Vertigineux. J’ai l’impression de tomber dans ce ravin, de me noyer dans ces fonds marins, d’être soufflé par cette tempête, de m’étouffer dans cette éruption. Cet éléphant passe à un mètre de moi, cette girafe me domine de toute sa hauteur, cette araignée me saute vraiment dessus. J’en viens même à craindre que ce singe installé sur une branche au-dessus de ma tête lâche une crotte malodorante sur mon crâne.
Et le son, parlons du son ! Je distingue chaque pas, je situe parfaitement ce caillou qui roule en bas à gauche, chaque parole, chaque bruissement. Le tout avec une clarté ahurissante.
Souffle coupé, yeux écarquillés, frissons jusqu’au bout des ongles, l’air béat. Voici pêle-mêle des éléments donnant une petite idée de ce que je ressentais devant le film somptueusement magistral diffusé à la Sphère de Las Vegas. Une expérience incroyable et inoubliable teintée de contradictions aux accents hypocrites. Un récit que je vais tenter de raconter ici.
Un bâtiment atypique dans la ville de l’extravagance
Replaçons juste un peu le contexte. Nous sommes en janvier 2024, au CES 2024 de Las Vegas. Le plus grand salon tech du monde est l’occasion rêvée de découvrir la Sphère : bâtiment sphérique recouvert d’écrans Micro-LED qui a enflammé les réseaux sociaux lorsque les premières images ont inondé le web.
De l’extérieur, la Sphère attire toujours le regard, de jour comme de nuit, par sa géométrie et par les animations — très souvent des publicités — qui s’affichent sur les écrans externes. La forme sphérique permet de créer des effets optiques parfois hypnotisant.
Pas de pause, la Sphère brille 24 heures sur 24. Même lorsqu’on est assez loin, dès qu’il y a une vue relativement dégagée sur la Sphère, on peut apercevoir des personnes en train prendre des photos. Ce lieu est véritablement une bizarrerie atypique dans la ville où l’extravagance est pourtant reine. Il fallait le faire.
Une prouesse technique et immersive
Toutefois, si la Sphère est une incongruité de l’extérieur, elle est une prouesse exceptionnelle à l’intérieur. La salle de cinéma n’a absolument rien à voir avec ce que j’ai vécu jusque-là. Je dois préciser ici que je ne suis pas un grand habitué des salles obscures et que je me suis toujours contenté de séances assez classiques — et d’une petite fois à la Géode à Paris. Sur le plan technique, j’étais donc vraiment transporté d’une planète à l’autre.
Ironie du sort, la grande star du film projeté dans la Sphère est notre planète elle-même, la Terre. Le nom du métrage est d’ailleurs assez explicite : Postcard From Earth. Réalisé par Darren Aronofsky, il nous transporte dans une épopée où chaque scène est plus grandiose que l’autre. L’œuvre est une ode à la planète bleue, à ses paysages, ses faunes, ses flores, mais également aux différentes civilisations humaines, à leur diversité, leur ingéniosité.
Puis la narration glisse lentement, mais sûrement vers les conséquences néfastes des activités humaines. Pollution, dérèglement climatique, catastrophes naturelles. La nature altérée, fragilisée, détruite est magistralement montrée. J’ai bien du mal à rester insensible. Surtout que depuis le début, la qualité de l’image est époustouflante et, surtout, elle m’englobe quasi totalement. En regardant bien devant moi, j’ai vraiment la sensation d’être dans le paysage filmé. Il faut que je tourne la tête ailleurs pour me rappeler que j’ai affaire à une zone d’affichage finie.
En y regardant de plus près, on peut distinguer un peu la structure installée derrière les écrans. Cela ne vient pas du tout gâcher le moment. Autre bémol sur lequel il serait malhonnête de s’attarder : si vous n’êtes pas installé pile au milieu, vous allez forcément remarquer un effet de distorsion. Cela se remarque surtout sur les plans de mégalopoles où les gratte-ciels sont tordus. On le voit, on le remarque et on l’oublie presque aussitôt. Ou alors, on paie la petite bagatelle de 356 dollars pour être pile au milieu. Trois fois rien…
Côté audio, la Sphère propose une superbe expérience cristalline et surround. Enfin, je ne l’avais pas encore mentionné, mais il y a aussi quelques effets « 4D ». Pour accentuer les effets dramatiques de certaines scènes, le siège peut vibrer. Par moment, je sens aussi un vent artificiel me caresser le visage, passant de la simple brise au souffle bien perturbant lors d’une longue séquence où le film nous amène au plus près d’un cyclone.
Bref, l’immersion est pleinement au rendez-vous. Ça va plusieurs crans plus loin que le Futuroscope ou la Géode. Mon collègue Vincent a aussi eu l’occasion d’assister à une séance. Habitué aux salles IMAX et Dolby Cinema, il me confirme, après relecture de mon retour d’expérience, avoir également pris une claque visuelle. Même son de cloche de sa part sur les effets 4D, qu’on peut d’ailleurs retrouver aussi en France en 4DX, mais sans cet écran XXL et à la définition tout aussi faramineuse.
J’en sors époustouflé, ébahi et conquis… ou presque. Car une réflexion me taraude l’esprit : est-ce que je ne viens pas d’assister à la plus impressionnante opération de greenwashing ?
Le greenwashing pour sauver la planète
J’utilise ici cet anglicisme pour désigner les procédés de communication dévoyés utilisés par des entreprises souhaitant se donner bonne conscience et détourner l’attention du public. Le but étant que ce dernier ne s’attarde pas sur les activités polluantes de la firme. Une manière de redorer son blason et de minimiser son impact sur l’environnement. On en a plusieurs exemples dans le monde de la tech.
La Sphère représente un cas fascinant à cet égard. Ce bâtiment de 115 mètres de hauteur pour 123 de large intégralement recouvert d’écrans brille, à l’extérieur, 100 % du temps, sans pause et la plupart du temps à des fins mercantiles. Imaginez un peu la consommation énergétique. Il s’agit d’un édifice impossible à envisager dans une société visant collectivement la sobriété énergétique et une remise en question de la société de consommation.
C’est la démesure, l’ivresse de la technique, la folie des grandeurs. De fait, la Sphère est incompatible avec le message écologiste véhiculé par le film diffusé à l’intérieur.
S’agit-il donc d’une mesure immensément hypocrite ? Ou est-ce que le réalisateur a tenté de transmettre son message comme il le pouvait ? C’est avec cette question laissée en suspens et un goût amer en bouche que je garde ce précieux souvenir en tête.
NB. Notre journaliste Omar Belkaab — accompagné de notre responsable vidéo Arnaud Gelineau — ont pu assister à une séance à la Sphère en marge de leur couverture du CES 2024 et grâce à une invitation de Samsung.
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