Voici pourquoi les voitures électriques japonaises sont à la traîne, et comment ça pourrait totalement changer

 
Alors que les marques chinoises et coréennes possèdent une avance certaine dans le domaine de la voiture électrique, bien devant les marques européennes, les constructeurs japonais rencontrent quant à eux beaucoup plus de difficultés. Un problème d’ordre structurel et stratégique, mais qui pourrait s’estomper dans les années à venir. Voici pourquoi.
Le Toyota bZ4X est le symbole d’une arrivée compliquée des constructeurs japonais dans l’univers de l’électrique, avec un lancement très compliqué

Toyota, Honda, Nissan, Mazda, Mitsubishi, Subaru… Les constructeurs japonais sont implantés, avec plus ou moins de succès, depuis environ quatre décennies en Europe.

Leur arrivée sur le Vieux Continent n’a pas forcément suscité la même défiance que les marques chinoises actuellement, mais il leur a fallu un certain nombre d’années avant d’être pleinement « intégrées » au paysage automobile européen. Ce fut également le cas pour les constructeurs coréens, comme Kia et Hyundai, implantés depuis moins longtemps, mais qui ont aussi su tirer leur épingle du jeu.

La success story la plus impressionnante, c’est sans doute celle de Toyota avec ses modèles hybrides. Nous pouvons aussi évoquer celle de Nissan avec le Qashqai en 2007, le « papa des SUV » en quelque sorte. Il n’est certes plus leader dans son segment aujourd’hui, mais c’est lui qui a démocratisé ce segment qui représente près d’une voiture neuve vendue sur deux aujourd’hui.

Encore trop peu de voitures électriques japonaises

Les ventes des constructeurs japonais, notamment celles de Toyota, restent très solides en Europe. Mais avec la transition énergétique qui s’amorce sur le Vieux Continent, et partout ailleurs (à diverses échéances), les marques se penchent sur ce que sera la voiture de demain.

Sauf retournement de situation, elle sera électrique. En Europe, on ne pourra plus vendre de voitures neuves thermiques (y compris les hybrides et PHEV) à partir de 2035. Mais les constructeurs japonais ont toujours eu une approche multi-énergies (à la fois thermique, hybride, électrique à batteries et à hydrogène), et ce soudain basculement au 100 % électrique à batteries (largement accéléré par l’affaire du Dieselgate) les a évidemment pris de court.

Toyota et Lexus comptent lancer une dizaine de modèles 100 % électriques d’ici 2026

Un temps observatrices, les marques japonaises ont pris le taureau par les cornes assez tardivement et commencent à peine à proposer des voitures électriques. Il n’y a que Nissan qui tire son épingle du jeu avec sa Leaf, un modèle présenté dès 2010 et qui en est déjà à sa deuxième génération, mais aussi avec son Ariya, un SUV électrique que nous avons déjà essayé et qui est plutôt abouti dans l’ensemble.

Néanmoins, l’Ariya, c’est un peu l’exception des modèles japonais électriques et convaincants. Nous ne pouvons pas en dire autant du bZ4X, le premier modèle électrique de Toyota, qui a rencontré pas mal de difficultés à son lancement. Il a même été retiré du catalogue pendant quelques mois pour corriger ses défauts. Ce phénomène nous rappelle aussi celui de Volkswagen avec sa première ID.3, un modèle sorti un peu trop rapidement pour répondre à une demande croissante, mais qui, au final, n’était pas forcément terminé à son lancement.

Un problème d’investissement plus global ?

D’une manière générale, comme le rapporte une étude de l’International Council on Clean Transportation, les constructeurs japonais seraient les plus en retard sur l’électrification de leurs véhicules. L’organisme a étudié quelles étaient les marques qui menaient la danse de la transition vers les véhicules électriques.

L’ONG, qui étudie l’électrification à l’échelle mondiale, a pris en compte de nombreux facteurs, tels que le pourcentage de voitures électriques vendues, l’emploi éventuel d’énergies renouvelables pour la fabrication du véhicule ou encore leur autonomie.

À l’image d’autres constructeurs japonais, la Mazda MX-30 est la seule voiture électrique proposée par la firme d’Hiroshima, un modèle peu convaincant dans l’ensemble

Sans entrer dans les détails, l’étude révèle que les constructeurs japonais ont vraiment du mal à faire peser la part de véhicules électriques dans leurs ventes ; et c’est normal, puisqu’ils sont beaucoup moins nombreux par rapport à d’autres marques.

L’étude révèle aussi que leurs visions stratégiques seraient moins ambitieuses que les autres. Ces entreprises ne seraient pas pleinement investies dans le développement des voitures électriques, au-delà même du simple aspect financier.

Toyota comme fer de lance ?

Pourtant, les marques japonaises ont annoncé des plans produits pour le moins intéressants et qui n’ont rien à envier à Tesla, où c’est globalement toujours le flou artistique à ce niveau, ou encore les européens. Malgré tout, à la vue actuelle du marché, ce sont bien les marques japonaises qui sont le plus à la traîne.

Comme énoncé plus haut, le Japon a toujours préféré une approche multi-carburants pour décarboner le secteur des transports. Même si le pays a récemment précisé que l’électrique était l’une des voies à suivre, il continue de juger nécessaire d’explorer également d’autres types d’énergie, comme l’hydrogène, ou de tirer le meilleur parti des avantages de l’hybride.

Malgré tout, sous la contrainte, les marques japonaises vont devoir accélérer dans l’électrique, et Toyota l’a bien compris. Par exemple, il y a environ un mois, Toyota a déclaré vouloir tripler la production de voitures électriques pour atteindre 600 000 unités par an, pour rattraper l’avance de Tesla dans ce domaine, tout en singeant notamment certaines techniques de production jugées par les ingénieurs de Toyota eux-mêmes comme « révolutionnaires ».

Dans le même temps, l’entreprise travaille sur quatre types différents de batteries qui seront installées sur une nouvelle famille de voitures électriques. Cette nouvelle « famille » permettra à Toyota (en incluant sa branche haut de gamme Lexus) de vendre 3,5 millions de voitures électriques à travers le monde d’ici 2030.

Toyota va par exemple lancer un SUV compact, en association avec Suzuki

Outre la voiture électrique en elle-même, Toyota travaille sur quasi l’ensemble de la chaîne de valeurs. La marque collabore ainsi avec Idemitsu Kosan, une compagnie pétrolière japonaise qui, comme beaucoup d’autres grandes compagnies pétrolières, tente de s’affranchir du pétrole pour développer des activités en ligne avec les projets permettant de lutter contre le changement climatique.

Les deux géants japonais vont unir leurs forces pour produire à grande échelle des batteries à semi-conducteurs. Pour ce faire, ils suivront une stratégie divisée en trois phases.

  • Phase 1 : développement d’un électrolyte sulfuré solide susceptible d’être produit par des usines de grand volume.
  • Phase 2 : construction d’une usine de production pilote pour valider les procédés de production en série et concevoir des voitures électriques capables d’accueillir ces technologies, qui seront lancées sur le marché entre 2027 et 2028.
  • Phase 3 : production en masse de batteries à semi-conducteurs et de voitures électriques de nouvelle génération.

Avancer main dans la main ? Une solution tangible

Dans le même temps, les constructeurs japonais semblent aussi vouloir se soutenir. Ainsi, Toyota travaille notamment avec Subaru, qui ambitionne d’ailleurs de lancer huit nouveaux modèles électriques d’ici 2028.

De son côté, Toyota compte lancer dix voitures électriques d’ici 2026, dont un petit modèle, qui pourrait s’appeler bZ2X, et qui sera conçu en collaboration avec Suzuki, spécialiste dans le domaine des petites voitures. Cela permettra aussi à Suzuki de proposer son premier modèle électrique, normalement à l’horizon 2025. Dans le même temps, Toyota s’est aussi associé à Mitsubishi, avec qui il veut se lancer dans la production de puces en carbure de silicium.

Mitsubishi, qui a également annoncé un accord intéressant avec un autre constructeur japonais : Honda. Les deux groupes ont signé un partenariat pour unir leurs forces dans la recherche de modèles de production efficaces pour une prochaine famille de voitures électriques et de batteries. Les deux sociétés travailleront également sur le front des technologies liées à l’électrification, de la charge bidirectionnelle à la gestion des batteries une fois leur cycle de vie terminé.

Le nouveau Honda e:Ny1, ici observé au récent Salon de Lyon, est intéressant à plus d’un titre, mais il accuse déjà un certain retards sur plusieurs points

Honda a aussi annoncé des choses pour son avenir électrique, aussi bien au niveau des autos que des deux-roues. Le nouveau PDG de Honda, Toshihiro Mibe, a aussi annoncé son plan d’électrification « monde » pour 2040. À cette date, 100 % des nouveaux véhicules du constructeur japonais fonctionneront soit sur batterie, soit à l’hydrogène.

Pour le moment, comme les autres marques japonaises, Honda est en retard, même si sa petite Honda e, dont la commercialisation s’est terminée il y a peu, n’était pas inintéressante. Le nouveau SUV e:Ny1 ne l’est pas également, mais sa technologie paraît déjà dépassée par rapport aux leaders du secteur, le tout pour un prix similaire.

Nissan, de son côté, travaille comme Toyota sur les batteries à semi-conducteurs et, pour ce faire, exploite les opportunités offertes par l’intelligence artificielle. Des batteries qui pourraient devenir réalité dès 2028.

Rappelons que Nissan, dont l’alliance avec Renault paraît de plus en plus bancale, a présenté en début d’année un nouveau plan stratégique qui découle du premier baptisé « Nissan Ambition 2030 » présenté en 2021. Le nouveau est voulu plus ambitieux que le précédent, et Nissan « prévoit désormais d’introduire 27 nouveaux modèles électrifiés en 2030 » partout dans le monde, contre 23 précédemment. Parmi ces 27 véhicules, 19 seront des modèles 100 % électriques.

L’Ariya est sans doute le meilleur modèle électrique japonais en vente actuellement. Rien d’étonnant, Nissan a déjà plusieurs années d’expertise dans ce domaine

Mazda, une autre marque historique japonaise, a conclu un partenariat stratégique avec Panasonic pour la fourniture de batteries. Ils seront utilisés sur les prochains véhicules électriques de la marque, qui seront mis sur le marché afin de parvenir à une part des ventes électriques de 40 % d’ici 2030.

Une chose est sûre, ce n’est pas avec le MX-30 qu’ils y parviendront, elle aussi étant un symbole du produit développé à marche forcée, avec quelques bonnes idées, certes, mais une technologie déjà dépassée. Et ce n’est pas la nouvelle version dotée d’un prolongateur d’autonomie qui devrait changer les choses.

Pour le moment, chez Mazda, c’est aussi le flou artistique au niveau de la gamme zéro émission, même si on commence à entendre quelques bruits de couloir autour d’une éventuelle MX-5 électrique, mais certainement pas avant plusieurs années.

Les Japonais ont une vision plus « mondiale »

Globalement, les promesses des marques japonaises sont plutôt encourageantes, même si elles n’ont vraisemblablement pas toutes engagé à bras-le-corps une stratégie orientée uniquement sur le 100 % électrique comme les constructeurs européens par exemple.

Il y a plusieurs raisons qui peuvent expliquer cela, à commencer par les investissements. Mazda par exemple, pour qui l’Europe n’est pas le principal marché, n’a évidemment pas d’intérêt à tout miser sur l’électrique alors que la part de ses ventes reste assez marginale sur le Vieux Continent.

Ce concept de berline Honda hyper futuriste, présenté par Honda au CES 2024, pourrait déboucher sur une voiture de série en 2026

L’Europe possède le plan énergétique le plus ambitieux au monde à ce niveau, et seuls les constructeurs qui possèdent une part de marché importante chez nous ont un intérêt à vraiment accélérer. Chez Nissan, on préfère prendre le pouls de ce qui se passe aux États-Unis, un marché ô combien plus important que l’Europe et qui n’a pas (encore ?) pris de décisions aussi drastiques.

Outre les parts de marché, les constructeurs japonais, à l’image de leurs dirigeants, font aussi preuve de beaucoup de prudence vis-à-vis de ce changement soudain, bien que nécessaire. Une approche multi-énergie leur semble évidemment plus « sage », aussi parce qu’ils n’ont évidemment aucun intérêt à mettre de côté leurs motorisations hybrides, une technologie maîtrisée par Toyota depuis plus de 20 ans et qui en fait le leader dans le domaine.


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