l’essor des énergies renouvelables dans le monde a fortement impacté leur fréquence. Pour cause : l’intermittence des sources vertes (solaire et éolienne). En effet, leurs pics de production ne coïncident pas toujours forcément avec les pics de demande. Le solaire, par exemple, bat son plein durant l’après-midi, moment de la journée où la demande est relativement faible. La consommation atteint plutôt ses pics le matin et le soir. Résultat : une surabondance de l’offre sur le marché.

Ce phénomène reflète le manque de solutions de stockage dans le système électrique. Si l’on pouvait stocker efficacement l’électricité produite en excès, il serait possible de la restituer au moment opportun. Mais l’électricité se stocke difficilement à grande échelle, et c’est d’ailleurs l’un des défis majeurs de la transition énergétique.

Pourquoi certaines centrales ne veulent-elles pas s’arrêter durant les périodes de prix négatifs ?

Les prix négatifs peuvent être perçus comme un signal envoyé par le marché pour diminuer la production. Certaines centrales répondent ainsi à cet appel. C’est notamment le cas des installations bénéficiant du dispositif d’aide appelé « complément de rémunération ». Ce mécanisme incite les producteurs à suspendre leurs activités durant les périodes de prix négatifs. En contrepartie, ils reçoivent une compensation financière (au-delà d’un certain nombre d’heures par an).

Nombre d’heures à prix négatifs depuis 2018 et pourcentage d’heures de la période lors desquelles les prix ont été négatifs. // Source : CRE

Mais toutes les centrales ne s’adaptent pas aussi facilement. Ce qui pose problème, ce sont celles qui continuent de produire malgré une offre excédentaire. Il s’agit, d’une part, des systèmes difficiles (et coûteux) à arrêter, comme les centrales à gaz.

t d’autre part, il y a surtout les renouvelables sous contrat d’obligation d’achat (OA), des systèmes dont l’arrêt ne prend pourtant que quelques minutes. Ces producteurs sont insensibles aux fluctuations des prix et poursuivent ainsi leurs activités, car leur tarif est garanti pendant 20 ans. « Les producteurs sous obligation d’achat sont insensibles aux prix de marché et produisent à tout prix alors que leur coût d’arrêt est en général nul ou très faible », explique la CRE.

Ce système d’OA constitue ainsi un véritable problème favorisant les prix négatifs. « C’est complètement idiot », qualifie d’ailleurs Jacques Percebois, directeur du Centre de Recherche en Économie et Droit de l’Énergie, dans une interview accordée au média Connaissance des énergies. Pourtant, selon la CRE, si ces centrales sous OA étaient arrêtées pendant les heures à prix négatifs au cours du premier semestre 2024, les économies réalisées auraient atteint 15 millions d’euros.

Comment réduire les périodes de prix négatifs ?

Pour limiter la fréquence des prix négatifs, plusieurs pistes sont envisagées par les acteurs du secteur.

Améliorer le mode de consommation

Il est clair que l’intégration massive des énergies renouvelables impose une adaptation des modes de consommation afin d’aligner au mieux la demande et l’offre. « Quand la production est importante, on baisse les prix pour favoriser la consommation des particuliers et de l’industrie », recommande Jacques Percebois.

D’ailleurs, dans cette logique, cette année, les fameuses heures creuses de l’option tarifaire heures creuses / heures pleines (HP/HC) vont être déplacées à des heures où l’électricité est abondante (où les prix sont parfois négatifs). Les plages horaires « creuses » auparavant situées durant la nuit migreront vers l’après-midi, entre 11 h et 17 h — un créneau où l’électricité est peu chère, en particulier durant l’été. Ces changements commenceront d’ici novembre 2024, et devraient assurer un meilleur lissage des pics de consommation des particuliers.

Source : RTE

Toujours dans l’amélioration de la consommation, l’électrification des usages reste aussi un levier stratégique pour mieux absorber le surplus. À savoir qu’en France, la progression en termes d’électrification reste encore inférieure aux attentes, en particulier dans le secteur des transports, où le rythme a été plus lent que prévu.

Modifier les contrats d’obligation d’achat

L’une des principales recommandations émises par la Commission de régulation de l’énergie (CRE), soutenue par de nombreux experts, porte sur l’obligation d’achat. La CRE propose de modifier les contrats existants afin que les producteurs arrêtent temporairement leur production pendant les heures où les prix sont négatifs.

Les installations concernées seraient alors indemnisées en fonction de la production théoriquement perdue. « Le producteur ne serait pas pénalisé, car il percevrait une compensation financière équivalente au tarif d’achat multiplié par une estimation normative de la baisse de production engendrée par ces arrêts », précise la CRE dans son document. Les modifications s’appliqueraient en priorité à des parcs éoliens en mer, puis aux centrales terrestres, dont nombreux arriveront au terme de leur contrat d’ici 2031.

Augmenter les moyens de stockage

Le développement de systèmes de stockage est aussi indispensable pour réduire les prix négatifs. La technologie appelée STEP, ou « station de transfert d’énergie par pompage-turbinage » est l’une des plus abouties en la matière. Ce type d’installation utilise deux grands réservoirs d’eau. En période de surplus de production, l’électricité excédentaire sert pour pomper l’eau vers le bassin supérieur, et lorsque la demande augmente, cette eau est relâchée par gravité pour produire de l’électricité via des turbines. Un tel système, malgré sa maturité et son efficacité, ne peut cependant être développé au gré des besoins en raison des limites géographiques.

Les batteries, pour leur part, sont des solutions de plus en plus adoptées, mais elles restent limitées en termes de coût, de capacité, ou encore de durabilité.

Faute de capacités de stockage suffisantes, certains experts recommandent, en attendant, de revoir le rythme de développement des énergies renouvelables afin de mieux l’adapter aux capacités du réseau et aux évolutions de la consommation.


Rendez-vous un mercredi sur deux sur Twitch, de 18h à 20h, pour suivre en direct l’émission SURVOLTÉS produite par Frandroid. Voiture électrique, vélo électrique, avis d’expert, jeux ou bien témoignages, il y en a pour tous les goûts !