Pourquoi les locations de voitures électriques en Europe risquent de s’effondrer dans les mois à venir

 
Une voiture électrique neuve à moins de 300 euros par mois ? Ce n’est pas rare, et c’est même d’ailleurs plutôt courant, surtout en début 2024 avec le leasing social. Mais le souci, c’est que ce système est difficilement tenable et les captives à l’origine de ces financements commencent à revoir leurs tarifs.
Tesla Model Y, l’une des voitures électriques les plus louées

Chez Survolté, nous vous proposons régulièrement des décryptages d’offres de financement particulièrement avantageuses sur le papier. Depuis quelques années maintenant, nous avons observé, en France en tout cas, l’augmentation d’offre de financement à prix canons pour des voitures électriques.

Le début de l’année 2024 fut sans doute le point d’orgue à tout cela, puisqu’avec le leasing social, on a pu voir des mensualités vraiment imbattables, avec des voitures électriques neuves parfois à moins de 50 euros par mois !

Évidemment, pour arriver à de tels montants, ces offres sont bardées de subventions en tout genre, et même si elles sont amenées à diminuer avec le temps, force est de constater qu’encore cette année, nous n’avons jamais vu des offres de financements aussi avantageuses.

Il y a plusieurs raisons à cela, à commencer par le leasing social donc, mais aussi la baisse des prix des voitures électriques avec l’arrivée de modèle plus « accessibles », comme la Citroën ë-C3 à moins de 25 000 euros ou encore la Renault Twingo bradée pour ses derniers mois de vie.

En France, nous avons remarqué après le leasing social une hausse ces derniers mois des offres de financement. Le meilleur exemple, c’est la nouvelle R5 E-Tech, dont le premier loyer oscille entre 250 et 300 euros, avec un apport, mais aussi avec un bonus. Dans l’absolu, ce n’est pas une offre complètement hors-sol, mais par rapport à ce que nous avons pu voir ces dernières années, cette offre est clairement dans la fourchette haute.

Un équilibre difficile à trouver ?

Et en regardant d’une manière plus globale le marché, il semblerait que cette tendance ne soit pas prête de s’arrêter, bien au contraire, même si le leasing social en France, qui sera reconduit en 2025 (avec toujours un nombre limité de dossiers), viendra jouer les trouble-fête.

Mais pourquoi les loyers augmentent-ils encore alors que les prix sont encore largement subventionnés ? Le mécanisme est plutôt simple : la faible valeur de revente des voitures électriques a poussé les captives (les entreprises qui gèrent les offrent de financement, ndlr) qui dirigent le marché automobile européen à doubler leurs prix au cours des trois dernières années. Certaines menacent même de quitter complètement le secteur si les régulateurs les obligent à passer trop vite à l’électrique.

Mais que se passe-t-il pour en arriver là ? La hausse des prix des mensualités intervient alors que les réductions des subventions pour les véhicules électriques sur des marchés clés comme l’Allemagne affectent les ventes et risquent de retarder la transition électrique en Europe, au moment même où Bruxelles souhaite accroître l’adoption de ce type de véhicules.

« Si on nous poussait très, très fort à vouloir tout électrifier trop tôt… mes actionnaires diraient ‘nous ne voulons pas prendre de risque’ et nous serions hors du marché », a déclaré Tim Albertsen, PDG d’Ayvens, l’une des plus grandes sociétés de leasing automobile d’Europe. « Soyons honnêtes, sans nous, qui prendra le risque ? »

Ayvens, détenue majoritairement par la banque française Société Générale, possède une flotte de 3,4 millions de véhicules en leasing, dont environ 10 % sont des véhicules électriques.

Les captives jouent un rôle central en Europe puisque 60 % des voitures neuves, tout type de carburant confondu, sont louées, selon les données de l’organisme Transport & Environment et basés sur les chiffres du cabinet d’analyse Dataforce. En ce qui concerne les véhicules électriques, la proportion est même estimée à 80 %.

Selon les données fournies à Reuters par Dataforce, sur les 16 marchés européens où l’entreprise peut identifier les immatriculations de flottes – dont l’Allemagne, la Grande-Bretagne, la France et l’Espagne – 60 % des nouveaux véhicules électriques sont destinés à des flottes d’entreprise.

Le marché est alors dominé par les entreprises, et ces mêmes entreprises ne font que louer ces voitures électriques et ne les achètent pas directement. Du côté des particuliers, 50 % des voitures électriques achetées sont en fait louées par des LLD ou LOA.

Sur les marchés où les particuliers ne bénéficient pas de subventions, la part des entreprises est encore plus prononcée. En Grande-Bretagne et en Belgique, par exemple, les particuliers ne représentaient respectivement que 23 % et 8 % des nouveaux achats de véhicules électriques en 2023, selon les chiffres de Dataforce.

Un marché totalement déréglé et imprévisible ?

Le montant d’une mensualité est conçu pour tenir compte de la dépréciation d’un véhicule au cours de la période de location (en règle général sur trois, quatre ou cinq ans), en fonction des prix de revente estimés ou des valeurs résiduelles.

Mais si les prix des véhicules d’occasion s’avèrent inférieurs aux prévisions à la fin du contrat de location, les sociétés de leasing subissent une perte financière lorsqu’elles récupèrent le véhicule, puisqu’il sera revendu en occasion à un prix inférieur à sa valeur résiduelle.

Pour diverses raisons, comme la baisse des prix de Tesla en passant par les inquiétudes concernant l’infrastructure de recharge, la durée de vie des batteries ou encore l’afflux de véhicules électriques chinois plus abordables, les prix des voitures électriques d’occasion sont en baisse en Europe depuis qu’ils ont atteint un pic en octobre 2022.

« Les clients acceptent de plus en plus les véhicules électriques d’occasion, mais ils doivent être bon marché », explique Gary Cambridge, associé chez Cambridge Motors, concessionnaire de voitures d’occasion à Londres. « Si les véhicules sont chers, les gens n’en veulent pas. »

En France, les sons de cloche sont un peu différents, puisque le marché continue de croître, mais essentiellement parce qu’il est encore ultra-subventionné par rapport à nos voisins européens.

Les entreprises, en première ligne, donnent de mauvais signaux

Les captives refusent pour le moment de donner des détails précis sur les pertes éventuelles pour les contrats de véhicules électriques dues à la chute des valeurs résiduelles. Toutefois, des signes d’une crise qui s’annonce sont apparus quand on lit à travers les lignes les déclarations de certaines entreprises de location de voiture.

Hertz a fait état de dépréciations d’environ 150 millions de dollars pour les quelque 20 000 véhicules électriques qu’il a vendus à des prix considérablement réduits, tandis que Sixt a déclaré que la baisse des valeurs résiduelles des véhicules électriques avait réduit ses bénéfices de 40 millions d’euros en 2023.

Bart Beckers, le directeur général adjoint d’Arval, la captive détenue par la banque française BNP Paribas, a déclaré que les pertes liées aux faibles valeurs de revente des véhicules électriques étaient actuellement limitées étant donné que les véhicules électriques ne représentent qu’une petite partie de leur portefeuille global.

« Mais les montants ne sont pas négligeables », a-t-il déclaré à Reuters. « Comme d’autres leaders du marché (…), Arval a déjà été contraint d’augmenter ses prix en raison de la baisse des valeurs résiduelles ».

Comme pour Ayvens, les véhicules électriques ne représentent qu’environ 10 % de la flotte d’Arval, qui compte 1,7 million de véhicules.

Fini les leasing à prix canon ?

« Certains constructeurs automobiles ont versé des compensations aux captives pour compenser la baisse de la valeur des véhicules électriques », affirment plusieurs dirigeants du secteur, comme Tesla par exemple, qui aurait été plutôt généreux avec certains loueurs et certaines captives afin d’atténuer leurs pertes. Toutefois, les entreprises de financement doivent assumer le risque lié à la valeur de revente des véhicules électriques, ce qui explique notamment la récente hausse des prix.

Pour le moment, elles restent assez évasives quant aux augmentations prévues, et même si, en France, on observe une hausse contenue des mensualités, ailleurs, notamment en Allemagne, le plus grand marché automobile d’Europe, les prix ont bondi.

Par exemple, selon un cabinet d’analyse financier, en août 2021, la location d’un véhicule électrique à 45 000 euros coûtait 284 euros par mois, soit bien moins que les 473 euros d’un modèle équivalent thermique à l’époque. La raison ? L’énorme apport dissout par le bonus écologique, ce qui faisait baisser considérablement les mensualités. Aujourd’hui, les loyers de ce même véhicule électrique a plus que doublé pour atteindre 621 euros, tandis que celui du véhicule thermique est tombé à 468 euros.

Rappelons d’ailleurs que les ventes de véhicules électriques en Allemagne ont chuté de 16 % au premier semestre 2024 pour les raisons que nous avons exposées plus haut. Dans le même temps, la part des ventes de voitures 100 % électriques dans l’UE était à 14,6 % en 2023, contre 6,1 % en 2020, mais ce chiffre a chuté à 14,4 % au premier semestre 2024.

Des cycles financiers plus longs pour compenser la dépréciation ?

Pour compenser ces pertes, les captives louent désormais leurs véhicules électriques plus longtemps que des voitures thermiques afin de réduire les risques à la revente. Une captive comme Ayvens commence ainsi à louer des véhicules électriques sur deux cycles et à les conserver plus longtemps dans son portefeuille, avec des prévisions jusqu’à huit ans pour certains modèles.

D’une manière générale, les établissements financiers s’attendent à une volatilité des prix des véhicules électriques au cours des cinq à dix prochaines années à mesure que le processus d’électrification s’intensifie.

Les captives se disent toutefois préoccupées par le fait qu’une consultation de la Commission européenne sur la manière d’accélérer l’adoption des véhicules électriques par les flottes d’entreprise pourrait aboutir à des objectifs obligatoires. Conséquence : cela augmenterait les risques de revente auxquels elles sont déjà confrontées.

« Plus la part des véhicules électriques dans leurs portefeuilles augmente, plus ce problème va être important », a déclaré Richard Knubben, directeur général de Leaseurope, un organisme de coordination basé à Bruxelles qui fait du lobbying au nom des groupes de leasing et de location de voitures.

La consultation publique ouverte de la Commission européenne sur le « verdissement des flottes d’entreprises », qui comprenait l’examen des mesures possibles pour accélérer l’adoption des véhicules électriques, s’est terminée le 8 juillet dernier.

L’association bruxelloise Transport & Environment (T&E) souhaite que la Commission impose aux grandes flottes d’entreprises et aux sociétés de leasing européennes de n’acheter que des voitures 100 % électriques d’ici 2030.

Stef Cornelis, le directeur du programme des flottes électriques de T&E, a affirmé que « forcer » les flottes à s’électrifier se traduirait par « davantage de voitures d’occasion pour les consommateurs et accélérerait la transition vers les véhicules électriques. »

Mais selon plusieurs observateurs, une obligation européenne pour les véhicules électriques des entreprises porterait un préjudice considérable aux captives et Bart Beckers de la société Arval, affirme qu’au minimum, « elle devrait encore augmenter les futurs tarifs de leasing. »

« En d’autres termes plus simples, les prix augmenteraient », a-t-il déclaré. « Cela découragerait les flottes d’entreprises de continuer à louer. »

Cela pourrait ainsi porter préjudice au marché de l’électrique d’occasion, un marché essentiel pour la transition énergétique qui s’amorce, surtout quand on sait que pour une voiture neuve vendue en France, il s’en vend quatre d’occasion. L’équilibre sera donc difficile à trouver, entre un marché de l’occasion qui a besoin de véhicules électriques moins chers et des voitures neuves dont les prix ne baissent pas forcément et où les subventions fondent comme neige au soleil.


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