« C’est un peu Mad Max parfois » : j’ai assisté à une course de Formule E avec la nouvelle recharge en 34 secondes, et je suis devenu fan

 
Où en est la Formula E ? Pour sa 11e saison, le championnat de course sur circuit 100 % électrique gagne en performances avec la monoplace de génération 3 Evo et renforce sa compétitivité avec le Pit Boost. Nous sommes allés à Djeddah voir la toute première course avec cette étape de recharge obligatoire à… 600 kW.
Source : Julien Delfosse / DPPI

Vous vous souvenez peut-être de l’apparition de la Formula E en 2014 ? La promesse : une Formule 1 sans essence, courue dans des circuits urbains. Mais avec des changements de voitures au milieu des courses car leurs batteries ne tenaient pas la distance, des performances modestes et un côté très artificiel, créé de toutes pièces, l’adhésion du milieu comme du public a été laborieuse.

Des courses urbaines tracées avec une logique parfois surprenante, demandant de faire des revêtements temporaires (comme à Paris) ou se déroulant sur des avenues bien trop bosselées, avec des bouches d’égouts et des rails de tramway ou des virages trop serrés… 

Jean-Éric Vergne en course à Djeddah.

Depuis, la formule a sacrément évolué et, une décennie plus tard, les performances modestes et les doutes sur la pérennité de la chose sont derrière nous. En revanche, le scepticisme des fans de motorsport reste bien présent, mais les audiences en hausse (1,3 million de téléspectateurs en pic cumulé en France et 10,5 millions sur CBS aux USA pour le E-Prix du Mexique selon l’orga) montrent que les réserves de foyers d’intérêt sont ailleurs.

Et les atouts sportifs et le côté show sont en net progrès, comme le montrera la double course à laquelle nous avons pu assister à l’invitation de l’organisation de la Formula E, spectaculaire, pleine de suspense et avec un niveau de bagarre et de tension intenses. Il s’agit du E-Prix de Djeddah en Arabie Saoudite, pour les manches 3 et 4 (c’est un double-header, avec deux courses) de cette saison 11.

Il se tient pour la première fois sur le circuit utilisé ici pour le Grand Prix de Formule 1, dans une configuration un peu plus courte pour s’adapter aux Formule E avec 19 virages répartis sur environ 3 kilomètres, juste devant la Mer Rouge. 

La génération 3 Evo : un grand pas

Petit rappel du plateau en présence. La Formule E est pensée pour réduire les coûts et l’impact de son championnat. Le budget de chaque équipe est plafonné à 13 millions d’euros par saison, et elles ne peuvent pas emmener plus de 30 personnes par course. Notons qu’ici, tous les pilotes sont pros et rémunérés, ce qui n’est pas le cas de toutes les disciplines. Le plateau des voitures est emmené de course en course par 2 avions, tandis que tout le reste de l’équipement a été démultiplié par 4 sets, emmenés par bateau.

La GEN3 Evo de la Formula E fait plein usage de son second moteur à l’avant.

Les pneus fournis à tous par le coréen Hankook ont des sculptures et sont donc uniques, quelles que soient les conditions météo. Chaque voiture a droit à juste 2 jeux de pneus par week-end de course. Et le bilan carbone dans tout cela ? Le championnat se targue d’être zéro net carbone, à l’aide d’actions de compensation.

L’électricité étant souvent d’origine non renouvelable dans les pays où se déroulent les courses, elle peut être fournie par des générateurs fonctionnant avec de l’huile végétale recyclée, donnant des émissions de CO2 réduites de 90 % par rapport au diesel, selon l’organisation. 

Les pneus Hankook Ion équipent toutes les autos du plateau.

Les voitures sont toutes construites sur la même base d’un châssis fourni par Spark et elles partagent la même carrosserie : seule leur peinture les distingue visuellement, et étonnamment, les différences d’apparences sont assez grandes entre les équipes au style le plus marqué : DS Penske noir et or, McLaren noir et orange, Nissan rouge et blanc, Cupra jaune fluo et doré, etc.

Les écuries ont pour seule latitude le développement du moteur principal (arrière) avec son convertisseur, boîte monovitesse et différentiel à glissement limité. Les meilleures écuries atteignent 97 % d’efficience avec leur moteur, une valeur à mettre en perspective avec les un peu plus de 50 % réussis par les moteurs thermiques. Ce qui signifie que sur un moteur essence, la moitié de l’énergie créée est perdue, transformée en chaleur.

Les autres champs d’intervention des écuries sont l’électronique de gestion moteur et l’implantation de la suspension arrière. Sur les 11 équipes engagées au championnat, seules 6 construisent leur propre voiture : Mahindra, Nissan, Jaguar, Porsche, Stellantis (DS et Maserati), Lola-Yamaha, et ils fournissent les autres (par exemple, Nissan équipe McLaren). 

Crash de Nico Muller avec son Andretti.

Le moteur avant est standard et la puissance totale avant/arrière cumulés atteint à certains moments de la course (nous y reviendrons) 350 kW, soit 470 ch. Sachant que le poids minimum est de 862 kg avec le conducteur, les performances sont impressionnantes, avec une accélération de 0 à 100 km/h plus forte de 30 % que celle d’une Formule 1 ! Compter 1,86 s, du brutal… La vitesse maximale théorique ? 320 km/h. 

Ce moteur avant signé Atieva (Lucid Motors, à qui l’on doit la Lucid Air aux 960 km d’autonomie), apparu avec la GEN3, est capable de contribuer à une régénération atteignant désormais pas moins de 600 kW (contre 250 kW en GEN2), et représentant environ… 50 % de l’énergie utilisée en course ! Histoire de trouver une mesure de la quantité en question : 45 minutes de course suffiraient pour avoir de quoi alimenter une maison pendant 2 jours entiers. 

Les accélérations dépassent celles d’une F1

Depuis la GEN3 Evo, le moteur avant contribue également à compléter la puissance pour passer de 300 à 350 kW (475 ch) en Attack Mode (et au départ + en duels de qualifs), offrant un grip phénoménal avec ces phases de traction intégrale. Résultat, lorsque les pilotes abattent cet argument, ils volent littéralement et en quelques minutes, plusieurs dépassements sont presque assurés. De quoi rebattre les cartes. Les 350 kW répartis aux quatre roues sont aussi disponibles à deux autres moments : les duels à la fin des qualifications et au départ de la course.

Attack Mode : un raid vers la tête de course

Les fameux Fan Boosts des débuts, où le vote du public donnait des surcroîts de puissance temporaires à certains pilotes ne sont plus dans le game. Il semblerait que tous les votes n’étaient pas tout à fait sincères, ni gratuits d’ailleurs… Un vote est encore possible aujourd’hui, mais juste pour afficher des pronostics. 

Pour permettre au grand public de s’amuser en FE, reste la possibilité de prendre le volant dans les jeux où elle est présente, avec les démonstrateurs R factor 2 sur place (2 heures de queue au Mexique) ou dans des jeux mobiles comme EA Real racing 3, Trackmania (Ubisoft) très populaire en France ou Asphalt Legends (Gameloft).

Mais ce sont surtout les pilotes qui jouent beaucoup au simulateur, la meilleure façon de se préparer alors que les temps d’entraînements sur piste sont limités. D’ailleurs, le travail en amont est plus important qu’en F1 ou en WEC (courses d’endurance), explique JEV (Jean-Éric Vergne), pilote DS Penske. 

La flexibilité de la gestion de puissance de l’électrique est bien exploitée avec l’Attack Mode que les pilotes doivent gérer à leur guise durant la course. Deux déclenchements obligatoires, à répartir au choix et particulièrement performants cette année avec l’ajout de 50 kW réellement exploitables grâce au train avant qui entre en jeu et offre une traction intégrale salutaire. Résultat, plus de sportivité et… d’attaque. 

Un virage est dédié à l’armement de cet Attack Mode, où le pilote doit sortir de la trajectoire idéale pour passer à l’extérieur, perdant ainsi un peu de temps et risquant de rouler sur une partie de la piste plus sale. Mais il récupère alors un boost salutaire qui change temporairement la donne. Une potion magique. Mais attention, elle se mérite. Il ne suffit pas de rouler dans cette zone spécifique, le mode attaque doit être déclenché manuellement par le pilote (bouton “MK” pour Mario Kart chez DS…) moins de 5 secondes avant de rentrer dans la zone, choisissant au passage un des trois scénarii possibles pour répartir les 8 minutes à sa disposition au total, obligatoirement en 2 fois. 

Une stratégie fragile, rappelle le pilote français Jean-Éric Vergne (DS Penske) : “L’Attack Mode peut être ruiné par full yellow (drapeau jaune) ou une safety car si on l’active au mauvais moment de la course. Quand on travaille à chercher les derniers millièmes, cela peut être frustrant qu’il y ait un tel facteur chance.”

Vous l’avez compris, être pilote de Formula E, c’est bien plus que du pur pilotage, c’est un travail de stratégie intense. En lien radio avec son ingénieur de course, chaque pilote communique au moyen de messages crypto pour que les autres équipes ne sachent pas ce qui est échangé entre eux. Cette partie est aussi cruciale, les équipes n’ayant pas droit à la télémétrie pour remonter en live les données des voitures. 

De quoi rendre la Formula E le sport mécanique qui demande le plus de réflexion. “On est vraiment dans une ère de la FE où on fait une partie de backgammon en roulant,” décrit JEV. Et il y a bien sûr du bluff, avec par exemple des pilotes attaquant comme s’ils avaient plus de réserve d’énergie restante que les autres alors que ce n’est pas le cas : ils comptent sur les plus fortes chances de pause avec l’entrée de la Safety Car vers la fin de course, plus probable alors que tout le monde se bat à fond et prend plus de risques. Épuisant ! Et ce n’est pas tout…

Au volant, le pilote effectue des réglages en permanence, avec pour chaque virage, une répartition de la régénération et du freinage spécifiques, au rythme de bips donnant le bon moment, juste en avance pour prendre en compte le temps de réaction. Le SOC et la température de la batterie sont toujours à surveiller aussi. Et pour la première fois à Djeddah, le pilote doit gérer un nouvel élément dans la course : le Pit Boost. 

Pit Boost : tout est possible

La première des deux courses de Djeddah inaugurera donc le fameux Pit Boost, pause obligatoire de recharge dans les stands et objet de tous les fantasmes : est-ce que cela va fonctionner, est-ce que ce sera le chaos, cela va-t-il remettre en question toute la course et donner trop de place au hasard, d’autant qu’il est possible d’effectuer cette opération alors que la Safety Car est en action ? Un atout définitif pour les petits malins (ou les chanceux) qui pourraient en bénéficier. 

Mais rien de tout cela ne s’est produit. La FIA (fédération qui préside au sport auto) a prévenu les teams qu’ils avaient une fenêtre entre 40 et 60 % de SOC (niveau de charge) pour effectuer cette pause recharge, vers la mi-course donc. Il faut compter 30 s pour récupérer 10 % de SOC (34 s d’arrêt total), soit 3,85 kWh d’énergie envoyés avec une puissance de charge de 600 kW (c’est la puissance nécessaire pour recharger une voiture électrique en moins de 10 à 80 % en 10 minutes comme la Zeekr 001). De quoi redonner plus de possibilité de conduite agressive avant d’arriver à presque zéro SOC sur la ligne d’arrivée, avec une gestion optimale de la capacité disponible. 

La batterie pour le Pit Boost est compacte et mobile.

C’est Fortescue (ex-Williams Advanced Engineering) qui est le fabricant des batteries des voitures et des chargeurs du Pit Boost, simples batteries sur roulettes fournies par l’organisation, capables de charger les deux autos d’un team coup sur coup. Et au final, tout s’est bien déroulé et les pilotes n’ont même pas trouvé ce temps d’arrêt trop long, en profitant pour parler plus en détails à la radio. Easy. 

Un vrai spectacle

S’approchant du départ (de nuit ici), la tension monte et la température de la batterie baisse au maximum grâce à un système de froid orienté vers son circuit de refroidissement liquide. Les pilotes s’apprêtent à partir pour 31 tours et environ 45 min de course.

Sur la grille de départ, alors que VIP, passionnés, journalistes, commentateurs TV, équipes s’activent, les pilotes cherchent la concentration et font un dernier point avec leur équipe technique. Après l’évacuation, ils ont droit à un petit burn out pour chauffer les pneus puis vient le départ, en trombe avec la puissance maxi sur les 4 roues.

La bande-son est certes différente de tout autre sport auto mais elle impressionne cependant, tandis qu’on observe sur les écrans les bagarres du peloton à chaque virage. Bientôt, les SOC s’affichent dans le classement à l’écran, tandis que deux points rouges indiquent les deux Attack Mode encore disponibles pour chacun.

Les premiers ne tarderont pas à prendre leur chance pour revenir vers la tête de course, parfois au soulagement du leader : tenir la première place trop longtemps n’est pas forcément ici un avantage, alors que chaque soupçon d’énergie compte. Mieux vaut rester dans l’aspiration d’un autre concurrent, en embuscade avec le prochain Attack Mode. Mais tout ne se passe pas toujours comme prévu figurez-vous… “C’est un peu Mad Max parfois, les courses, c’est beaucoup plus agressif que la F1, pas du tout la même philosophie de course,” s’amuse JEV. 

La grille de départ avant la première course du week-end.

Se plonger une fois dans cet univers de course à part a provoqué notre envie de suivre de plus près l’évolution de la discipline. Depuis la terrasse surplombant le paddock, dans la salle de presse ou le lounge VIP, mais surtout, dans l’espace réservé aux invités directement dans le box d’une équipe de préférence, avec un casque retransmettant les dialogues pilote-ingénieur.

Nous avons pu avoir ce privilège chez DS Penske, que nous remercions ici. Le lieu idéal pour suivre les qualifications de la première course, où le pilote allemand Maximilian Günther a brillé, montant la pression dans les duels jusqu’à finir en pôle position. Un bonheur de vivre cela à l’unisson de l’équipe, à côté du directeur de DS Performance (4 fois championne), Eugenio Franzetti. C’était décidément le jour de Max, qui gagnera la première course sur le fil, dans le tout dernier virage où il double un leader à court de jus. Cerise sur le gâteau, Max signera aussi le meilleur tour en course. 

Le lendemain, Jean-Eric Vergne sera plus en force chez DS, mais il loupera de peu le podium dans le chaos du dernier virage, presque à bout d’énergie. Moralité, des courses pleines de suspense, avec beaucoup de dépassements, une grosse dose de stratégie et des surprises jusqu’au bout, riches mais faciles à suivre avec quelques explications de base. Outre Günther, dans le week-end saoudien, ce sont les pilotes anglais Rowland et le tout jeune Barnard qui se démarqueront. 

JEV en pleine attaque à Djeddah.

Des pilotes et teams qui restent accessibles, bien loin du côté ultra-VIP de la F1. Voilà un des avantages d’une telle discipline encore peu connue, qui a rempli cependant ses tribunes avec 15 000 spectateurs ici, attirés certes aussi par les concerts organisés après les courses.

Pour suivre la Formula E, les courses sont diffusées en France sur La Chaîne L’Équipe et sur Eurosport, ainsi que sur le site de la Formula E. Le prochain rendez-vous est pour le 12 avril avec un retour à Miami.

Maximilian Günther, DS Penske, célèbre sa première victoire.

Et la suite pour les saisons 13 (2026/2027) à 16 avec la prochaine génération 4 s’annonce prometteuse : un bond en avant est attendu, avec un châssis fourni par Spark Racing Technology, une batterie Podium AT, un moteur avant Marelli, et des pneus passant chez Bridgestone, avec plus de performances, de grip et donc, de show.

Les voitures auront droit à une capacité de régénération de jusqu’à 700 kW et une puissance portée à 600 kW (815 ch !). “Pour moi, la GEN4 sera le plus gros breakthrough de la FE. De ce que je sais, ce seront des voitures beaucoup plus performantes, avec des technologies vraiment plus avancées,” explique JEV. Peut-être serez-vous à ce moment-là déjà fan de la Formula E ?


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