J’ai découvert la culture vélo japonaise pendant 3 semaines et j’ai été fasciné par cet univers

 
Le Japon est un pays qui fascine les Européens. Entre des traditions centenaires, un calme monacal dans les transports et des quartiers effervescents où le divertissement est roi, le dépaysement est total. Quand on s’intéresse aux modes de déplacement dans la capitale Tokyo, on se rend vite compte que le vélo occupe une place importante : à la fois mode de transport, objet de customisation et vecteur de pari. On vous raconte notre expérience du vélo à Tokyo !
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Source : Sergio _snaps via Unsplash

L’auteur de cet article a visité le Japon plusieurs semaines durant, début 2025. L’occasion de découvrir leur culture du cycle et d’apporter un regard personnel sur la pratique du vélo au Pays du Soleil Levant. Vélos électriques, règles de circulation, stationnement, tuning et la découverte de la discipline du keirin. Récit d’un périple pas comme les autres.

Des vélos électriques mais différents

En Europe, la plupart de nos vélos électriques intègrent une batterie dans le cadre et un moteur dans le pédalier ou le moyeu arrière. Ce n’est pas le cas au Japon : les Nippons ont conservé leurs vélos traditionnels avec des cadres en acier aux tubes fins. Il n’y a donc pas de place pour intégrer le moteur et le pédalier dans le cadre. À la place, le moteur électrique, qui offre une assistance légère, est installé entre le boîtier de pédalier et la roue. Durant mon voyage, j’ai vu de nombreux Japonais utiliser ces vélos, équipés de moteurs souvent issus de la marque japonaise Panasonic.

Autre particularité : la plupart des Japonais, une immense majorité même, roulent sur des vélos avec un cadre ouvert. Ces vélos présentent l’avantage d’être faciles à enjamber, quelle que soit la tenue. Et lorsqu’il s’agit de porter d’un costume du célèbre salaryman japonais, pouvoir enfourcher son vélo facilement prend tout son sens.

Des règles de circulation assez différentes

Ça n’aura échappé à personne : les Japonais roulent à gauche. Les vélos doivent donc longer le bord droit de la chaussée lorsqu’il y a une piste cyclable.

Mais en l’absence de piste cyclable, les cyclistes sont autorisés à circuler sur les trottoirs, toujours en gardant leur gauche. Une pratique déroutante pour nous, Français, où rouler à vélo sur un trottoir est strictement interdit. On a donc vite tendance à pester contre ces cyclistes qui occupent l’espace réservé aux piétons… mais on ne le fait pas, car le Japon est le pays du respect et du calme. On se rappelle aussi qu’en tant que touristes, nous sommes mal placés pour râler : en tant qu’Européen, nous mangeons, buvons et parlons fort dans la rue, ce qui est très mal vu au Japon.

Toujours dans le but de préserver le calme, les Japonais n’utilisent jamais leur sonnette. Résultat : vous êtes souvent surpris d’avoir un vélo derrière vous sur le trottoir, tentant de vous dépasser en silence.

Le stationnement des vélos est très réglementé

Hors de question de laisser traîner son vélo sur un trottoir au Japon. La plupart des vélos sont garés dans des parkings spécialement prévus à proximité des gares de train et de métro. Le vélo est souvent un moyen de déplacement entre son domicile et la gare la plus proche, avant que le réseau ferroviaire très développé là-bas, et particulièrement à Tokyo, ne prenne le relais.

Il existe donc des parkings autour des gares pour stationner son vélo. À la gare de Ryogoku, à côté du Kokugikan, l’un des plus grands dojos de sumo du pays, un parking permet aux Japonais de garer leur vélo pour la journée (8h) moyennant 110 yens, soit environ 0,68 €.

À ce prix, le vélo est sécurisé dans un support spécialement pensé pour cela, et il est possible de payer avec sa carte Suica. Si vous n’êtes pas encore allé au Japon, sachez que la carte Suica sert principalement aux transports en commun, mais elle fait aussi office de moyen de paiement dans de nombreux commerces tels que des restaurants, des kombini et des magasins. Un peu déroutant au début : c’est comme si vous pouviez payer votre baguette avec votre Pass Navigo à Paris.

Tous les vélos ne sont cependant pas garés dans des parkings publics. Les résidences disposent souvent de parkings à vélo au premier niveau. La place étant comptée à Tokyo, il existe, comme pour les voitures, des parkings à étages spécialement conçus pour les vélos.

Parfois, on peut croiser des vélos dans la rue sans leur propriétaire, le plus souvent devant une supérette ou un commerce de proximité, le temps de faire quelques courses. Dans certains quartiers résidentiels, en périphérie de Tokyo, certains vélos sont simplement posés contre la maison de leur propriétaire. Le plus surprenant ? Ces vélos ne sont pas toujours protégés par un antivol. Là encore, c’est déconcertant pour nous, Français, car il ne nous viendrait pas à l’idée de nous arrêter faire des courses ou de laisser notre vélo dehors toute la nuit sans protection.

Le tuning existe aussi pour le vélo

Si vous vous intéressez un tant soit peu à l’automobile, vous savez que Tokyo est la capitale mondiale du tuning et de la préparation automobile. Le Japon regorge de voitures modifiées, et cette culture du tuning touche également le vélo, bien que cette scène reste encore underground.

Invité par Paul Declercq, un photographe de 28 ans vivant entre la France et le Japon, j’ai pu découvrir une communauté de cyclistes japonais roulant pour la plupart en fixie (vélo à pignon fixe).

Mais pourquoi rouler avec le même vélo que tout le monde quand on peut créer son propre montage ? Dans le magasin Path Backyard à Meguro, des cadres en acier des années 70 à 90 ont été coupés et ressoudés pour intégrer des freins à disque et des transmissions 12 vitesses. Notamment ce cadre bordeaux, monté façon gravel, qui m’a donné des idées pour un vieux cadre qui traîne chez mes parents.

Cette soirée chez Path Backyard a aussi été l’occasion de découvrir le clip The Planted Speed par Stream Bikes. Ces riders en fixie ont exploré Tokyo d’une manière impressionnante. On vous laisse découvrir la vidéo :

Le Keirin : authenticité garantie

Vous connaissez les arts martiaux comme sport emblématique du Japon, mais connaissez-vous le keirin ? Cette discipline, aujourd’hui olympique, est une spécialité japonaise. Lancée en 1948, elle met en scène six coureurs sur une course de 2,5 km, généralement disputée sur un vélodrome de 500 m.

Contrairement aux Jeux olympiques, où les premiers tours se font derrière un derny (vélo motorisé), au Japon, les cyclistes prennent place dans la roue d’un meneur qui dicte le rythme, accélérant progressivement jusqu’à environ 40 km/h. Lorsque ce meneur s’écarte, la meute est lancée pour un sprint final d’un kilomètre, soit deux tours de piste.

Et quand on parle de meute, ce n’est pas une exagération : les coureurs sont affamés, ça frotte, ça se bouscule à coups de casque, tout est bon pour trouver l’ouverture et franchir la ligne en premier. Une motivation d’autant plus grande que les gains sont conséquents.

En effet, le keirin brasse énormément d’argent : il s’agit de l’un des quatre sports autorisant les paris au Japon. Le keirin est en quelque sorte l’équivalent de notre tiercé en France. Les parieurs viennent miser sur les différentes courses de la journée. Lors de ma visite du vélodrome d’Omiya, une course avait lieu toutes les 20 minutes, laissant juste assez de temps pour analyser les cotes des cyclistes sur les journaux distribués à l’entrée de la salle des paris. Des machines automatiques permettent de placer ses mises, mais attention : la maîtrise du japonais est obligatoire.

Cet aspect lié aux jeux d’argent permet aux coureurs de keirin de gagner entre 100 000 et 4 millions d’euros pour les plus performants, ce qui en fait une véritable fabrique de champions. Des écoles de keirin forment chaque année la nouvelle génération : une centaine d’élèves tentent leur chance, mais seule une dizaine est retenue à l’issue d’une formation à la discipline militaire. Entraînements intensifs, encadrement strict, emploi du temps chargé, absence de contact avec l’extérieur… la fabrique des champions ne plaisante pas.

Autre particularité du keirin : les vélos utilisés par les hommes sont encore en acier, avec des roues du même matériau. Pour être homologués dans les compétitions officielles, les vélos doivent répondre aux normes Nihon Jitensha Shinkokai, inscrites sous le sigle NJS sur les cadres.

Une tradition qui contraste avec le circuit européen, où les vélos ressemblent davantage à des SR-71 Blackbird, ces machines entièrement en carbone conçues pour gagner le moindre centième de seconde sur le kilomètre. L’usage de l’acier pour les vélos de keirin donne des cadres à la rigidité moyenne, capable de se déformer sous la puissance colossale des pistards, comme en témoigne cette vidéo de François Pervis lors de l’un de ses stages au Japon.

Des Français se retrouvent régulièrement sur les pistes japonaises. La championne Mathilde Gros a effectué plusieurs périodes d’entraînement sur l’île, et le sélectionneur national de l’équipe du Japon n’est autre que Benoît Vêtu (voir vidéo), un ancien coureur professionnel.

En visitant le vélodrome d’Omiya lors de cette journée de compétition, j’ai été surpris de découvrir un univers très accessible. Entre la salle des paris et le vélodrome, de petits commerces proposent des ramens, des brochettes et d’autres spécialités authentiques.

Ce vendredi, le public était majoritairement composé de retraités. Voir un jeune dans les gradins se passionner pour le keirin a attisé la curiosité d’un Japonais qui m’a rejoint. En discutant un peu en anglais et surtout avec l’aide d’un traducteur, ce gentil monsieur m’a appris à parier. Nous avons parié ensemble, regardé la course ensemble et, malheureusement, perdu ensemble.


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