Pourquoi la Game Workers Alliance de Raven Software est un enjeu majeur du jeu vidéo

 
Des salariés du studio Raven Software ont lancé une procédure de création d’un syndicat. Une première dans le jeu vidéo AAA américain, et un acte qu’il est important d’analyser.

Depuis plusieurs mois, la vie des salariés du groupe d’Activision Blizzard est au centre de nombreux sujets d’actualités dans l’industrie du jeu vidéo. L’énorme rachat d’Activision Blizzard par Microsoft ne doit pas faire ni oublier l’avenir du PDG Bobby Kotick, ni le sujet social dont devrait hériter Microsoft si le rachat aboutit. Parmi les dossiers sur la table, le plus chaud est sans doute celui du studio Raven Software, en charge du développement de Call of Duty Warzone. Il s’agit d’un dossier déterminant pour l’industrie au sens large, et nous allons voir pourquoi.

Le jeu vidéo : une industrie de la « passion » sans syndicat

Si vous suivez l’actualité du jeu vidéo, vous savez que depuis plusieurs années de nombreux studios sont au centre d’affaires mettant en cause des problèmes de gestion des employés. On parle ici des plus gros studios de l’industrie, ceux qui réalisent les jeux à haut budget AAA tant appréciés : les The Last Of Us, Red Dead Redemption, Assassin’s Creed, Mass Effect ou encore Halo Infinite.

Pas besoin de revenir sur chaque affaire, les schémas se répètent toujours : problème de harcèlement sexuel ou non, burnout en série, changement de stratégie dans le développement incessant, faible sécurité de l’emploi et crunch à répétition sont les problèmes les plus mis en avant. Le crunch désigne des périodes d’un projet où les heures de travail hebdomadaire se multiplient. Ici est mis en cause le fait de raccourci au crunch sur l’essentiel de la durée du projet et de façon intempestive.

La création de jeu vidéo est une filière qui intéresse souvent par passion et qui peut utiliser cette passion pour accepter des charges de travail dans de mauvaises conditions. Comme le secteur de la tech, le jeu vidéo est également un secteur qui ne connait pas la syndicalisation. L’affaire Raven Software pourrait justement changer cela.

Le problème avec la « QA » dans le jeu vidéo

Le 21 janvier, un groupe de 34 employés du studio Raven Software dans la branche QA ont annoncé leur intention de créer un syndicat, ou union en anglais, la Game Workers Alliance. Ce nom volontairement généraliste doit permettre de recruter des membres dans d’autres studios de l’industrie à l’avenir.

La QA, ou Quality Assurance, désigne le département charger de tester et dénicher les bugs dans les logiciels. C’est une branche généralement très mal considérée, où les employés peuvent être considérés comme des ressources jetables et dans lequel on retrouve les salaires les plus faibles du jeu vidéo. Activision Blizzard n’est pas la seule société avec des problèmes de QA.

Un premier syndicat AAA

Le studio Raven Software était animé d’un mouvement de grève depuis le 6 décembre. En cause, la suppression d’une douzaine d’emplois dans la branche QA. Les employés des départements QA dans le jeu vidéo sont habituellement des contractuels, auxquels on va faire miroiter l’espoir d’un contrat plus stable, plus proche d’un CDI français. Nous avons mentionné le crunch à répétition, les salariés de Raven Software se plaignent plus précisément d’heures supplémentaires très fréquentes, s’étendant dans la nuit et sur le week-end pendant plusieurs mois d’affilés.

Si la procédure devait aboutir, il s’agit du premier syndicat dans un studio majeur, coté en bourse. Ce serait donc événement majeur pour l’industrie. Une première brèche vers la négociation de meilleures conditions de travail pour un problème systémique que l’on retrouve de bout en bout dans l’industrie. En France, on peut mentionner qu’il existe le Syndicat des Travailleurs et Travailleuses du Jeu Vidéo, ou STJV, dont les branches intègrent déjà plusieurs studios d’Ubisoft, Dontnod et Amplitude.

Que demandent les employés de Raven Software ?

La Game Workers Alliance a publié une liste de revendications sur Twitter.

  • Avoir une place à la table des négociations avec les dirigeants
  • Proposer un travail plus sain pour les employés, avec notamment une réduction du crunch
  • Plus de transparence de la part des dirigeants, notamment sur le calendrier et la planification du développement d’un jeu
  • Des revenus plus équitables pour les testeurs QA avec le reste de la société
  • Davantage de diversité et de représentation

Activision freine la procédure

La procédure de création d’un syndicat est complexe. Après l’annonce du groupe d’employés, la prochaine étape aurait pu être une reconnaissance de la part de la direction d’Activision Blizzard. Cette dernière s’y est refusée. Les employés doivent en conséquence créer une pétition auprès du National Labor Relations Board et obtenir la signature d’au moins 30 % des travailleurs de la division concernée.

Mais voilà, Activision a annoncé une réorganisation interne de Raven Software où le département QA disparait en tant que division, au profit d’une répartition des employés dans les autres divisions. Résultat, ce n’est plus seulement le département QA que les employés doivent convaincre, mais 30 % des 350 employés de Raven Software.

Pourquoi c’est un enjeu majeur du jeu vidéo ?

Comme nous l’avons dit, la procédure lancée par les employés de Raven Software est une première dans le monde du jeu AAA américain. C’est un nouveau pas important dans le long processus de reconnaissance des problèmes systémiques qui touchent notamment l’industrie du jeu vidéo. Ce serait aussi le premier syndicat à intégrer Microsoft si le rachat aboutit.

La firme de Redmond n’a en effet jamais connu de mouvement syndical de l’aveu même de Phil Spencer. Elle a revanche liquidée son département QA attaché à Windows il y a plusieurs années, et fait appel à de la sous-traitance quand il s’agit de la QA des jeux vidéo. Le studio interne 343 industries, en charge de Halo Infinite, a aussi connu son lot de problème au cours du développement du jeu, particulièrement en raison d’un turnover très élevé causé par des contrats courts non renouvelés. C’est donc un euphémisme que de dire que les enjeux seront de tailles pour les employés et leurs revendications une fois sous la direction de Microsoft.

Même dans le cas où la création du syndicat n’aboutit pas, la procédure aura marqué un jalon supplémentaire pour une industrie plus saine.


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