Depuis la faillite et le rachat de VanMoof à l’été 2023, les choses ont beaucoup bougé. Frandroid a pu s’entretenir avec son nouveau co-PDG, Eliott Wertheimer, lors d’une interview exclusive. Au-delà de la future trottinette électrique VanMoof et du speedbike VanMoof V, plusieurs zones d’ombres subsistaient quant à la descente aux enfers de l’entreprise.
Eliott Wertheimer revient sur cette chute, et nous raconte également pourquoi McLaren Applied et sa filiale Lavoie ont repris la firme néerlandaise.
Frandroid : Elliot Wertheimer, le secteur vous connaît mal : qui êtes-vous et que faisiez-vous avant VanMoof ?
Eliott Wertheimer : « À la base, je suis ingénieur en aérospatiale, et en parallèle mon co-PDG Albert Nassar était en robotique, avec qui j’ai fait une grande partie de ma carrière. La recherche ne nous plaisait pas, et l’on a vu le potentiel de développement des batteries et de la fibre de carbone. Nous avons donc créé Furo Systems, pour lancer des vélos électriques, avec un petit budget.
Ensuite arrive le Brexit[en 2020], qui a cassé la chaîne d’approvisionnement et nous a poussés à nous retirer du marché européen. Nous avons alors rencontré McLaren Applied, qui avait un projet de trottinette électrique avancé, mais encore trop conceptuel. Le problème de l’adoption de la trottinette électrique n’est pas technologique, car les solutions sont là : c’est une histoire d’image.
Chez Lavoie et McLaren Applied, nous avons donc investi dans l’esthétique et des fonctionnalités complètement focalisées sur l’utilisateur, en enlevant des choses cool et flashy, qui n’ont pas de valeur ajoutée. Il y a très peu d’entreprises dans le monde de la micromobilité qui ont cette approche, et celle en particulier que l’on observait, c’était VanMoof. De notre côté, on voulait démarrer par une trottinette électrique et éventuellement aller vers le vélo électrique. »
Qu’est-ce qui vous a motivé à reprendre l’entreprise ?
E.W : « Quand VanMoof fait faillite, c’est un choc pour nous. Albert [Nassar] et moi-même, nous apprenons la nouvelle quelques semaines en avance, ce qui nous permet de préparer les fonds avec McLaren Applied afin de faire une approche. Par ailleurs, au départ, nous ne voulions pas racheter VanMoof, mais les aider, ou bien former un partenariat commercial.
On a ainsi sacrifié notre mois d’août 2023, très intense, où l’on a beaucoup appris dans un temps très réduit de trois semaines. C’est très court, car au moment de la signature, on se demande si on saute ou non (rires). »
« Premièrement, nous nous sommes rendu compte que la marque était plus populaire que l’on pensait. Malgré les problèmes de livraison, la communauté était très active. La pénétration de la marque VanMoof est forte, notamment en France. C’est extrêmement dur, car tout cela a demandé de lancer le vélo parfait au moment parfait dans un contexte sociétal parfait, avec des couleurs ou fonctionnalités, et tout cela se construit sur 10-15 ans[ndlr : VanMoof a été fondé en 2009].
La seconde chose qui nous a impressionnés, c’est la qualité, la sophistication technologique de l’entreprise, que ce soit l’électronique, la mécanique, le design et surtout l’infrastructure derrière qui permet de faire fonctionner tout cela. VanMoof avait 3 à 4 ans d’avance sur le marché. Par exemple, le S5 a été lancé avec des capteurs de qualité d’air et d’autres choses qui n’ont pas été utilisés. »
Selon vous, quelles ont été les erreurs ou causes de la faillite de VanMoof ?
E.W : « L’aspect négatif, c’est que l’on pensait ne pas comprendre ce qui s’est passé. Mais c’était en fait relativement simple. D’une part, les marges étaient trop faibles. Les VanMoof S3 et X3 étaient vendus 2 000 euros, puis 2 500 euros à la fin. Pour avoir un minimum de marge, en incluant le revendeur, il aurait fallu qu’il soit au prix de notre S5 aujourd’hui [ndlr : soit 3 500 euros].
Ce sont des produits novateurs, avec un moteur et des technologies propres. Du coup, les rivaux comme Cowboy et Angell dans une moindre mesure n’avaient pas d’autre choix que de suivre, tirant l’industrie vers le bas [ndlr : cela expliquerait pourquoi un Cowboy 3 valait 2 290 euros à ses débuts, le Cowboy Classic 2790 euros puis 3 290 euros aujourd’hui]. »
« Le second problème, c’était la fiabilité. Elle n’était pas catastrophique, mais en dessous du niveau de l’industrie : beaucoup de modèles n’ont pas eu de problème, certains trop. Les S3/X3 étaient la bête noire de VanMoof, en particulier 7 à 8 composants spécifiques. Certains étaient faciles à changer comme l’e-shifter, d’autres demandaient quatre heures de travail, tout cela sans partenaire extérieur, car tout était géré à 100 % en interne.
Tout ceci a créé un trou noir financier, ce qui peut fonctionner tant que les investisseurs sont là. Mais quand ça saute, tout le modèle économique périclite. VanMoof avait vu venir cela plus de 6 mois en avance, et leur réponse a été le S5 ainsi que les partenaires certifiés. Cependant, le paquebot était trop gros pour virer à temps. Il aurait fallu démarrer au moins 2 ans avant, soit en 2021, après le lancement du S3. »
Justement, concernant le S3, une nouvelle version S4 était annoncée en mai 2023. Déjà une réponse à ces problèmes avant la faillite ?
E.W : « C’est exactement ça. Le S5 était tellement sophistiqué qu’il a été lancé trop tôt, afin d’aller sur le marché le plus vite possible avec ses solutions. Les S4 et X4 étaient une solution finale aux problèmes d’avant.
Nous avons ainsi compris où était le souci, et malheureusement la faillite était le seul mécanisme possible pour résoudre le modèle économique. Malheureusement, cela a laissé des personnes sur le carreau, des gens qui n’ont pas eu leur vélo, ou perdu leur garantie, sans oublier les fournisseurs, mais cela devait arriver.
La faillite était nécessaire pour le redémarrage du groupe, car nous croyons en la marque et au produit, et nous ne pouvions pas laisser cela mourir. Cela aurait été dommage : on parle de 300 millions d’euros au total. Cela va prendre beaucoup de temps, d’argent et d’énergie. L’année 2024 n’a pas d’objectif de volume de vente, nous voulons convaincre les gens que VanMoof revient bien, via des revendeurs et en ligne, un réseau de réparateurs à moins de 30 min de chez soi d’ici quelques mois, des produits ultra fiables et facilement repérables.
Nous allons maintenir la magie, car nous avons l’équipe pour le faire avec McLaren Applied, nous avons gardé les ingénieurs de génie et des designers industriels. De quoi donc relancer VanMoof comme ce qu’elle aurait pu et dû être. »
Un quatrième article issu de l’interview sera prochainement disponible. Nous y détaillerons comment la nouvelle direction a restructuré l’entreprise, sa nouvelle philosophie, agrémenté d’un petit teasing sur l’avenir de VanMoof.
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