Pourquoi les voitures électriques à moins de 25 000 € ne courent pas les rues : on vous explique

 
Peu rentables pour les constructeurs, les voitures électriques « pas chères » sont pourtant attendues de pied ferme par les clients et le législateur. Alors que nos constructeurs français mettent un pied et demi dedans, on préfère largement temporiser du côté des autres marques. Mais pourquoi ?
Source : Citroën

Comme n’importe quelle entreprise, un constructeur automobile existe avec comme seul but, non pas de fabriquer des voitures et de « permettre à ses clients de voyager librement », mais de gagner de l’argent.

Le nerf de la guerre des constructeurs, c’est l’argent, et rien que l’argent. La transition énergétique amorcée n’est un problème que pour celui qui pense gagner, demain, moins d’argent. Et c’est exactement dans ce sens qu’il faut prendre le principal problème de la voiture électrique actuellement : son prix.

Il n’y a pas si longtemps, moins de dix ans même, il était encore possible d’acheter un modèle neuf pour moins de 15 000 euros. Citroën C3, Renault Clio, Peugeot 208, Ford Fiesta… Certes, il ne s’agissait pas de modèles haut de gamme, mais elles en offraient pour leur argent.

Aujourd’hui, la voiture électrique la moins chère sur le marché français, hors subvention, c’est la Dacia Spring disponible à 18 900 euros, le tout avec un lot de compromis invraisemblable par rapport à ce que nous offrait une Citroën C3 il y a dix ans.

Alors oui, en l’espace de quelques années, il y a eu l’inflation, il y a eu les nouvelles normes en matière de dépollution et de sécurité, mais les technologies au sein de nos voitures modernes sont suffisamment éculées et rentabilisées pour ne pas faire exploser la note finale.

Prix cassés et prestations indigestes ?

Aujourd’hui, tout le monde rêve de la voiture électrique à moins de 25 000 euros. Le seul à proposer un produit de la sorte, c’est Citroën et sa ë-C3. Pour parvenir à tirer les coûts vers le bas, Citroën a dû aller piocher une plateforme pour véhicules destinés aux pays émergents, la Smart Car, et faire également une croix sur la polyvalence, avec environ 300 km d’autonomie en usage mixte réel, et sans doute beaucoup moins sur autoroute. Quant à la Dacia Spring, les compromis sont tels qu’elle ne peut pas être rangée dans la même catégorie.

Pendant ce temps, Renault va devoir trancher dans le vif pour proposer sa R5 E-Tech à moins de 25 000 euros. Et ça s’annonce bien triste par rapport aux sympathiques modèles et finitions présentées lors de sa révélation.

Puis en 2025 et en 2026, Citroën présentera une ë-C3 à moins de 20 000 euros avec 200 km d’autonomie, tandis que Renault présentera une Twingo électrique fabriquée avec un partenaire chinois et à l’autonomie à peine plus convaincante que la ë-C3.

Quoi qu’on en dise, et malgré la jeunesse de cette technologie qu’est la voiture électrique, le coût des batteries n’a cessé de diminuer ces dernières années. C’est d’ailleurs le cas en Chine depuis de nombreux mois, où les voitures électriques sont maintenant moins chères que leurs équivalences thermiques ! Les généreuses subventions accordées par le gouvernement chinois depuis des années et pointées du doigt par l’Europe et les États-Unis ne sont sûrement pas étrangères à une telle santé aujourd’hui, mais force est de constater que les prix des voitures électriques ont baissé ces dernières années.

En Europe, c’est un peu différent. On tend vers cet objectif (Renault annonce d’ailleurs une parité entre ses voitures électriques et thermiques en 2027), mais il y a encore beaucoup d’inertie, à commencer par l’incertitude du marché actuel, mais aussi l’argent. Une voiture électrique coûte encore plus chère à produire qu’une voiture thermique équivalente. Proposer un modèle électrique au même prix qu’un thermique équivalent ferait bien évidemment considérablement baisser les marges.

Aller chercher l’argent là où il est

En réalité, les constructeurs veulent bien proposer des voitures électriques accessibles, mais ils ne veulent pas que vous les achetiez. Et le cheminement est plutôt simple à comprendre, et globalement déjà appliquée sur certaines gammes de produits. Leur intérêt, c’est la conquête de clients qui finiront par acheter des produits plus chers et à marge plus élevée.

L’un des pires secrets de l’industrie automobile, c’est qu’à grande échelle, il ne coûte pas forcément beaucoup plus cher de fabriquer un modèle plus gros et plus onéreux qu’un véhicule plus petit et moins cher. Les constructeurs peuvent vous facturer beaucoup plus pour le premier, faisant ainsi grimper les marges et les profits. Vous voulez un exemple ? Par quoi ont commencé les constructeurs en proposant des voitures électriques ? De gros SUV ultra-luxueux et ultra-technologiques facturés à prix d’or pour noyer le coût de développement plus élevé d’un modèle électrique dans une myriade de prestations. Audi avec son e-tron en 2019, Mercedes avec l’EQC la même année, ou encore BMW avec le iX3 un an plus tard en sont les parfaits exemples.

À plus grande échelle, les petites voitures sont rarement très rentables. Autrement dit, Peugeot ne fait pas son beurre avec une 208 thermique moyenne gamme, mais plutôt avec un e-3008 tout neuf et bardé d’options. Autre exemple que nos constructeurs nationaux, Ford et ses Fiesta et Focus, les deux best-sellers de la marque en Europe et récemment stoppés pour d’évidentes raisons de coût. Ford ne peut pas proposer de Fiesta électrique avec 400 km d’autonomie à moins de 25 000 euros aujourd’hui, même avec des subventions.

De nombreux analystes pensent que n’importe quels constructeurs qui proposent une voiture électrique à moins de 25 000 euros aujourd’hui ne gagne pas d’argent. Mais pourquoi proposent-ils ce genre de produits s’ils ne sont pas assez rentables ? Il y aurait une raison qui ressortirait principalement, et c’est d’ailleurs la stratégie employée par Honda aux États-Unis depuis des décennies : vendre des voitures bon marché, parfois à perte, pour attirer une clientèle jeune qui leur restera fidèle. Toutefois, de nombreuses marques ont depuis bien longtemps abandonnées cette pratique.

Que ce soit chez Stellantis ou chez Volkswagen, ils ont avant tout besoin de vendre des voitures plus chères afin d’être rentables. Ils ne veulent pas vendre une Peugeot 208 à 20 000 euros, puis une 308 à 30 000 euros, ou encore une Polo à 22 000 euros et une Golf à 32 000 euros, mais ils préfèrent directement vendre un e-3008 bien équipé à plus de 50 000 euros ou un ID.4 au même prix plutôt que deux ou trois produits avant moins rentables.

Un marché biaisé par les réglementations et les subventions ?

Les contrats de financement bon marché actuels (et qui le sont de moins en moins) sont symptomatiques de cette situation. Ils ne sont en aucun cas une indication que les voitures électriques vont devenir moins chères à court terme. Même avec de généreuses subventions, la plupart des constructeurs vendent encore leurs véhicules électriques avec de très faibles marges s’ils tirent les prix vers le bas.

Évidemment, comme pour n’importe quelle technologie, cette faible rentabilité peut être réduite au fil du temps, à mesure que les constructeurs amortissent leurs investissements et, à plus grande échelle, réduisent le coût de leurs produits, mais cela ne suffira pas à faire baisser les prix de manière significative. Les offres de financement peu chères actuelles sont un symptôme d’une offre excédentaire, et c’est d’ailleurs pour cela que les captives ont tiré récemment la sonnette d’alarme.

Les constructeurs ne gagnent que quelques centimes par quelques centimes en optimisant leurs processus de fabrication, pas des milliers de dollars. Même s’ils parvenaient à faire baisser les prix, les constructeurs ne sont plus accros au volume, ils sont accros à la marge.

Vendre plus de voitures signifie plus de frais (notamment pour les campagnes de rappel, par exemple), plus de réclamations, plus d’entrées en garantie, plus d’infrastructures, plus de transport, plus de dépenses, etc. Autant d’éléments qui coûtent sensiblement le même prix, qu’il s’agisse d’un gros véhicule bien rentable qu’un petit qui l’est moins.

Pourquoi certains constructeurs pensent l’inverse ?

Mais tout le monde n’est pas forcément d’accord avec ces éléments avancés, notamment Jim Farley, le patron de chez Ford :

« Nous pensons que les véhicules plus petits et plus abordables sont la voie à suivre pour les véhicules électriques et les volumes », avait-il déclaré lors d’une conférence sur les résultats du deuxième trimestre 2024 de la marque.

« Pourquoi ? Parce que les calculs sont complètement différents de ceux des moteurs thermiques. Au sein de l’industrie des moteurs à combustion, dans lequel nous sommes présents depuis 120 ans, plus le véhicule est gros, plus la marge est élevée. Mais c’est exactement l’inverse pour les véhicules électriques. Plus le véhicule est gros, plus la batterie est grosse, plus la pression sur la marge est forte car les clients ne paieront pas plus cher pour ces batteries plus grosses. »

Pour prendre un exemple un peu plus petrolhead : un V8 6,2 litres nécessite peut-être plus de matière première qu’un quatre cylindres turbo de 2,0 litres, mais le quatre cylindres est tout aussi difficile à fabriquer, et peut même coûter plus cher en développement puisque les performances et les normes de pollution doivent être respectées dans un format plus contenu. Sans compter qu’un petit modèle, c’est aussi un défi pour les ingénieurs qui doivent caser toujours plus de technologies dans un espace réduit.

La réalité technique corrélée à la réalité économique

Mais pour Jim Farley, ce phénomène s’inverse pour une voiture électrique. En effet, les batteries représentant encore une part importante du coût global d’une voiture électrique (on l’estime à environ 40 %), il y a des raisons de croire que les facteurs économiques inciteront les constructeurs à produire des voitures plus petites, notamment si l’on considère les calculs exponentiels de la taille des batteries. Plus une batterie est grosse, plus elle est chère, plus elle est chère, plus la voiture en question l’est aussi.

Et il y a d’autres éléments à prendre en compte. Plus le véhicule est gros, plus il rencontrera de résistance à l’air et donc sa consommation, ce qui nécessitera une batterie plus grosse pour compenser cette perte. Sur certains modèles, comme les berlines, cela peut être compensé par un travail aérodynamique extrêmement poussé, mais sur des SUV ou des pick-ups, il n’y a pas de miracle, même si des efforts ont été faits.

Plus un véhicule est gros, plus il est lourd aussi, ce qui demande évidemment plus d’énergie. Équiper un SUV d’un pack batterie plus important augmente considérablement le poids, ce qui nécessite – vous l’aurez deviné – plus de capacité de batteries pour le compenser. C’est le serpent qui se mord la queue. Chaque cellule supplémentaire augmente le prix de la batterie, mais le gain d’autonomie diminue à mesure que la voiture s’alourdit.

Nous pouvons prendre l’exemple de voitures américaines, avec la très séduisante Lucid Air Grand Touring. Elle peut parcourir 830 km avec une charge. Elle pèse 2 320 kg et dispose d’une batterie d’une capacité de 118 kWh. De l’autre côté, il y a le Chevrolet Silverado EV, un modèle qui pèse un peu moins de 4 100 kg (une vraie ballerine !), avec son immense batterie de 205 kWh. Avec un pack 1,7 fois plus gros que celui de la Lucid, il peut parcourir 720 km selon le cycle américain EPA.

Bien sûr, c’est un pick-up, pas une élégante berline, mais c’est ce que veut dire Jim Farley, et même Elon Musk, c’est que si vous voulez aller loin avec un véhicule électrique (et c’est particulièrement vrai aux USA où les distances sont gigantesques), pour un prix raisonnable, les pick-ups et les SUV avec d’immenses batteries ne sont pas la voie à suivre.

Sur le papier, cela se tient, mais de nombreux experts pensent que ces arguments ne reflètent pas forcément la réalité économique. La vérité n’a pas changé : les constructeurs dégagent des marges plus importantes sur des produits plus chers.

L’électrique et le thermique, même combat mais à intervalle différé ?

D’une manière générale, il ne faut pas perdre de vue que ces entreprises existent pour gagner de l’argent. Elles vont là où se trouve l’argent. Mais cela ne signifie pas forcément que le patron de Ford ou qu’Elon Musk ont tort dans l’absolu. L’une des erreurs que certains constructeurs sont peut-être en train de commettre, c’est que les modèles de véhicule électrique actuels sont exactement les mêmes que ceux qui ont fait le succès du thermique.

Quittons un instant l’Amérique et prenons l’exemple d’un SUV urbain, véritable moteur de l’industrie des modèles thermiques et hybrides à l’heure actuelle en Europe. Pourquoi ne pas les remplir de cellules de batteries et les vendre deux fois plus cher que votre SUV urbain thermique ou hybride préféré ?

La réalité, c’est que le coût de fabrication d’un SUV urbain électrique dotée d’une autonomie correcte est tout simplement bien trop élevé à l’heure actuelle.

Il y a peut-être un marché pour les SUV urbains à 40 000 euros, mais il ne fera pas le poids face aux modèles thermiques ou hybrides, encore bien présents sur le marché. Preuve en est, malgré les subventions, le Peugeot e-2008 ne séduit qu’un peu moins de 20 % des acheteurs de ce modèle, ces derniers privilégiant l’essence ou le micro-hybride.

Mais ces exemples peuvent aussi être « contrés » par d’autres où le schéma est bien différent. Le meilleur exemple, c’est sans doute Tesla. Les Model 3 et Model Y sont désormais rentables (ce qui ne fut pas le cas au lancement de la Model 3) et le Model Y fut la voiture la plus vendue dans le monde en 2023.

Il en va de même pour Hyundai, qui affiche des chiffres de ventes record tout en affirmant que sa gamme électrique est rentable. Ces deux constructeurs ont aussi pris de l’avance par rapport à la concurrence en sortant des produits électriques plus tôt que les autres, et en allongeant globalement le cycle de vie de leur technologie.

Preuve en est, chez Tesla, le cycle de vie d’une voiture n’est pas le même qu’un modèle classique. Les technologies évoluent avec parcimonie. La Model S en est le parfait exemple et dépasse les 12 ans de carrière. Il n’empêche qu’elle est toujours dans le coup grâce à de subtiles évolutions et ne fait aucunement tache par rapport à la concurrence, bien au contraire.

Chez Hyundai et chez Kia, malgré les nouvelles générations de Niro et de Kona (qui partagent la même plateforme et les mêmes technos), hormis le style général, il n’y a pas eu d’évolutions techniques entre les deux générations.

Un modèle électrique bien né peut alors traverser les âges (autrement dit dépasser un cycle de vie de 7 ans habituel pour une auto) et permettre à moyen, voire long terme, de gagner en rentabilité. De la même manière qu’un moteur thermique en somme.

Au final, seul le client décidera (ou presque)

D’une manière générale, les observateurs s’accordent à dire que les constructeurs se tourneront vers des produits plus abordables si et seulement si la demande pour les modèles coûteux diminue (pour le moment, ils sont encore subventionnés donc sont perçus comme plus « abordables »).

N’oublions pas également que même si les clients disent vouloir des produits plus abordables, chez le concessionnaire, ils ont toujours tendance à opter pour le modèle le plus cher. Qui a déjà acheté une voiture « à partir de » ? Car il n’en demeure pas moins qu’une voiture reste vecteur, au même titre qu’une belle montre ou qu’un beau vêtement, d’un certain statut social et les constructeurs continueront à privilégier les modèles les plus chers, là où ils dégagent le plus de marge, parce qu’il y a de la demande.

Dacia Spring // Source : Dacia

C’est d’ailleurs ce que l’on peut retenir des déclarations des dirigeants des grands constructeurs suite au ralentissement de la progression des ventes de voitures électriques et un possible changement de stratégie à court terme. Porsche, Audi, Mercedes ou encore Renault l’ont annoncé : ils iront là où il y a de la demande, c’est-à-dire là où il y a de l’argent… sauf s’ils seront contraints.

Et c’est ce qu’il pourrait se passer avec la norme européenne CAFE (Corporate Average Fuel Economy), qui fixe un rejet moyen de CO2 par kilomètre par voiture vendue. Cette norme va se durcir en 2025 (dans quelques semaines, donc), passant de 95 à 81 g/km, avant de descendre à 50 g/km en 2030. Cela va donc obliger les marques à immatriculer beaucoup plus de voitures électriques dès l’année prochaine, et donc probablement de faire baisser les coûts, de gré ou de force.


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