Autopilot, recharge… Comment traverser la France en Tesla Model S en 2019

 
Deuxième génération d’Autopilot, expansion du réseau de Superchargeurs, refonte de l’interface… Lancée en 2012, la fameuse Tesla Model S a bien changé ces dernières années. Je l’ai essayée une nouvelle fois pour témoigner de ses dernières évolutions.

Rares sont les voitures qui suscitent à la fois autant de curiosité, de doutes ou de fantasmes que les Tesla. Lorsqu’on apprend que j’ai déjà conduit des Tesla, on m’interroge tantôt sur l’autonomie, tantôt sur le pilote automatique, tantôt sur l’écologie…

La question de l’écologie est si complexe, si controversée et si mouvante que nous n’y consacrerons ici pas plus d’un bref résumé. Il n’y a qu’une seule certitude : la voiture électrique n’est pas « propre ». Son empreinte carbone peut varier du tout au tout en fonction de nombreux facteurs : mode de production d’électricité, d’extraction des minerais (lithium, cobalt, etc.), de recyclage des batteries… Ce qu’on retient c’est que la voiture électrique est à peine moins polluante que la voiture thermique dans le pire des cas, déjà significativement moins polluante dans le meilleur des cas, et que la situation peut s’améliorer dans de grandes proportions. L’électrique est certainement l’avenir de la voiture individuelle, même si cette dernière n’a peut-être pas d’avenir à long terme.

Pour ce qui est de l’autonomie, du pilote automatique et du reste, j’ai profité au mois d’avril d’un week-end prolongé pour emprunter une Model S à Tesla et juger sur pièce. Je livre ici mon témoignage après un aller-retour Paris-Biarritz et une journée en région parisienne.

Premier contact : un habitacle futuriste

En passant de ma Volkswagen Golf de 2018 à la Tesla Model S, je redécouvre son habitacle futuriste, dominé par l’écran géant de 17 pouces à la verticale. La Model S a l’une des planches de bord les plus minimalistes du marché automobile : il y a un minimum de commandes physiques, seulement quelques boutons et leviers dédiés à des fonctions immuables telles que le levier de vitesses (au volant, comme chez Mercedes), le réglage du volume audio ou les vitres électriques.

On accède à toutes les autres fonctions via l’écran, ce qui permet l’une des spécificités des Tesla : leur évolutivité. Plus que toute autre voiture, les Tesla sont des ordinateurs roulants. Elles s’articulent autour d’un logiciel central, que le constructeur met à jour régulièrement pour ajouter (et parfois retirer) des fonctions ou apporter des améliorations, non seulement au système d’infodivertissement, mais aussi au pilote automatique ou aux moteurs. Cette conception inédite a par exemple permis au constructeur d’améliorer du jour au lendemain l’accélération de toutes les voitures en circulation, ou de proposer une refonte totale de l’interface.

Malgré son gabarit (elle mesure près de 2 mètres de large et près de 5 mètres de long), la Model S jouit d’un design élancé et d’une position de conduite à la fois confortable et sportive, basse et assez allongée, malgré l’épais plancher abritant 100 kWh de batteries. Quelques premiers défauts se manifestent néanmoins lorsqu’on prend le volant : l’assise est plus courte que dans ma modeste Golf (mes cuisses sont moins soutenues), les bruits de portières, auxquels certains automobilistes attachent beaucoup d’importance, sont moins gratifiants, la porte coulissante du vide-poches est trop sensible aux rayures, et le support pour smartphone est trop reculé.

Faux départ : un planificateur d’itinéraire largement perfectible

Mais nous avons près de 800 km à parcourir ce vendredi après-midi, il est temps de se mettre en route. À l’aide du champ de recherche toujours disponible en haut à gauche de l’écran et du grand clavier virtuel, je commence à saisir ma destination. Comme sur smartphone, la cartographie Google, chargée en temps réel via la connexion cellulaire intégrée, suggère rapidement l’adresse complète.

Tesla prend alors le relais pour calculer l’itinéraire et ajouter les étapes Superchargeurs optimales. En quelques secondes, le temps de trajet passe de 7h30 à 9h. Mais j’identifie déjà, dès le départ, ce qui sera le plus grand point de frustration de mon essai : le calculateur d’itinéraire de Tesla nous fait arriver avec seulement 10% de batterie.

Or en 2019, les destinations de vacances où l’on peut recharger une voiture électrique sont encore rares. En l’occurrence, les amis qui nous accueillent nous ont proposé de nous brancher, mais sur une prise domestique délivrant 3 kW, soit environ 15 km d’autonomie par heure de charge, et avec une rallonge de chantier avec laquelle je sais que la voiture risque de refuser de se charger par sécurité.

Je préfère donc arriver avec assez de batterie pour tous les trajets du week-end, soit environ 50%. Malheureusement, le logiciel de Tesla n’offre aucun réglage du planificateur d’itinéraire. Et il ne suffit pas de recharger de 20 % supplémentaires à chacun des deux arrêts prévus par Tesla, ça nous ferait dépasser 100% au second arrêt. Surtout, comme sur smartphone aussi, la recharge est de plus en plus lente à mesure qu’on approche des 100%. Sachant que les Superchargeurs sont à 5 ou 10 minutes des autoroutes, mais que les bornes qu’on trouve sur certaines aires d’autoroute plafonnent encore à 50 kW, parfois il vaut donc mieux multiplier les petites recharges à 120 kW.

On passe ainsi d’un croque-monsieur réchauffé à la cafétéria d’un hôtel Ibis 2 étoiles à un dîner aux chandelles

Je dois donc me tourner vers A Better Routeplanner, un site internet conçu bénévolement par un développeur indépendant, qui permet notamment de définir le niveau de charge avec lequel on souhaite arriver. Bon point : on peut y accéder depuis le navigateur intégré à la voiture. Il calcule fort logiquement un trajet différent, avec des Superchargeurs et des temps de pause différents. Il faut donc choisir les Superchargeurs comme destinations successives, ce qui n’est pas toujours évident (le Superchargeur d’Orléans étant en réalité à Saran, par exemple), ce qui empêche l’affichage de la distance restante et de l’heure d’arrivée, et empêche l’application mobile de me prévenir que la voiture a atteint le niveau de charge nécessaire pour reprendre le trajet, comme elle le fait normalement.

Ce n’était pas encore le cas lors de mon voyage, mais désormais A Better Routeplanner permet en plus d’optimiser les trajets en fonction des pauses repas, contrairement au planificateur de Tesla. C’est pourtant en les faisant coïncider avec les pauses café et les repas qu’on peut éviter que les recharges rallongent davantage le temps de trajet que des ravitaillements en carburant. À défaut, on risque fort d’atteindre 100% de charge et de devoir débrancher et déplacer la voiture en plein repas. Autrement des « frais d’occupation injustifiée » dissuasifs s’appliquent (de l’ordre d’un euro par minute !).

Notons d’ailleurs que le GPS de Tesla indique les tarifs de recharge (environ 0,25 €/kWh), le nombre de bornes disponibles et les services disponibles pour chaque Superchargeur (hôtel, restaurant, café, WC, Wi-Fi, etc.). Mais il n’indique ni les horaires de service ni le standing des restaurants. On passe ainsi d’un croque-monsieur réchauffé à la cafétéria d’un hôtel Ibis 2 étoiles à un dîner aux chandelles, avec son nourrisson, à l’hôtel 4 étoiles du « Relais du bois Saint Georges ». Certes, les GPS des voitures thermiques ne font pas beaucoup mieux, mais d’une part on a moins de surprises sur les aires d’autoroutes standardisées, et d’autre part Tesla pourrait facilement afficher des détails ou des photos via internet.

Autopilot : inhumain !

Malgré son poids (2200 kg) et son gabarit, la Tesla Model S 100D est très agile. Entre la puissance de l’accélération (600 Nm et 3,8 secondes au 0 à 100 km/h), la puissance du freinage regénératif et le fait qu’on puisse gérer son allure à l’aide de la seule pédale d’accélérateur dans la plupart des cas (mais pas jusqu’à l’arrêt comme avec la e-Pedal des nouvelles Nissan Leaf, ce qui change tout), avec une transition progressive d’une phase à une autre, la conduite est un plaisir quel que soit le style adopté.

Ainsi, au départ de Paris un vendredi après-midi, on se faufile aisément au milieu du dense trafic francilien. Mais dès le premier péage, le trafic s’assagit : j’active pour la première fois le pilote automatique de 2e génération, celui qui a équipé les Tesla produites d’octobre 2016 à avril 2019, en tirant deux fois sur le levier dédié. J’ai déjà remarqué, sur l’écran de 12 pouces installé derrière le volant, que le pilote automatique « voit » beaucoup mieux les autres véhicules que le pilote automatique de 1re génération que j’ai testé l’été 2016.

Le pilote automatique reprend fermement le volant, centre rigoureusement la voiture dans sa voie et n’en dévie jamais en marche normale. Elle ne se décale pas pour faire de la place aux deux-roues en inter-file, bien qu’elle les détecte désormais, ou pour s’écarter des semi-remorques qu’elle dépasse, comme le feraient les humains. On serre parfois les fesses ! Le conducteur ne peut pas ajuster la trajectoire, comme il peut le faire avec les pilotes automatiques des Allemandes. Le volant oppose une résistance au-delà de laquelle le conducteur reprend la main, ce qui provoque une légère déviation. C’est d’ailleurs le seul moyen de reprendre la direction sans pour autant reprendre l’allure. Autrement il faut pousser le levier dédié, ce qui désactive à la fois le maintien dans la file et le régulateur de vitesse, et le tirer une fois pour réenclencher le régulateur.

Les 3 caméras frontales lisent les panneaux de signalisation et le régulateur adopte automatiquement la limitation de vitesse en vigueur lorsqu’on l’enclenche. Mais il n’ajuste pas la vitesse ensuite, ni à la hausse, ni à la baisse. C’est au conducteur de régler le régulateur à l’aide du levier. Ceci contribue probablement à maintenir la vigilance des conducteurs, mais j’aurais préféré n’avoir qu’à valider la nouvelle vitesse, plutôt que d’exercer plusieurs pressions sur le levier.

Ces comportements littéralement inhumains ont souvent surpris ou agacé les véhicules qui me suivaient

Le pilote automatique ne manque pourtant pas de se rappeler au conducteur. En détectant mal les mains sur le volant, en premier lieu : contrairement au volant capacitif de la nouvelle Volkswagen Passat, la Model S détecte les mains par la résistance qu’elles exercent sur la direction. C’est paradoxal, car le maintien dans la file est si efficace, et de toute manière si ferme, qu’on n’a rien d’autre à faire que de tenir passivement le volant. Il faut donc faire peser un bras d’un côté du volant, ou bien exercer régulièrement une pression.

L’Autopilot se rappelle également au conducteur en ralentissant assez brusquement à l’approche d’un véhicule plus lent. Comme sur tous les régulateurs, la distance minimale est beaucoup plus importante que la distance que pratiquent les humains. Il faut donc largement anticiper les dépassements. En France, l’Autopilot ne décide pas encore de dépasser automatiquement, mais c’est la voiture qui effectue la manœuvre lorsque le conducteur enclenche le clignotant à gauche, puis à droite pour se rabattre, après avoir contrôlé que la voie était libre. Compte tenu des distances pratiquées, certains dépassements sont interminables pour peu que l’écart de vitesse soit faible.

De même, si un véhicule plus lent effectue un dépassement devant vous, le pilote automatique attend qu’il ait totalement libéré la voie en se rabattant pour réaccélérer. Pire, si un semi-remorque dévie légèrement du centre de sa file et mord brièvement la ligne, ce qui arrive fréquemment sur les voies relativement étroites de nos autoroutes européennes, le pilote automatique considère naïvement qu’il change de file et freine donc brusquement, assez pour réveiller les passagers endormis. Un visionnage attentif des deux vidéos ci-contre montre que la Tesla ne « voit » pas la position des autres véhicules avec une précision suffisante. Elle voit les véhicules des voies adjacentes plus proches qu’ils ne le sont vraiment.

A contrario, la voiture n’a pas réalisé d’exploit lorsque l’occasion s’est présentée : elle n’a pas réagi lorsqu’un conducteur étourdi m’a coupé la route sur un carrefour. C’est moi qui ai évité la collision en déviant la voiture et en freinant de toutes mes forces. Sur autoroute, il lui est arrivé plusieurs fois de freiner bien tard, en suivant naïvement des conducteurs étourdis que nous suivions, au lieu de se caler sur les véhicules précédents qui avaient mis un coup de frein à l’approche d’un ralentissement. J’aurais levé le pied plus tôt et lissé le freinage si je n’avais pas délibérément cherché les limites du système.

Ces comportements littéralement inhumains ont souvent surpris ou agacé les véhicules qui me suivaient, même à des distances raisonnables. On ne demande pas à un pilote automatique qu’il imite totalement l’humain et qu’il commette autant d’imprudences ou d’incivilités. Mais on pourrait lui demander de réduire ses marges, qui paraissent excessivement prudentes aujourd’hui.

Après mes premiers et deuxièmes essais de la première génération de l’Autopilot, en 2015 et 2016, je regrettais déjà que la voiture ne se décale pas pour dépasser ou qu’elle ne s’adapte pas automatiquement aux changements de limitations de vitesses. Tesla n’a pas évolué sur ces points. Mais en réponse à un journaliste les questionnant sur la craintivité de l’Autopilot pour la conduite de Los Angeles, le directeur de l’intelligence artificielle de Tesla, Andrej Karpathy, a annoncé qu’il deviendrait plus « affirmé » en apprenant du comportement des humains. Elon Musk, fondateur du constructeur, a précisé que les utilisateurs qui le souhaiteraient pourraient choisir un mode « plus agressif », avec lequel il y aurait « un risque non nul d’avoir un léger accrochage », en reconnaissant que « c’est malheureusement le seul moyen de conduire à Los Angeles ».

Tesla redéfinit le voyage en voiture

Tesla redéfinit malgré tout le voyage en voiture, pour le pire, comme je viens de le détailler, mais aussi et surtout pour le meilleur, ce qui s’écrit avec moins de mots.

Sur le plan de la recharge et de l’autonomie, pour commencer, je n’ai pas ressenti la moindre angoisse (range anxiety). Depuis mon essai d’une Model S 90D en juillet 2016, le réseau de Superchargeurs, mais aussi de stations universelles en derniers recours, s’est suffisamment développé. Je n’ai jamais eu à réduire ma vitesse, à désactiver la climatisation ou à m’interdire quelques accélérations grisantes aux péages, ou pour fuir en avant un automobiliste collant.

C’est un grand soulagement sur de longs trajets

Avec « seulement » 6 Superchargeurs entre Paris et Biarritz, et avec une autonomie « utile » d’un peu plus de 300 km en passant de 90 à 10% de batterie, on n’improvise pas autant qu’avec des dizaines de stations-service. Certes, Tesla a une grande marge de progression pour améliorer son planificateur d’itinéraire. Mais avec l’aide du site A Better Routeplanner, on reprend goût à planifier son trajet, à choisir dans quel hôtel-restaurant s’arrêter, à voyager en somme. On peut ainsi intégrer ses recharges à ses pauses afin qu’elles ne nous retardent pas, ou pas beaucoup. Et si elles nous retardent, on se consolera en économisant du carburant ou en réinvestissant une partie dans de meilleurs repas que des sandwichs industriels : arriver à Biarritz avec 10% de charge coûte 30 €, contre 90 à 120 € de carburant avec une berline similaire.

Et sur le plan du pilote automatique, si les partis pris de Tesla (voiture rigoureusement centrée, sur des rails, freinages intempestifs) sont quelque peu frustrants dans une circulation dense et chaotique, telle que celle de travailleurs pressés de rentrer chez eux, ils suscitent en revanche une confiance aveugle dans la circulation prévisible et ordonnée de longs tronçons d’autoroute. Alors qu’une Allemande équipée d’un pilote automatique se conduit davantage à quatre mains, on supervise seulement l’Autopilot de Tesla. Ça libère beaucoup de temps de cerveau pour profiter du paysage, pour rêvasser, pour discuter, c’est un grand soulagement sur de longs trajets, qui passent ainsi plus vite. On profite davantage du trajet, si bien que le voyage commence à la sortie de Paris, et non une fois arrivé à destination, où l’on arrive apaisé.

Vendue 102 000 € telle qu’essayée, la Tesla Model S demeure, 6 ans après son lancement, une voiture réservée à de riches précurseurs, qui leur pardonneront et passeront outre ses défauts. C’est un peu comme de nombreux appareils, chers bien qu’imparfaits, mais avec lesquels nous sommes tolérants, car nous sommes passionnés, impatients et fiers d’adopter les premiers les technologies du futur. Je fais partie de ces technophiles, et j’ai hâte de remplacer ma VW Golf par une Tesla Model 3 ou par l’une des réponses que prépare la concurrence.

Crédit photos : Florent-Sinan Brunel


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