« La Chine déroule le tapis rouge pour les journalistes et influenceurs » pour vendre ses voitures électriques dans le monde entier

L'Europe en PLS

 
La Chine frappe très fort avec le salon de l’auto de Shanghai. La révolution de la voiture électrique y prend un nouveau tournant, et les constructeurs chinois veulent que le monde entier en soit témoin. Quitte à dépenser des sommes astronomiques pour faire parler de ses innovations, aussi impressionnantes qu’utiles.
Le stand BYD

Il y a des événements qui marquent un avant et un après. Le salon de l’Auto Shanghai 2025 que nous couvrons sur place en fait partie.

Cette édition n’a pas seulement exposé les derniers concept-cars électriques ou les berlines truffées de capteurs, elle a révélé une stratégie bien plus vaste : celle d’un soft power automobile chinois décomplexé, incarné par une offensive d’image sans précédent. Et cela commence bien avant d’entrer dans un hall d’exposition.

Shanghai comme décor, les influenceurs comme cibles

Shanghai ne s’est pas contentée de sortir ses voitures. Elle a sorti le tapis rouge. Hôtels cinq étoiles sur les bords du fleuve Huangpu, conférences dans des salons panoramiques, visites d’usines en cortège VIP… Les milliers de journalistes et influenceurs étrangers conviés au salon ont été soignés comme jamais. Bloomberg, dans un article intitulé « les constructeurs auto chinois déroulent le tapis rouge pour les journalistes et influenceurs« , évoque une affluence record de la part des journalistes et des influenceurs étrangers, et il suffit de tendre l’oreille à la sortie d’une présentation pour entendre parler espagnol, arabe ou portugais.

Le stand Xiaomi, avec la SU7 électrique

Nicolas Declunder et Ulrich Rozier, nos deux journalistes sur place (dans le cadre d’un voyage presse avec Xpeng pour Ulrich), nous envoient des images impressionnantes, où de nombreux journalistes et influenceurs se massent devant des voitures tout juste dévoilées. La plupart diffusent en direct leur présentation de la voiture, une pratique encore peu répandue en Europe. Notamment du fait d’une communauté largement plus faible. Il faut dire qu’en Chine, un site d’actualité peut viser une audience de 1,4 milliard de personnes. Impossible n’importe où dans le monde.

La stratégie n’a rien d’un hasard. Les constructeurs chinois – BYD, Zeekr, SAIC ou encore Xpeng – ciblent désormais le monde entier, et notamment l’Amérique latine et le Moyen-Orient comme relais de croissance. BYD aurait invité au total 300 journalistes et influenceurs à travers le monde, dont 150 d’Amérique Latine. Avec plusieurs nuits d’hôtel à 375 dollars la nuit, faites le calcul, l’investissement est colossal.

BYD a dévoilé la Denza Z, pour se battre face à la Porsche 911

Et comme le souligne Bloomberg, “il s’agit d’un changement d’attitude évident dans un pays connu pour ses contrôles stricts sur les visas des journalistes”. Même s’il est fortement probable que de nombreux invités étaient présents, officiellement, en tant que simples touristes.

En toile de fond, une donnée incontournable : les usines chinoises peuvent assembler jusqu’à 36 millions de véhicules électriques par an, pour une demande domestique qui peine à dépasser les 17 millions selon les médiax locaux. Exporter, c’est survivre.

L’influence, bras armé de l’offensive

Si le programme presse était chargé, celui des influenceurs l’était plus encore. À côté des habituels briefings techniques, des « créateurs de contenus » venus du Brésil, du Pérou, d’Arabie saoudite ou même d’Europe et des États-Unis partageaient leurs vlogs dans des suites avec vue.

D’ailleurs, les influenceurs chinois ne voient pas tous d’un bon œil l’arrivée de cette concurrence internationale, qui vient taper dans les budgets marketing des constructeurs locaux. Mais pour l’un d’entre eux, c’est qu’ils ont été trop récompensés par le passé, et qu’il faut désormais partager le gâteau un peu plus avec l’étranger.

La Firefly de Nio qui arrive en Europe

Chaque post devient une caisse de résonance. Chaque selfie, une publicité mondialisée. Jones précise qu’il a peu de doute que les américains voudront acheter des voitures électriques chinoises lorsqu’ils verront leur rapport qualité / prix, si ces voitures arrivent un jour là-bas, pour le moment interdit de territoire avec des taxes punitives. “Ils les achèteraient carrément !” lâche-t-il.

Car les influenceurs ne sont plus de simples invités. Ils sont les nouveaux VRP d’une industrie qui sait qu’une vidéo sur TikTok et Instagram peut valoir plus qu’un comparatif dans un magazine aussi célèbre que Car & Driver qui existe depuis 1955 aux Etats-Unis. Surtout pour des marques chinoises en manque de notoriété en dehors de leur marché local.

Avec leurs formats courts, leurs vues instantanées et leur audience jeune, les influenceurs deviennent les meilleurs alliés d’un message calibré pour séduire, au-delà des caractéristiques techniques ou du rapport qualité / prix des voitures. Des formats courts qui réduisent souvent l’exhaustivité du message, et qui empêche des comparaisons objectives. Le “wow” laisse sa place au juste.

Un storytelling maîtrisé, jusqu’à la norme

Mais derrière le vernis d’hospitalité, il y a un objectif industriel plus large : imposer les standards chinois. Du 1000 volts de Zeekr et BYD aux batteries CATL et BYD qui se rechargent en 5 minutes, aux OS maison comme HarmonyOS Auto de Huawei, chaque innovation est aussi une tentative de placer la Chine en position d’exportatrice de technologies et normes innovantes, en avance sur le reste du monde.

La Toyota bZ7 électrique et ses technologies Huawei

On ne peut pas s’empêcher de penser aux deux normes révolutionnaires imposées par la Chine à quelques jours de l’ouverture du salon : l’interdiction aux batteries de prendre feu ou d’exploser, et le ralentissement de la conduite autonome à tout-va pour éviter les accidents qui font les unes des journaux à travers le monde.

Ce n’est pas un hasard si les démonstrations techniques incluent des véhicules déjà prévus pour l’Europe ou l’Amérique du Sud, avec l’annonce de leurs normes européennes (on pense aux données WLTP de la Firefly de Nio à moins de 30 000 euros), leur traduction dans différentes langues à travers le monde (on pense au système de la Denza Z9 GT traduit en anglais lors du test de la version chinoise en Italie) et leur design calibré pour les marchés premium. Même Audi a compris qu’il fallait changer la recette, avec sa nouvelle E5 Sportback dotée de technologies introuvables en Europe.

Pour aller plus loin
On est montés à bord de la Nio Firefly : la nouvelle rivale chinoise de la R5 électrique arrive en Europe

La mise en scène est d’autant plus efficace qu’elle s’adosse à une offre produit désormais crédible : autonomies très élevées (jusqu’à 1 500 km avec la nouvelle batterie de CATL), finitions qui n’ont rien à envier aux marques de luxe allemandes, de nombreux services connectés intégrés (mais tout de même moins évolués que les mêmes systèmes disponibles en Chine)… et surtout, des prix qui restent imbattables.

Une Leapmotor T03 se vend pour moins de 20 000 euros en Europe, la Firefly de Nio arrive cet été à moins de 30 000 euros. Mais l’Europe pourrait bientôt imposer des prix planchers, pour éviter un dumping social venu de Chine sur l’auto.

Shanghai, ou le Davos de la voiture électrique ?

Ce que révèle Auto Shanghai 2025, c’est que la Chine ne veut plus seulement fabriquer des voitures. Elle veut raconter le futur de la voiture. Elle veut en être l’auteur, le diffuseur… et le metteur en scène.

Inviter les médias du monde entier, c’est affirmer une ambition globale. C’est montrer que la Chine n’est pas un simple pays qui produit des biens de consommation pour le reste du monde, mais qui les conçoit, de A à Z, en faisant souvent mieux que les autres pays technologiquement parlant.

Audi E5 Sportback // Source : Xchuxing

Et c’est peut-être là que réside la vraie bascule. Le salon de l’Auto de Shanghai n’a pas seulement mis la Chine au centre de la carte automobile mondiale. Elle l’a fait en imposant son propre langage.

Alors que l’Europe peine à aligner ses investissements et que les États-Unis regardent encore l’électrique avec crispation politique, la Chine avance, et déploie tous les moyens nécessaires pour casser l’image “low cost” et dépassée de la Chine. Une image ancrée dans la tête de nombreuses personnes à travers le monde, qui n’est plus du tout alignée avec la réalité.

Surtout, les autres salons à travers le monde perdent en notoriété et en visiteurs, à tel point que le salon de Genève n’aura plus lieu, et que le salon de New-York de la semaine dernière n’a presque pas fait parler de lui, du fait d’un manque criant de nouveautés intéressantes pour le consommateur.


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