De passage à Paris, nous avons pu nous entretenir avec Hiroshi Lockheimer, vice-président senior des plateformes et de l’écosystème Google. L’homme a chapeauté pendant des années le développement d’Android et de Chrome OS, et a vu sur tous les projets présents et futurs de l’entreprise.
Nous avons pu nous entretenir avec lui sur le passage des services Google mobiles à un modèle payant suite à la décision de la Commission européenne. Mais ce n’est pas tout : nous avons également profité de l’occasion pour recueillir sa vision de l’avenir de l’industrie et de la philosophie de Google sur le marché.
Cette interview a été réalisée par Geoffroy Husson de FrAndroid et Julien Cadot de Numerama.
L’histoire d’Android
Avant de parler d’avenir, il faut savoir d’où l’on vient. Pour cela, rares sont les personnes aussi bien placées que Hiroshi Lockheimer qui a connu Android à ses prémisses alors qu’il fut intégré à l’équipe par Andy Rubin lui-même. L’homme s’en souvient bien, et rappelle qu’il y a dix ans, son OS ne concernait que les smartphones.
Depuis, les temps ont bien changé. L’idée qu’un système d’exploitation puisse combiner plusieurs objets pouvant se parler les uns les autres était de la science-fiction à l’époque, mais est désormais une réalité : nos smartphones, TV, voitures, tablettes, et objets connectés peuvent tous utiliser Android et communiquer entre eux pour automatiser des fonctions.
Chrome OS accompagne la révolution PC
Chrome OS en fait également largement parti. C’est d’ailleurs ce qui a motivé, selon Hiroshi Lockheimer, son inclusion sur les tablettes désormais : la diversité d’utilisation. Le système d’exploitation PC de Google peut en effet désormais lancer des applications web, des applications Android et aussi des applications Linux.
Le patron d’Android observe que les principaux constructeurs de l’univers PC se préparent à une révolution. Après avoir fait toujours les mêmes affaires depuis des années, un grand changement arrive avec la convergence des produits. Chrome OS et les applications Android sont là pour répondre à ce changement, et offrir une plateforme sécurisée, stable et très rapide. Il ne s’agit que de construire sur cette fondation.
Le dernier exemple de cette volonté en date n’est autre que la Pixel Slate. Présentée lors du Made By Google 2018, il s’agit d’un des rares appareils à réussir à être une tablette se transformant en ordinateur portable dont l’un des aspects n’est pas trop prononcé par rapport à l’autre selon les premiers retours des journalistes américains. Le principal problème des Microsoft Surface est après tout de ne pas fonctionner aussi bien en tablette, tandis que les iPad Pro sont avant tout des tablettes avant d’être des ordinateurs portables. Chrome OS se veut être la réponse à cette problématique.
Pas de Pixel Slate en Europe… pour le moment
Mais pourquoi le Chromebook n’est pas aussi populaire en Europe qu’outre Atlantique ? Hiroshi Lockheimer a la réponse. Aux États-Unis, plus de 60% des écoles utilisent désormais Chrome OS, qui est devenu le deuxième système d’exploitation pour PC devant macOS et derrière Windows. En Europe, c’est loin d’être le cas puisque… Google n’a tout simplement pas investi pour s’implanter.
C’est ce qui explique que la Pixel Slate ne sorte pas en France. Cependant, il indique que l’entreprise commence désormais ses efforts pour s’implanter sur le marché français et en Europe. Les Pays-Bas, la Suède, la Finlande et toujours plus de pays commencent à goûter aux bienfaits de Chrome OS et de ses Chromebook.
Qui sont les concurrents de Google ?
Nous en sommes à la troisième génération de produits Google, solidifiant l’entité comme un constructeur sur un marché où il a toujours cherché auparavant à être neutre. Ayant la main dans de nombreux paniers, quel est le vrai compétiteur du géant de la Tech ? Hiroshi Lockheimer précise qu’en ne parlant uniquement de Google et pas sa maison-mère Alphabet, les compétiteurs sont plus que nombreux.
Et pour cause : ils dépendent du domaine d’activité stratégique. Google possède de nombreuses branches, qui travaillent toutes sur des projets souvent très différents. La recherche, le cloud, la cartographie… Tous les pôles ont droit à leurs propres compétiteurs spécifiques. Ainsi, au global, Google attise la rivalité de nombreuses entreprises différentes.
Cependant, Hiroshi Lockheimer se dit dans une position unique au sein de l’entreprise. En effet, son travail principal n’est pas de jouer des bras, mais de favoriser la compétition et la diversité. Son but étant de faire grandir les plateformes Google comme Chrome OS ou Android, il se doit d’attirer les développeurs afin que les utilisateurs puissent avoir accès à ce dont ils ont besoin. Il rappelle à ce titre que même Apple a déployé Apple Music sur Android, et que de nombreuses applications Google sont disponibles sur iOS.
La philosophie de Google
C’est peut-être ce qui explique que Google n’ait jamais réussi à imposer une application de discussion instantanée, malgré ses nombreux essais. Hiroshi Lockheimer déclare en rigolant que cela montre en quoi, de bien des manières, Google n’est pas une entreprise typée « réseau social ». La mort récente de Google+ et l’arrêt d’Allo ne sont certainement pas étrangers à cette confession.
Au-delà de cela, c’est aussi une question de philosophie. L’entreprise favorise une approche ouverte : c’est aux consommateurs de choisir ce qu’ils veulent utiliser. Le parallèle avec Apple est fait : sur iOS, vous avez la solution photo, la solution podcast. Apple décide pour vous de la solution à utiliser. Hiroshi défend que c’est très rarement le cas pour les services proposés sur les plateformes Google, mais que l’entreprise reçoit autant de retours d’utilisateurs appréciant cette ouverture que d’autres voulant que l’entreprise décide pour eux. Cependant, le choix est vu comme une solution « gagnant / gagnant » en interne : le fait que Google ne construise pas tout n’est pas vu comme un problème, mais une force pour Hiroshi Lockheimer.
Cependant, il admet que la multiplication des services peut être troublante pour les utilisateurs, et que Google doit améliorer sa communication sur ce point. Il cite en exemple Hangouts, devenu un outil professionnel, mais qui attire parfois la frustration du grand public qui n’a pas compris cette nouvelle direction, ou encore le fait que peu de gens soient encore au courant que Gmail a sa version professionnelle où le « @gmail.com » n’est pas obligatoire.
L’avenir du SMS poussé par Google
C’est en suivant cette philosophie que Google a décidé de pousser le RCS, le protocole devant remplacer le simple SMS d’antan. C’est d’ailleurs l’une des raisons de la venue de l’homme en France : participer à un sommet en compagnie des opérateurs locaux. C’est pour lui l’une des évolutions les plus importantes à venir, qui permettra des messages plus longs, les accusés de réception, l’envoi de fichiers, etc.
Surtout : c’est un protocole ouvert qui n’est pas lié à une entreprise. C’est aussi là son défaut, puisque son déploiement est freiné par les opérateurs qui n’en font pas nécessairement une priorité dans leurs agendas. Il note d’ailleurs que le Français Orange est l’un des plus grands soutiens du RCS, qui progresse, mais prend du temps à être déployé.
Qu’en est-il de Fuchsia ?
On ne pouvait pas avoir cette opportunité sans poser la question : qu’en est-il de Fuchsia, l’OS développé en interne chez Google qui vise à pouvoir être utilisé sur n’importe quelle plateforme ? Pour Hiroshi Lockheimer, notre question est surtout l’occasion de rappeler la culture d’expérimentation au sein de Google tout en restant open-source. C’est d’ailleurs pour cela que Fuchsia est connu de tous : une bonne partie de son développement est accessible au public.
Le grand patron tempère cependant notre excitation en rappelant qu’il s’agit avant tout d’une expérimentation pour le futur qui est partagée en interne. Elle sert surtout à tester de nouvelles idées qui pourraient être intégrées par la suite sur Android, Chrome OS, ou encore d’autres systèmes. Il indique d’ailleurs que bien que Fuchsia soit public et donc connu, ce n’est pas la seule expérimentation du genre se passant en interne.
Le « pourquoi » de cette expérimentation est sûrement le point le plus intéressant. Revenant à l’idée d’un changement majeur sur le marché des PC, il met en avant le fait qu’il y a toujours un point dans la vie d’une plateforme où le progrès change drastiquement les choses. Une technologie, une fonctionnalité, ou même la société elle-même peut en être à l’origine. Fuchsia est l’une des expérimentations dont le but est de pouvoir être prêt à réagir au moment où le prochain bouleversement apparaîtra, voire même le provoquer.
Il n’existe cependant aucune période de sortie envisagée. Hiroshi Lockheimer indique que l’équipe continue d’expérimenter et de tenter de nouvelles choses.
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https://www.theregister.co.uk/2017/11/21/android_the_next_10_years/v Google travaille clairement sur son "Android 2.0" (rien à voir avec Eclair), un Android dont le but est de combler les défauts du premier : manque de contrôle de Google sur son OS, faible monétisation et nid à poursuites judiciaires. L'Android actuel a encore quelques années devant lui, le temps que Google termine son nouvel OS. Après la question sera de savoir comment ils introduiront ce dernier. Rupture brutale ? Inclusion progressive dans l'Android actuel ? Changement de nom ? Quid de Chrome OS quitte à tout unifier ? On le saura le moment venu. Je veux bien croire que Fuchsia OS n'est qu'un projet de "Android Next" parmi les autres, le plus connu d'entre eux. Néanmoins il semble déjà remplir une bonne partie du cahier des charges d'Android Next : licence plus restrictive et pas de Java jusqu'à nouvel ordre. À ce titre il doit être considéré comme un client sérieux à la succession d'Android.
Très intéressante la partie sur Fuchsia, c'est donc bien juste une des nombreuses tentatives (ils ont peut-être même un 2ème OS Fuchsia-like en interne dont les sources ne sont pas publiées) qui permettent de ne pas mettre tous leurs oeufs dans le même panier, il n'y a pas de volonté de déprécier Android dans le futur. Même si cela reste une possibilité.
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